Béatrice Lukomski Joly … C’est en 1978 qu’elle découvrit Auxerre où elle n’était jamais venue.  Le cœur de la ville s’installa dans le sien à coups de charme, de ruelles, pignons,  murs à pans de bois. Tout comme le paisible sourire de Marie Noël qui, du haut de sa statue, l’incita à demander qui elle était. Puis à acheter son premier recueil de poésies, Le rosaire des joies.  Elevée par un père qui l’avait préparée à accueillir la beauté des mots – Victor Hugo, Andersen, Hector Malot – elle se laissa imprégner de la plume fluide et heureuse de Marie Noël.

Son travail et la vie l’emportèrent dans d’autres villes, dont elle apprécia aussi les grâces et couleurs.  Et depuis 13 ans elle revient régulièrement à Auxerre, malgré une douleur qui y reste associée. La passion pour la grande poétesse, qu’elle déplore de voir s’effriter dans l’oubli de sa propre ville, lui a sauvegardé l’amour de la ville et de la région.  

Elle nous offre ici un tout beau texte, hommage à cette humble et noble dame.

"Je viens timidement vous parler de Marie-Noël, elle, qui tombe en disgrâce dans l'oubli presque qui nous ferait pleurer, tant elle fut grande Marie-Noël, tant elle interpella les consciences, tant elle mit en avant la chrétienté et mieux encore le Christ vécu à chaque pas de sa mémoire actée de son quotidien !


Je viens timidement vous parler de Marie-Noël, elle que je connais depuis mes 20 ans, il y a si longtemps ! Elle que je croisais au détour d'une rue Auxerroise au travers du regard de sa statue qui m'interpella de sa stature, me demandant alors "Mais qui est-elle pour ainsi nous regarder du haut de sa mort , si vivante, qu'elle me demanda d'aller au-devant d'elle , lire ses écrits ? "


Je regardais cette statue vêtue d'un long manteau noir, porteuse d'un parapluie qui pointait son petit chien assis à ses pieds. J'ignorais encore que je la rencontrerai vraiment, poussée jusqu'à l'émoi le plus profond, elle l'Auxerroise de mes rues fréquentées jusqu'à l'usure, de tous mes détours qui ont fait de mes auteurs des compagnons plus que des écrivains, plus que des philosophes, plus que des hommes, seulement des amis en partage à la lumière de mes nuits partagées avec le livre traversant la pensée qui s'est attachée tel un lierre à mon âme dévastée à laquelle chacun d'eux me voulait de résurrection ; la lumière dans la nuit, la nuit ensoleillée; le soleil apporté pareil à une aura couronnant ma tête. Elle fut d'eux.


Déjà ses livres se raréfiaient à la trouvaille des libraires, jamais réédités par le manque de lecteurs dans notre société galopante vers le matérialisme dont la conscience , très tôt, me creusait la ride pour ne pas vouloir l'épouser , Marie-Noël ne se lisait plus ! Marie-Noël restait ancrée au port d'Auxerre alors qu'elle avait interpellé tant de gens, tant d'écrivains célèbres de son siècle jusqu'au Général de Gaulle qui inclina sa tête par respect envers cette grande dame de la poésie, de l'écriture, venant la rencontrer en son humble maison car Marie-Noël restait humble .


N'avait-elle pas écrit pour les autres, tous les autres sans vouloir se mettre en avant, jamais ?!  Marie-Noêl n'avait que des pensées au travers du mot versifié à répandre dans le monde pour dire qu'elle n'était que la passante d'un monde qui va vers nous et que la regarder, elle, n'avait pas de sens puisque c'était son idée qui prévalait sur son humilité galopante !


Je l'ai aimée de suite, plus fort que mon humilité encore fausse. Elle avait de ses façons de vous regarder que la mémoire encore porte ces stigmates ! Non pas que je l'ai rencontrée vivante en son corps de chair mais dans sa mort éloquente : j'avais 10 ans à sa mort !


Dix ans à sa mort ! Vingt ans quand elle m'interpella en sa ville que j'ignorais encore avoir à arpenter un jour lointain en ma propre destinée au presque quotidien, en tous les cas toutes les fins de semaine !


Auxerre, ville superbe, sa ville, sa ville de souffrance qu'elle vous offre comme une crucifixion qui vous saisit et vous épouse. Epouser Auxerre, c'est dire oui à la souffrance qu'elle vous apporte sur un plateau doré tel un Graal qui transforme le plateau de la Sainte Table en une Coupe précieuse.


Jamais Auxerre ne me fit tant comprendre sa souffrance au travers de sa vie à la mienne reliée.


J'attendis encore quelques années avant de la lire pleinement. Je savais intérieurement qu'elle serait un choc puissant qui remue l'âme et incorpore les larmes dans la joie du rosaire.


Vivre avant de la lire pour s'avouer qu'elle a puisé dans notre destinée à venir à la sienne feue ce qu'elle voulait partager ! Elle m'a emportée. Elle savait déjà que du haut de son ciel je lui reviendrai à me conduire sans cesse sur ses pas, épousant les rives de l'Yonne comme autant de miroirs à mes lectures les jours d'ensoleillement.


Fallait-il être stupide pour ne pas reconnaître que mes pas ressemblaient à ses empreintes, allant jusqu'à sa maison que j'admirais sans savoir que c'était la sienne et que nul n'admirait plus parce qu'elle est devenue décatie de misère au temps qui l'attaque et que nul ne restaure, pas même la ville d'Auxerre qui en parle si peu et l'oublie. Combien de fois me suis-je posée devant sa façade, admirant je ne sais quoi ? Le temps m'a appris qu'elle me parlait en secret, ignorante de sa voix intérieure quand bien même je l'aimais.


Marie- Noël marche avec nous dans ces rues qui ont gardé leur empreinte de ses pas, de sa maison à la cathédrale. Ces rues qui pour la plupart n'ont pas changé de visage, les façades noires tellement vieillies, quasi cramoisies que nous nous croirions encore incarnés du début du siècle et mieux encore , des siècles précédents jusqu'au moyen âge, comme si Auxerre refusait de s'ancrer dans une époque précise, les épousant toutes.


Alors ! Alors! Je pris mes jambes avec moi pour une longue promenade, seule, un bouquet de roses anciennes à la main et tant d'autres dans le coeur, celles que ne vendent plus les fleuristes, sinon le mien pour moi, pour regarder l'Yonne d'un autre regard. L'Yonne que j'ai si peu aimée pour ses souffrances que les flots n'emportent pas, jalouse de les garder en ses entrailles de rivière qui coule sans remous, sous un sol de boue à laquelle on s'enlise !

L'Yonne, qui n'a rien d'autre à offrir que ses misères, son histoire de grands mystères qui a vu tant de drames que nul n'ose regarder tant l'horreur la visite; il a fallu une Marie-Noël pour espérer la réhabiliter dans sa poésie, dans ses méandres au détour de chaque ville !


L'Yonne, rivière sans flots, aux cents écluses, qui voit encore les péniches engranger le grain, et ses bateaux de tourisme, l'Yonne bordée de noyers aux fruits d'automne qui, peut-être, veulent nous rassasier d'espoir jusqu'au printemps, engrangeant les joies de l'été jusqu'à l'hiver pour mieux nous aider à la traverser ! Sur tes hanches, je me suis allongée souvent, lisant d'autre que toi; aimant Lamartine cher à mon défunt père et Hugo mon plus fidèle compagnon depuis que j'ai su lire à mes cinq ans.


Oh ! Marie- Noël ! Les as-tu vues ces lumières miroitant sur la surface de l'eau lorsque le soleil se couche ou dans le soleil de midi qui nous aveugle ? L'homme au prénom de la Pâques, avec moi, s'infiltrait au raies de sa brillance et les enfants aux destinées menaçantes griffaient sa rive de leurs rayons de leur bicyclette. Ils étaient blonds comme les champs de blés des champs auxerrois qui ont aujourd'hui préféré le colza au blé.


Marie-Noêl, je n'ai pas eu de petit frère à perdre dans son berceau, me voyant verser tes larmes sur les petits draps fins de lin blanc brodé de l'enfant que tant tu chérissais, ni de fiancé qui m'abandonna, tout cela les veilles d'une fête de Noël. J'ai eu d'autres drames que tu as vus et sur lesquels tu as souri comme une alliée qui me souhaita la bienvenue à ton chapelet dont les perles ne s'usent même pas à les harceler entre nos doigts !


Marie-Noël ! Puis je te dire que je déteste Auxerre autant que je l'aime ta ville ? La ville de toutes les dualités ! La ville des sourires authentiques comme des larmes qui deviennent sanglots ! Tant de drames se perpétuent dans ta ville , plus discrets, plus sournois au nom d'une société bien-pensante ! Est-ce pour cela que ta maison s'épuise sous ses colombages grisés et sa chaux ternie ?


Marie-Noël ! Tu es plus que ma famille , tu es plus que mon amie ! Tu es mon coeur qui chavire à la lecture de tes versifications qui nous font souvent chercher l'inspiration du souffle qui se respire avec difficulté lorsque tu absentes la césure pour mieux s'y pencher et chercher à rétablir l'équilibre de la respiration s'équilibrant à nos mots !


Je me suis assise sur la terre battue de ta demeure devenue tristement lieu à ranger des voitures et là, j'épie ton regard posé derrière une vitre de ce numéro 1 de la rue Marie Noël et tu me dis :
Allons ! Point ici ne restons assises ! Allons nous essouffler à la montée de nos rues si étroites, si galopantes dans leur montée !


Un souffle a enrobé mon bras comme si elle venait d'y poser le sien pour que je l'aide à monter encore vieille qu'elle est ! C'est tout mon bras droit qui s'est vécu enrobé de sa présence.
" Il te faut t'arrêter dans cette librairie antiquaire, viens, je vais te présenter ma famille, t'y faire découvrir mon écriture, celle qui écrivait de mon encre noire à la plume sergent major ! Allez entre, toi la timide, la plus que réservée ! Qu'as-tu à craindre ? "


Et Ô merveille, j'y rencontre quelques dames qui t'ont connue de ton vivant, toi, Marie Noël ! "

                                                                         
Béatrice Lukomski Joly