Etienne Mallarmé était son vrai nom….

 

 

C’est de 1856 – 1862 qu’il fut « des nôtres ».  Pensionnaire au lycée impérial de Sens.  Un autre pas trop bon élève devenu fameux puisqu’il resta dans ce lycée 4 ans où il obtint son baccalauréat en… repêchage.  Et malgré le mauvais souvenir carcéral qu’il en conserva (c’est là qu’il composa des poèmes aux accents des auteurs qu’il vénère – Théophile Gauthier, Victor Hugo, Baudelaire… ) dans un cahier sinistrement baptisé « Entre quatre murs » - ce lycée impérial devint plus tard le lycée Mallarmé (en 1960) et enfin le collège Stéphane Mallarmé en 1971.

Sa jeune sœur de 13 ans, Maria,  meurt alors qu’il est à Sens depuis un an et c’est un deuil dont la lame s’enfoncera loin dans sa chair et teintera plusieurs de ses poèmes d’alors du sombre voile de la mort… Certains de ses poèmes sont publiés en 1862, et c’est au début juin de cette année qu’il rencontre Maria-Christina Gerhard, une gentille Allemande , gouvernante de sept ans son aînée dans une de ces bonnes familles de Sens où on se doit d’avoir une gouvernante pour les enfants qui un jour, sauront parler l’allemand. Il a 20 ans et elle 27. Le 8 juin, impatient, il lui envoie une lettre où il lui déclare son amour.

Amoureux, il quitte alors un emploi qui ne lui plaisait pas plus que le lycée, surnuméraire (auxiliaire) d’un receveur à l’Enregistrement de Sens.  Le premier pas vers l’abrutissement, selon son propre verdict.  Il se rend à Londres pour y devenir professeur d’anglais, et y épouse Maria – avec laquelle il vit déjà - en 1863 peu après la mort de son père, Numa.

Un homme sans doute étrange et dirigé par les mots. De santé incertaine. Intense. Assailli par le doute. Il est enseignant et se fera chahuter. Il a des soucis d’argent, des ennuis de rouages administratifs. Il se consume pour extraire de son âme les flots de mots qui une fois sortis et étirés sur la page semblent moins cruels ou tourmentés. Il reste secret sur lui-même. Et ce sont ses amitiés littéraires qui fidèlement le portent et ne lui font pas perdre le cap… cap vers lui-même, sur son apostolat de dire et dire encore, par des mots et des phrases souvent compliqués pour le lecteur. Hermétique dira-t-on de lui. Il considère le mot comme un aboli bibelot d'inanité sonore

Renouveau

 

Le printemps maladif a chassé tristement
L'hiver, saison de l'art serein, l'hiver lucide,
Et, dans mon être à qui le sang morne préside
L'impuissance s'étire en un long bâillement.

Des crépuscules blancs tiédissent sous mon crâne
Qu'un cercle de fer serre ainsi qu'un vieux tombeau
Et triste, j'erre après un rêve vague et beau,
Par les champs où la sève immense se pavane

Puis je tombe énervé de parfums d'arbres, las,
Et creusant de ma face une fosse à mon rêve,
Mordant la terre chaude où poussent les lilas,

J'attends, en m'abîmant que mon ennui s'élève...
- Cependant l'Azur rit sur la haie et l'éveil
De tant d'oiseaux en fleur gazouillant au soleil.

Il traduira aussi Edgar Allan Poe qu’il admire :

Annabel Lee

 
 
Il y a mainte et mainte année, dans un royaume près de la mer, vivait une jeune fille, que vous pouvez connaître par son nom d'ANNABEL LEE : et cette jeune fille ne vivait avec aucune autre pensée que d'aimer et d'être aimée de moi.

J'étais un enfant, et elle était un enfant dans ce royaume près de la mer ; mais nous nous aimions d'un amour qui était plus que l'amour, - moi et mon ANNABEL LEE ; d'un amour que les séraphins ailés des cieux convoitaient, à elle et à moi.

Et ce fut la raison que, il y a longtemps, - un vent souffla d'un nuage, glacant ma belle ANNABEL LEE ; de sorte que ses proches de haute lignée vinrent, et me l'enlevèrent, pour l'enfermer dans un sépulcre, en ce royaume près de la mer.

Les anges, pas à moitié si heureux aux cieux, vinrent, nous enviant, elle et moi - Oui ! ce fut la raison (comme tous les hommes le savent dans ce royaume près de la mer) pourquoi le vent sortit du nuage la nuit, glaçant et tuant mon ANNABEL LEE.


Car la lune jamais ne rayonne sans m'apporter des songes de la belle ANNABEL LEE ; et les étoiles jamais ne se lèvent que je ne sente les brillants yeux de la belle ANNABEL LEE ; et ainsi, toute l'heure de la nuit, je repose à côté de ma chérie, - de ma chérie, - ma vie et mon épousée, dans ce sépulcre près de la mer, dans sa tombe près de la bruyante mer.


Mais, pour notre amour, il était plus fort de tout un monde que l'amour de ceux plus âgés que nous ; - de plusieurs de tout un monde plus sages que nous, - et ni les anges là-haut dans les cieux, - ni les démons sous la mer ne peuvent jamais disjoindre mon âme de l'âme de la très-belle ANNABEL LEE.

Un amoureux de l’esthétique, un pur, au point qu’il se ronge. Il est moderne, les jeunes poètes s’enflamment en parlant de lui dans les cafés, salons et chambres sous les toits. Il changera le monde de la poésie, et Verlaine – avec qui il a une correspondance suivie - le coiffera de la couronne des poètes maudits. Il rencontrera Rimbaud, Manet, Zola, Victor Hugo, Oscar Wilde, Paul Valéry… C’est par Manet qu’il rencontrera Méry Laurent, courtisane et actrice dont il deviendra amoureux. Elle sera « son petit paon », et lui inspirera bien des vers :

Ce Faune, s’il vous eût assise
Dans un bosquet, n’en serait pas
Du trouble épars de ses vieux pas
. (Allusion à l’Après-midi d’un faune)

Et des lettres touchantes:

Je t’aime beaucoup mon grand coeur;
et tout à l’heure, avant de laisser s’envoler
dans la rivière les morceaux de ta lettre,
lue et relue sur le pont pour y découvrir
de chers riens, voilà que  je l’ai portée
à mes lèvres, y mettant un baiser comme
un jeune amoureux; il n’y a que toi pour
faire cela d’un vieux Monsieur qui s’était
retiré à la campagne pour y décidément vieillir.

Il a ses opinions et défendra Manet dont les tableaux sont refusés au salon de 1874 et Dreyfuss en 1898 aux côtés de Zola dans l’article J’accuse.

C’est la même année qu’il meurt à 56 ans à peine, demandant que l’on détruise notes et papiers. Il n’y a pas là d’héritage littéraire, dit-il.

                                                                                                

 

                                                                                                                                                                                              Suzanne DEJAER