Elle s’appelait Sarah comme sa mère, et était née dans le Connecticut en 1839. Et à l’âge de 23 ans, on la maria – et sans doute en fut-elle heureuse -  à William Wirt Winchester, 25 ans, fils du propriétaire de… Winchester Repeating Arms Company ! Il était le trésorier de la compagnie paternelle et le restera jusqu’à sa mort – de tuberculose – en 1881.

 

Ils n’eurent qu’une fille, quatre ans plus tard, une petite vie qui ne dura que six mois à peine, ce qui laissa la jeune maman dans une dépression profonde. Elle se coupa du monde, anéantie par le chagrin. Puis la vie reprit un peu de normalité, mais alors qu’elle avait 42 ans seulement, son beau-père et son mari moururent à quelques mois de distance et elle se retrouva soudainement bien seule, à la tête de 20 millions de dollars et près de 50% de la compagnie, avec un revenu de 1.000 $ … par jour !

 

Complètement écrasée à la fois par sa fortune et sa solitude elle se laissa convaincre par un médium que sa famille était maudite par les esprits de tous ceux qui avaient été tués par les carabines construites et conçues dans la compagnie familiale, et qu’elle devait s’en aller vivre dans l’ouest où elle construirait une maison pour elle-même … et les esprits mécontents !!!

Elle partit donc vers ce qui est aujourd’hui San José en Californie, où elle acheta une maison de 8 pièces qu’elle commença à transformer dans une œuvre de folie qui allait durer 38 ans. Le matin elle se tenait dans une pièce où « de bons esprits la guidaient » et transmettait alors les travaux à faire aux charpentiers. Les travaux, dit-on, ne cessèrent jamais et avaient lieu quotidiennement, de jour et de nuit. Le chiffre 13 l’obsédait et il y a donc 13 salles de bain, 13 panneaux aux fenêtres, 13 chandeliers dans les pièces, tous les escaliers ont 13 marches sauf un qui en a 42 – de 6 cm de haut ! -  etc…  

 

 

On arriva à 160 pièces, 3 ascenseurs, 47 feux ouverts dont certains ne débouchent sur aucune vraie cheminée car elle craignait que les esprits n’y entrent, 40 chambres à coucher, 2 salles de bal, 40 volées d’escaliers, 2.000 portes, 10.000 fenêtres …

 

Puis le tremblement de terre de San Francisco frappa en 1906. Elle se retrouva piégée dans sa chambre à coucher pendant plusieurs jours et conclut que les esprits lui en voulaient de perdre trop de temps aux décorations de la partie avant de la maison. Elle laissa donc les dégâts tels quels, faisant construire de nouvelles annexes. Elle-même cessa d’habiter la demeure, ne s’y rendant plus qu’en visite.

 

La maison était devenue si complexe, agrandie sans aucune logique, qu’il fallait une carte pour s’y orienter :  des escaliers ne mènent nulle part,  des portes s’ouvrent sur un mur.  Elle voulait, dit-on, égarer les esprits. Le sien l’était depuis longtemps…  Elle s’était également fait construire une arche, dans l’éventualité d’une montée des eaux.

 

 

 

Malgré cette vie angoissante et cette fuite devant la mort et les esprits, elle arriva à l’âge de 83 ans, et mourut… paisiblement pendant son sommeil. Les travaux s’arrêtèrent enfin. A l’ouverture de son coffre on ne trouva que des mèches de cheveux coupés à sa fille et son mari sur leur lit de mort, les faire-part de leurs décès, et son testament écrit en 13 parties et signé 13 fois, qui prenait soin de certains de ses domestiques et laissait les meubles à sa nièce. Rien au sujet de la maison n’était spécifié.

 

 

 La maison est devenue une attraction touristique… Sarah a-t-elle enfin l’esprit en repos ?

 

                                                                              Suzanne Dejaer