Il avait le culte de la différence. Un doux rebelle qui ne moralisait pas mais exprimait ses écoeurements. Un esprit libre, l’heureux homme ! Un homme dont l’amour du silence était notoire et  qui écrivait tout haut ce que bien d’autres voyaient tout bas.  Un misanthrope animé d’un zeste de cruauté lorsqu’il décrit tout ce qui se cache derrière les bonnes manières de ses semblables.

Il n’aime ni les exclusions  ni l’enfermement dans un genre de vie ou littéraire. Il parle peu et donc écoute et observe bien. Antoine Blondin expliquera : il était perdu dans vos pensées. Il aura aussi cette définition qui en dit long : Il disposait de beaucoup d'indulgence pour l'humanité tout entière. Sa fréquentation vous améliorait.  Il va où le porte sa curiosité, où le mène sa réflexion. Il critique, dénonce, explique, décrit, s’amuse.  Petit plumaillon, le définit Céline qui pourtant en fut impressionné et l’appréciait. Des paupières en capote de fiacre, le dépeint Arletty.

Un enfant de la campagne né dans une famille originaire du Jura. Il est le dernier de 6 enfants et son enfance est imprégnée de légendes où les fées sont si proches qu’on les entend rire, où des mondes merveilleux ouvrent leurs portes moussues à qui sait quel chemin suivre. Les animaux parlent et savent ce que les hommes ont perdu.

Marie-Odile, sa mère,  meurt quand il a deux ans, son père est maréchal-ferrant. Il s’en va vivre chez ses grands-parents maternels qui exploitent une tuilerie dans le Jura, dans le village de Villers-Robert. Il en fit ce croquis en 1915.

 

Son grand-père, l’anti-clérical et radical Auguste Monamy, préside avec panache les repas pris en famille avec les journaliers. Ce n’est qu’à la mort d’Auguste que sa grand-mère ose faire baptiser le petit Marcel qui a alors 7 ans. C’est entre les murs et sur les pâturages de ce village, sous sa brise et ses nuages, qu’il mettra en scène, bien plus tard, La jument verte, GustalinLa table aux crevés et La vouivre.  

Il rencontre celle qui deviendra sa femme à Dole en 1921. Elle est mariée, Marie-Antoinette, et a une petite fille. Elle a aussi son humour, ses idées, son courage et il l’aime avec passion malgré le scandale. En 1929, enfin, elle obtient le divorce et ils peuvent donner le charme du quotidien et de l’officiel à leur amour. Ils se marieront en 1931, dix ans après s’être connus.

A 23 ans il arrive à Paris, « petit provincial cornichon », où il est tout d’abord employé de banque, agent d’assurance et puis journaliste, avec l’aide financière d’une tante qui aimerait lui permettre de ne se consacrer qu’à son talent d’écriture qui lui vaut la publication de Brûlebois. Mais c’est  la parution de La jument verte – après d’autres livres dont La table aux crevés qui lui valut le prix Renaudot en 1929 - qui lui fait abandonner tout ce qui n’est pas la littérature. Il constate avec amertume combien le monde est mesquin, petit. Son écriture trempe sa plume tour à tour dans le merveilleux avec des personnages pittoresques et drôles, dans le langage populaire, dans les légendes, dans le réalisme fantastique. On pourrait d’ailleurs croire qu’il joue et jongle avec les mots et la fantaisie, avec ces animaux qui maîtrisent les mathématiques, ces fonctionnaires anodins qui passent les murailles, les fées qui s’énamourent de paysans, alors qu’en fait il met en scène une société décevante et combat les idées reçues. Ses héros ne maîtrisent jamais leur destin, enfermés dans le déterminisme social, écrasés et n’ayant que la seule possibilité de suivre la voie tracée par leur contexte culturel ou, s’ils enfreignent les bons usages, échouent dans l’amertume, voire la mort.

Il s’amuse à plusieurs disciplines littéraires, le roman, les nouvelles, les dialogues ou scenarii de film ainsi que le théâtre. Un homme qui dit peu avec la bouche et est intarissable dans l’écriture. Il sera souvent adapté au cinéma : Le passe-muraille en 1950, La table aux crevés en 1951, La traversée de Paris en 1956, Clérambard en  1969 et d’autres…

Libre, il l’est, et de changer d’avis ou de ne pas sonder l’opinion de qui lui plaît. Il ne se reconnaît dans aucun courant politique. En octobre 1935 il signe le Manifeste des intellectuels français pour la défense de l'Occident et la paix en Europe, qui soutient Mussolini dans la guerre d’Ethiopie. En 1939 il ridiculise le système nazi. Pendant l’occupation il s’entend bien avec Louis Daquin, un réalisateur marxiste, tout en publiant – sans orientation politique - dans des journaux collaborationnistes.  Il refuse la légion d’honneur parce qu’on l’a accusé d’avoir favorisé les desseins de l’ennemi…  Il soutiendra jusqu’au bout, avec d’autres intellectuels et artistes, Robert Brasillach, qui sera pourtant fusillé en 1945.

Il dérange, Marcel Aymé. Il voit trop clair et décrit le spectacle sans demi-mesures. Il révèle la France de son temps au scalpel et ça ne plaît guère. Le marché noir, les vengeances, la collaboration, la délation. Il attaque la peine de mort, se méfie des Etats-Unis. Il connaît l’amour et ses pièges. Il  aime les belles qualités, l’amitié, la camaraderie, le dévouement, et les met en scène également, en pleine lumière dans la noirceur du reste. On le descend en flèche ou l’encense, le baromètre n’est jamais paisible. Mais il est libre.

C’est le cancer qui l’emporte, trop tôt, à 65 ans à peine.

« Ses compagnons suivirent son convoi et, en sortant du cimetière, s’attablèrent dans un café où on leur servit à chacun, contre un ticket de cent grammes de pain, un sandwich aux topinambours. Ils n’avaient pas fini de manger que l’un des convives fit observer qu’ils étaient treize à table et qu’il fallait s’attendre encore à des malheurs ». Le passe-muraille, 1943


Né à : Joigny , le 29/03/1902
Mort à : Paris , le 14/10/1967

                                                                                 Suzanne Dejaer

 

Le passe-muraille, sculpture de Jean Marais