Que fut donc exactement la vie de ce météore, disparu à 31 ans on ne sait où, on ne sait comment ? A quoi ressemblait-il, cet homme qui aimait les mots et la mémoire du passé, les neiges d’antan, les ripailles et les bagarres… ?

On sait bien peu de choses, qui sont cependant peut-être l’essentiel, l’essence-même de ce grand poète qui ne fut Bourguignon que par le nom qu’il se choisit lui-même, puisqu’il naquit à Paris, et fut confié par sa mère alors veuve aux bons soins d’un tuteur, Guillaume de Villon, le chapelain de Saint Benoit le Bétourné. Tuteur dont il n’oubliera pas la douceur, qu’il évoquera comme son « plus que père », et dont l’amour et la patience sortiront l’impétueux François de maints ennuis dans lesquels il se retrouvera sans cesse.

Sous l’aile bienveillante de ce bon chapelain érudit, il accède donc aux études, et à 21 ans est Dominus Franciscus de Montcorbier, porte tonsure, bonnet et robe. C’est une médaille scintillante qui a pourtant son revers. Ombre et lumière. Les diplômés sans fonction sont marginalisés et hélàs n’ont d’autre recours que celui d’une vie malhonnête. L’Université de Paris est alors une sorte d’Etat dont les membres jouissent d’importants privilèges, en querelle avec Charles VII. Des bagarres éclatent sans cesse, les rues se gonflent de rixes et cris. Le désordre est roi. Les professeurs se mettent en grève… François s’en va alors passer son temps ailleurs, négligeant ses études et recherchant l’aventure. C’est avec amertume qu’il regrettera ces années de cigale dans son Testament :

Bien sçay, se j'eusse estudié
Ou temps de ma jeunesse folle
Et a bonnes meurs dedié,
J'eusse maison et couche molle.

Il est érudit, il pense, il a eu une certaine chance dans la vie, il a le don et le plaisir d’écrire. Mais le destin est là. Une altercation avec un prêtre lors de la Fête-Dieu – prêtre au sang chaud qui sortira une dague des plis de sa robe et lui en fendra la lèvre – finira par la mort du prêtre. La fuite du poète. Son pardon grâce à l’intervention du toujours bon et influent Guillaume de Villon. Et son retour à Paris. Pour se retrouver impliqué peu après dans le vol du Collège de Navarre, avec quelques mauvaises fréquentations, dont sa participation exacte est  incertaine. L’arrestation d’un des complices, qui parle, contraint alors Dominicus Franciscus de Montcorbier à l’exil, à se faire oublier. Six années dont on ne sait rien, sauf qu’il est passé à Blois, à la cour du duc Charles d’Orléans qui, pour occuper ses 25 années de captivité en Angleterre s’était mis à écrire des poèmes et se montrait accueillant envers ses semblables depuis son retour en France. Villon y écrira des vers mais s’y sentira un peu perdu, peu habitué à la vie de Cour. Il y compose une ballade qui déplaira au duc et il quittera Blois peu après.

C’est en 1461 qu’il réapparaît dans les registres de la loi. Il a 30 ans et est emprisonné. On ne sait pourquoi. Heureusement pour lui l’avènement du nouveau roi, Louis XI, apporte une amnistie à quelques prisonniers coupables de délits mineurs, et il revient à Paris où il se fait discret, l’affaire du vol au collège de Navarre n’étant pas oubliée. Il se met à rédiger le Testament, commençant par l’expression de regrets, constatant le résultat lamentable de sa vie dissolue : solitude, misère et une énergie envolée, une jeunesse gaspillée.

La ballade des dames du temps jadis fait partie de cette amère nostalgie. Arrêté pour un petit vol, c’est l’affaire du collège de Navarre qui lui retombe dessus. Il ne sera libéré qu’après avoir signé un document par lequel il s’engage à rembourser sa part du butin en trois ans. Mais désormais, plus personne de solide ne l’entoure. Il n’a que des compagnons mis au ban comme lui, voyous, querelleurs,  frimeurs… En bande on se moque des gens qui travaillent, qui suivent les règles, qui dorment, qui les regardent puis détournent les yeux. On chahute, on a le vin sot, la solitude qui sort en violence.  Il y a une rixe et il est encore arrêté. Injustement dira-t-il car il se serait tenu à l’écart. Mais désormais il a fait sa réputation et ses fréquentations. Il est soumis à la question de l’eau (l'accusé était attaché par les poignets et les chevilles à des anneaux scellés au mur, et on lui faisait avaler une dizaine de litres d'eau. Si ça ne suffisait pas, on lui en faisait avaler dix litres de plus) et condamné à être étranglé et pendu au gibet de Paris.

Face à sa mort et la fin de ses choix, abandonné à la peur il composera alors la fameuse Ballade des pendus, évoquant avec effroi les corps pourrissants.  Il a de la chance, et des protections sans doute, assez pour qu’on décide de le gracier à condition de ne plus le voir pendant 10 ans. Le 8 janvier 1463 il quitte Paris et les annales à jamais. Qu’a-t-il bien pu advenir de ce poète qui avait tant à dire, le disait, et qui soudain ne laisse plus une seule ballade ? La mort qu’il fuyait tant était-elle pourtant si proche, aussi proche peut-être que son ombre ?

Poète maudit, poète qui gaspilla son talent et ses chances, il laisse ses vers et ses mystères. Faisait-il partie des Coquillards, ces malfaiteurs qui sévissaient en Bourgogne et en Champagne, comme certains indices l’indiquent peut-être ?

De certain, il ne nous reste de lui que ce qui fut écrit : sa poésie et les documents légaux de ses arrestations et condamnations. Tout le reste… on peut y rêver et l’imaginer.

François des Loges ou François de Montcorbier, dit François Villon, 1431 – 1463 ( ?)


                                                                                Suzanne Dejaer