Charles, comte de Charolais, fils de Philippe le Bon (Philippe III de Bourgogne) et d’Isabelle du Portugal, né le 11 novembre 1433 à Dijon. Un des fils, devrait-on dire, car avec trente maîtresses connues et les autres de son don juan de père, il n’est que le troisième fils légitime. Et deviendra vite l’aîné puisque ses prédécesseurs, Antoine et Josse, meurent dans l’enfance. Charles est sans doute un enfant sur la beauté duquel on ne s’extasie pas, et il est violent et despotique, d’humeur sombre.  « Chaud, actif et despit, et désirant en sa condition enfantine à faire ses voulontez à petites corrections » . Et bien différent de son coureur de jupons de père, car Charles sera fidèle, chaste, pieux et réputé pour son honnêteté. Mais loin d’être un bon-vivant, son austérité et rigueur ne le font pas aimer.

 

C’est un Bourguignon, Charles. Et un fonceur. Un téméraire comme le proclame le nom qui le suivra.

 

A l’âge de six ans il s’est marié – enfin… il serait juste de dire qu’on l’a marié ! - avec la jeune Catherine de France – aussi dite Catherine de Valois -, qui elle a douze ans. Elle est fille de Charles VII et de Marie d’Anjou. Cousine de son père Philippe le Bon. Et sœur du dauphin de France, le futur Louis XI. L’araigne.

 

Six ans après elle meurt à Bruxelles. Le poète de la cour des ducs de Bourgogne, le Bourguignon Michault Taillevent, compose en cet honneur le Lai sur la mort de Catherine de France… Voici donc un enfant de douze ans veuf de sa première épouse.

 

Et il y avait quelque chose qu’on appelait alors les Pays-Bas Bourguignons. Et ça a disparu dans des remous aussi vénéneux que violents mais … pas la trace, pas  l’empreinte…  pas le souvenir des bonnes et mauvaises choses qui, de paire, donnent leurs couleurs à l’Histoire.

 

La dynastie des Valois des ducs de Bourgogne - la dynastie des Capétiens, dont faisait partie Marguerite de Bourgogne, comtesse de Tonnerre, s'était éteinte - avait, entre les XIVème et XVIème siècles, acquis les provinces des Pays-Bas qu’ils désignaient alors d’États de par-deçà pour les différencier des États de par-delà qui se trouvaient plus au sud de la Bourgogne.

 

Les Bourguignons n’auront pas la vie facile dans leur annexe du nord. Pourtant la région connait alors une période de prospérité qui permettra le développement des arts, de la culture – suppression de la jachère et introduction des herbes fourragères – et du commerce. L’architecture se ressent d’une évolution vers des formes ogivales plus légères, et on voit surgir un peu partout la « dentelle de pierre » et le gothique flamboyant. La peinture grandit : on abandonne les miniatures pour les panneaux de bois et de toile, l’huile, le souci des détails et de paysages des maîtres flamands. Mais la politique centraliste des Bourguignons leur vaut la grogne de la part des communes qui tentaient de garder leur indépendance. Gand et Bruges se rebellèrent contre Philippe le Bon mais Charles lui, plus dur et moins diplomate, exige des subsides écrasants pour financer ses guerres. Il veut être craint et se fiche d’être aimé, pourvu qu’il ait ce qu’il veut et puisse suivre ses ambitions.Et aimé, il ne l'est certainement pas.

 

Et donc, en dehors des mutliples rebondissements de l'éternelle querelle entre Louis XI – cousin de son père et frère de son éphémère épouse – et lui, il se retrouve tout naturellement à vivre dans l’actuelle Belgique – pays de bière plus que de vin – et, à dix-neuf ans à peine, est déjà en train de combattre à Gand les Flamands qui se sont soulevés, avec une brutalité qui restera légendaire.

A 21 ans il fait un mariage d’amour. Un mariage du cœur qui le comble. Oui, il est séduit par sa cousine de 17 ans, la jolie Isabelle de Bourbon fille d’Agnès de Bourgogne et de Charles 1er de Bourbon.

 

Elle lui donnera, à Bruxelles, sa fille unique, Marie de Bourgogne - Duchesse de Bourgogne, de Brabant, de Limbourg, de Luxembourg et de Gueldre, Comtesse d'Artois, de Flandre, de Hainaut, de Hollande et de Zélande, de Zutphen, Comtesse palatine de Bourgogne - et il lui sera fidèle. Le couple s’installe en Hollande mais l’enfant passe ses premières années dans le Pas-de-Calais puis, alors qu’elle a environ six ans on décide qu’il est plus prudent – à cause de l’inimitié avec Louis XI, son parrain pourtant – de l’envoyer près de Gand.

  

  

 

               Isabelle de Bourbon

Malheureusement Isabelle de Bourbon ne survit pas à la tuberculose qui l’emporte à Anvers, à peine âgée de 28 ans.  Trois ans plus tard Charles épouse Marguerite d’York (Plantagenêt) née dans le Northamptonshire.

 

La foule tombe follement amoureuse de cette délicate nymphe pâle aux longs cheveux d’or ondulant bas sous sa taille lors de son fastueux mariage à Damme près de Bruges, là où les belles et austères dames flamandes portent le hennin et la mine sombre. Elle sort d’une tapisserie de légende, d’un Gobelin incomparable… Ils n’auront pas d’enfants et Marguerite sera la douceur féminine qui manque dans la vie de la jeune et jolie semble-t-il si on se fie aux portraits – Marie.

 

  

Marie a beau n’être qu’une petite fille, elle reçoit comme il se doit pour une petite fille aussi importante sa première demande en mariage alors qu’elle n’a que 5 ans. Par parents interposés, heureusement. Mariage d’alliance politique naturellement, et si Dieu est très généreux, un peu d’amour s’y glissera ainsi qu’une descendance. Jean II d’Aragon aimerait en effet obtenir la petite main potelée pour celle de son fils, celui qui deviendra Ferdinand le Catholique, et marquer ainsi une alliance contre Louis XI.  

 

Un autre prétendant fut Charles de France, petit frère de Louis XI et de Catherine de France, la première épouse de son père. Charles est le chouchou de ses parents, myope, faible et de caractère changeant, il finira par mourir de la syphilis bien plus tard. Elle l’a échappé belle, Marie… Louis XI, affolé, cherche à court-circuiter son frère et demande la main de la fillette pour son propre fils, âgé d’un an…  Reste le prétendant qui, si choisi, aurait peut-être garanti une continuité territoriale des Etats bourguignons : Nicolas Ier, duc de Lorraine mais il mourut célibataire et sans doute empoisonné par ordre de  Louis XI.  

 

Marie est jolie et son père puissant. Et voilà qu’à 20 ans la tragédie fait d’elle une héritière extrêmement riche : son intrépide père est tué sous les murs de Nancy en affrontant le duc René II de Lorraine. Son corps nu est retrouvé dans la neige, le crâne fendu jusqu’à la mâchoire par un coup de hallebarde, une joue grignotée par les loups.On le reconnaîtra grâce à une cicatrice gagnée dans une autre bataille.

 

 

 

 

 

 

 

 Il n’a atteint que 44 ans. Une vie remplie de guerroiements, complots, rebellions à étouffer – notamment celles des Gantois et puis celle des Liégeois qui coûta la vie des célèbres 600 Franchimontois lorsque, tentant d’attaquer son camp sur les hauteurs de Liège (hauteur que la légende place aujourd’hui à la « montagne de Bueren », haute de 374 marches) ils furent massacrés par ses hommes -, ambition illimitée, dangereux emploi de mercenaires pas toujours payés en temps voulu, ce qui se retournera contre lui.

 

 

 

 

Liège, montagne de Bueren

Sa dépouille, après avoir été exposée, sera inhumée dans la collégiale Saint-Georges de Nancy qui n’existe plus pour, en 1550 et à la demande de son petit-fils Charles Quint, être déposée à Notre Dame de Bruges. Philippe II, fils de Charles-Quint, lui fit faire un tombeau majestueux.

Marie est jeune, bien trop jeune. Louis XI lui reprend sans attendre – pas de filleule qui tienne ! – la Bourgogne, la Picardie, l’Alsace, la Lorraine, Liège et d’autres territoires. Les Gantois en profitent pour se révolter et font décapiter, malgré ses courageuses supplications devant l’échafaud, ses deux meilleurs ministres.

Elle épouse alors l’ambitieux Maximilien de Habsbourg, l’archiduc d’Autriche, ce qui empêche Louis XI de s’emparer aussi des Pays-Bas, qui passeront sous la domination de la maison de Habsbourg et change la géographie de la France.

On les dit heureux. Ils ont eu trois enfants, Philippe le Beau – le futur père de Charles-Quint - , Marguerite d’Autriche et un petit François qui s’est éteint à quelques semaines à peine.

 

Marie, au cours d’une chasse au faucon avec son époux, fait une chute de cheval dans la forêt de Wijnendaele à Bruges et en meurt quelques jours plus tard. Elle n’a que 25 ans. On l’enterre dans l’église Notre-Dame à Bruges où elle git auprès de son père dans un superbe tombeau de Jan Borreman. Ils sont représentés allongés, les mains jointes et les yeux ouverts pour contempler la vie éternelle. Aux pieds du père, un lion, symbole de la force masculine et aux pieds de Marie, deux petits chiens, symbole de la fidélité féminine. Son visage fut modelé sur le masque mortuaire. Une inscription sur la tombe indique que le cœur de Philippe le Beau, son fils, est conservé dans un autre lieu.

Bien des années plus tard, Louis XV aurait commenté, devant cette même  tombe, « Voilà l’origine de toutes nos guerres ! »

 

                                                                                           Suzanne Dejaer