Ce qui faisait traverser l’océan aux conquérants du Nouveau Monde n’était pas le rêve du travail mais celui de la terre à posséder, celle qui assurerait leur descendance. Cette terre qu’on leur offrait à si bon prix et qui était si vaste. En 1680 un paysan du pays de Galles pouvait payer la traversée à toute sa famille vers la Pennsylvanie pour 10 livres, et acheter 250 acres de terre pour 5 livres de plus alors que pour installer un seul de ses enfants en Angleterre il lui en aurait coûté 7.  La décision d’entreprendre la traversée et de donner à la famille un nouveau souffle se faisait donc bien naturellement. Mais il fallait de la main d’œuvre pour travailler ce grand et sauvage morceau de monde, et là où un travailleur européen aurait coûté 280 guilders par an, un esclave acheté 300 guilders travaillerait à vie…


Au début, les Noirs qui furent importés dans les Etats du nord avaient souvent le statut nébuleux de « serviteurs » qui auraient droit à leur liberté au bout d’un certain nombre d’années de travail. L’esclavage tel quel était en déclin dans l’ancien monde depuis le moyen-âge et sans doute est-ce la raison pour laquelle on hésitait à le transposer officiellement, avec son vrai nom. Cependant le vrai nom – esclavage – fut peu à peu légalisé dans des documents en 1641 au Massachusetts, à New Plymouth et Connecticut en 1643, Rhode Island en 1652. Et donc, la puritaine Nouvelle Angleterre avait bel et bien des esclaves une génération avant le sud ! En 1664 le Maryland déclara que tous les Noirs qui s’y trouvaient ainsi que tous ceux qui seraient importés et leur descendance seraient possédés à vie. Les états de New York et du New Jersey eurent la légalisation de l’esclavage après 1664 en passant sous le contrôle anglais. En 1700 c’est la Pennsylvanie qui suivit avec une loi. 


Les esclaves alors provenaient non pas d’Afrique mais bien des Barbades, de Curaçao ou de la Jamaïque où ils avaient déjà été formés au travail et aux habitudes des patrons depuis leur arrivée sous les Espagnols qui les avaient achetés notamment à John Hawkins, cet Anglais qui dès 1562 avait compris le bénéfice que l’esclavage apporterait : en échange d’hommes, il ramenait en Angleterre des perles, du sucre et du gingembre. La Reine Elizabeth s’indigna que des hommes étaient ainsi emmenés sans leur consentement, ce qui apporterait certainement les foudres célestes. Dès lors, Hawkins justifia son « commerce » par le désir d’apporter aux Noirs la religion et les bienfaits de la civilisation.


 

 

Dans les Etats du nord on possédait environ 2 esclaves par maisonnée tandis que les domaines avec 50 ou 60 esclaves étaient rares et se trouvaient dans la vallée de l’Hudson, l’est du Connecticut et la région de Narrangasett en Rhode Island.  Mais les longues périodes d’hiver transformaient ces esclaves en « bouches à nourrir » lorsque le travail au dehors n’était pas possible. (Source ici

 

 


Dans le New Jersey par exemple, les colons anglais qui s’y répandirent après leur prise de pouvoir sur les Hollandais en 1664 eurent une politique très déterminée sur l’esclavage : chaque homme qui importait alors des esclaves dans l’Etat recevait 60 acres de terre par esclave. On veillait jalousement à ce que ceux qui vivaient du trafic d’esclaves soient payés, ce qui en fit un des commerces les plus recherchés dans l’Etat.

   

 

 
Le noble motif de la guerre de sécession – 617.000 morts !!! – se veut être l’abolition de l’esclavage. Or le nord avait eu des esclaves bien avant le sud, et les bons et pieux Quakers bien-pensants ne se sont fait entendre que bien plus tard qu’on n’aurait pu s’y attendre si leur conscience s’y était opposée. Le nord, d’ailleurs, n’est pas moins raciste que le sud. Non.


Plusieurs prétextes bien moins purs sont évoqués :


La question de la barrière douanière …. (Source ici)


L’industrie du Nord ne peut se développer si elle reste en concurrence avec l’industrie anglaise alors triomphante.


Il faut donc établir une barrière douanière pour que l’industrie du Nord puisse atteindre elle aussi l’âge “adulte”.


Le poids du Nord étant prépondérant dans les décisions au niveau de l’Union, la barrière douanière sera établie.


Le grand perdant dans l’affaire sera le Sud qui lui ne parviendra plus à vendre sa seule richesse : le coton.


Le Sud ne peut plus rester au sein de l’Union si il veut survivre, il va donc faire Sécession, comme d’ailleurs la Constitution le lui permet... du moins sur le papier ...


Le Nord ne peut pas admettre cette Sécession pour plusieurs raisons :


• il va y perdre le “marché captif” du Sud.
• deux pays sur un même territoire sont sources de conflits ; l’exemple des guerres perpétuelles en Europe est là pour le rappeler.
• accepter aujourd’hui une Sécession, c’est en accepter demain une autre ....bref, à terme, c’est la mort de l’Union.


Les deux causes sont inconciliables, et la guerre est donc forcément “au bout”.


Dans cette lettre du 20 octobre 1861 rédigée à Londres par K.Marx et F.Engels, on explique que :

« Avant tout, il faut rappeler que la guerre n'a pas été provoquée par le Nord, mais par le Sud.  Le Nord se trouve sur la défensive. Pendant des mois, il a regardé sans broncher les sécessionnistes s'emparer des forts, des arsenaux militaires, des installations portuaires, des bâtiments de douane, des bureaux de paierie, des navires et dépôts d'armes de l'Union, insulter son drapeau et faire prisonniers des corps de troupe entiers. Finalement, les sécessionnistes décidèrent de contraindre le gouvernement de l'Union à sortir de sa passivité par un acte de guerre retentissant, et c'est pour cette seule raison qu'ils bombardèrent Fort Sumter près de Charleston. »


Dans son livre « Les pays lointains », Julien Green, « sudiste », évoque brutalement lui aussi la réalité de la question de l’esclavagisme et de la guerre de sécession. Le livre s’attaque à la version très répandue aujourd’hui du «bon Nord anti-esclavagiste», alors que le Nord était précisément à cette époque dans un développement industriel massif où la présence d’une main d’œuvre bon marché comme des esclaves libérés ne pouvait qu’être un bonus économique.


Le 7 janvier 2008, le New Jersey sera le premier Etat du nord-américain à s’excuser pour l’esclavage par une résolution exprimant « le regret profond » pour son rôle dans l’esclavage et ses conséquences. L’esclavage y avait été aboli officiellement en février 1804 – on garantissait la liberté de tout enfant né d’esclaves après le 4 juillet, et les adultes devenaient libres à 25 ans pour les hommes et 21 ans pour les femmes -  mais des esclaves y subsistèrent jusqu’en 1866.


Quant à la France, l’esclavage avait été aboli lors de la révolution puis rétabli par Napoléon en 1802 et enfin,  définitivement aboli en avril 1848 par le gouvernement provisoire de la deuxième république sous l’influence de Victor Schœlcher, qui s’était lentement fait à cette idée. En effet, il n’y vint que graduellement : « En 1830, dans un article de la Revue de Paris, « Des Noirs », il demande ouvertement de laisser du temps aux choses. Cette vision de l'abolition se retrouve en 1833, dans son premier grand ouvrage sur les colonies : De l'esclavage des Noirs et de la législation coloniale. Pour lui, il serait dangereux de rendre instantanément la liberté aux noirs, parce que les esclaves ne sont pas préparés à la recevoir. Il souhaite même le maintien de la peine du fouet, sans laquelle les maîtres ne pourraient plus travailler dans les plantations. Il faut attendre un nouveau voyage dans les colonies pour qu'il se tourne vers une abolition immédiate. » (Source Wikipédia)

                                                                                             Suzanne Dejaer