1536 sans doute, à Lamargelle en Côte d’Or… C’est alors que Jean de Léry commença une vie dont personne n’imaginait alors les dangers futurs… Comme à tous les bébés on lui souhaita des années de paix, une vie simple et travailleuse, une belle descendance et un chapitre final serein et sans taches.

Ce grand voyageur, à une époque où les « grands voyages » étaient vraiment grands en temps,  dangers, surprises arriva pourtant à l’âge non négligeable de 77 – ou 79 ! - ans pour s’éteindre en Suisse.

Il n’est pas né dans l’aisance et c’est le métier de cordonnier qu’il choisit pour mettre le pain quotidien dans sa bouche. Mais pour le pain de son âme, ce fut la réforme qui emporta ses élans, cette réforme protestante qui voulait revenir aux sources pures du christianisme. La guerre de religions entre catholiques et protestants qui mettait la France à feu le conduirent à quitter sa Bourgogne natale pour Genève en Suisse, d’où Calvin l’envoia avec treize autres rejoindre la France Atlantique de Nicolas de Villegagnon, une toute nouvelle colonie française qui sera aussi éphémère que la trace d’une étoile filante. Jean a 21 ans à peine, peut-être 23. Ils partent pour établir le pur service de Dieu. Son plus grand voyage jusque là avait été  de se rendre à Genève. Et le voilà embarqué, depuis Honfleur, pour la baie de Rio de Janeiro. S’imagine-t-il le monde au-delà des mers que peut chevaucher un bateau dont les mâts claquent au vent et à la pluie ? S’imagine-t-il des gens qui ont une autre couleur que lui, des terres où d’autres choses poussent et courent, où la vie sociale est … païenne, sans ordre, constellée de beauté ? Imagine-t-il des nuits noires traversées de cris inconnus, des mets succulents ou abominables ? Comment pouvait-on alors, en 1557, à 21 ans d’une vie peu instruite et bien industrieuse déjà, imaginer ce vers quoi on allait voguer ?

Jean participe au voyage en tant que cordonnier, et accompagne deux pasteurs, un jeune étudiant en théologie de Genève et neuf autre personnes. L’expédition, composée de trois navires, comporte près de 300 personnes dont… 5 jeunes filles qui doivent se marier au Brésil.  Et… en expédition la règle est réussir, si bien que les navires n’ayant pu se ravitailler aux Canaries comme prévu, c’est en attaquant des navires espagnols et portugais qu’on mit de quoi manger sur les tables. L’eau et la nourriture furent quand même rationnées. Jean est stupéfié. Il voit des marsouins, des baleines, des poissons volants. Il observe tout.

Arrivés sur place, il faut se faire une raison : l’entente avec les Français catholiques ne dure pas, et les protestants sont chassés de « l’île Coligny » et doivent se débrouiller avec les Indiens Tupinambas. Ils finiront pourtant par être chassés du Brésil et rentrer en France.

Mais ce sera déterminant pour Jean de Léry. Il sera touché par la grâce de ces « aimables sauvages » anthropophages et rieurs. Peints et noircis par tout le corps.  Il est conscient de leur beauté et de leur sauvagerie. De la beauté même de leur sauvagerie. De leur nudité, belle. Ils pratiquent une charité naturelle dénuée d’hypocrisie. Pour lui, ils vivent dans une sorte d’Eden. Mais ils sont aussi extrêmement cruels, pour lui : ils tuent leurs ennemis et les mangent. Non, pas aussi simplement que ça. On choisit à l'ennemi une femme dans la tribu – si elle en veut – et il en est le domestique, tandis qu’elle l’engraisse. Quand il est dodu à point… on le déguste.  L’épouse obtient le meilleur morceau et tout le monde participe au festin, en toute ingénuité.  Il y voit une sorte de respect de l’ennemi vaincu. Il en a peur parce qu’il ne sait pas comment ils fonctionnent vraiment, mais en même temps… il les respecte, même si, les considérant « païens » il comprend mal leur peur du tonnerre et du diable.

Et, vrai précurseur, il sent que le colonialisme ne se justifie pas. Il apprécierait le fait de rester parmi ces « bons sauvages ».

De retour en France, Jean de Léry se met à la rédaction de deux livres importants :

   Le livre sur le Brésil est une réaction à un autre livre paru peu avant et « farci de mensonges » (Les singularitez de la France antarctique, autrement nommee Amerique, & de plusieurs terres et isles decouvertes de nostre temps, publié en 1557, d’André Thévet). Il combat l’idée répugnante que Thévet donne des Tupinambas parce qu’ils sont cannibales.  Lévy laisse transparaître le respect et l’admiration qu’il a éprouvés pour ce peuple malgré, oui, ce cannibalisme qui, selon lui, est uniquement affaire de vengeance.  Maintenant, il faut préciser que… Thévet était catholique et Léry protestant. Par comparaison avec celles de Thévet, ses images critiquent le massacre de la Saint-Barthélemy (1572). Le cannibalisme des ennemis pratiqué par les Tupinambas est un rite traditionnel et guerrier, alors que le massacre des protestants a consisté à tuer sans raison ni rite des milliers d’innocents et de civils. Léry montre avec ses images que les cannibales du Brésil sont en fait plus civils ou humains que les catholiques qui ont massacré les protestants. (Wikipédia)


A son retour en France, les guerres de religion font encore rage et il doit se réfugier à Sancerre après le massacre de la Saint Barthélémy en 1572. Il y connaît la famine et… retrouve l’anthropophagie en voyant un couple affamé manger son enfant. Il en parle dans son livre sur le siège de Sancerre.

Jean de Léry et ses émotions d’homme dont l’unique parti-pris était d’ordre religieux mais l’ouverture d’esprit si grande – comme son grand voyage au pays des Tupinambas – disparaissait dans l’oubli, comme si hélàs ces observations mi-séduites  mi-horrifiées  avaient été absorbées dans le néant. Jusqu’à « Tristes Tropiques » de Claude Lévi-Straussqui en fera l’éloge et considère son récit « un chef d’œuvre ».

En vidéo, un film brésilien … « Qu’il était bon mon petit Français »…

                                                                                            Suzanne Dejaer