Né sous le signe du Calvados, dont il eut les lèvres bénies lors de son baptême normand sur le voilier Liberté, mort sous le signe du Bourgogne à Vézelay dont il choisit la douceur pour la fin de sa vie. Et, toujours amoureux de la liberté, sa tombe dans le petit cimetière (*) au pied de la basilique porte une petite phrase qui déborde vers le monde : Il aima la liberté, et est orientée de telle sorte que ses visiteurs aient le regard caressé par la splendeur du paysage. Il avait découvert ce berceau où s’étendre pour l’éternité en 1958 et s’était laissé envoûter par la simple et majestueuse beauté de l’histoire et la nature.


Un normand, fils d’un armateur, Paul-Hubert Fouchet qui, lors de la première guerre mondiale, ambulancier en première ligne à Verdun, s’était proposé  d’aller rechercher les blessés agonisants, encourant le risque des nappes de gaz. Il en était revenu les poumons brûlés, ce qui lui fit chercher, en 1923, la clémence d’autres cieux en Algérie. Il mourra alors que son fils n’a que 16 ans, tandis que dans la cour des enfants chantent une ronde…


La douleur du jeune-homme le déchire… l’injustice de la mort précoce de son père le rongeait, et il avait rêvé de vengeance  contre les Allemands. Son père alors l’avait mis en garde : Il me parla comme dans un souffle.    « Mon petit, dit-il, mon petit, tu es encore si jeune, je te comprends, mais ce n’est pas ce qu’il te faudra faire… les peuples, les pauvres peuples, vois-tu sont tous des victimes. Tous… Jure-moi plutôt de lutter contre ceux qui les conduisent à la mort… ». Il se tut, sans doute pour reprendre forces, puis il ajouta:   «jure-moi aussi de tendre la main aux Allemands, par-dessus ma tombe ». (source ici)


Ce fut le moteur de sa vie. En 1930, à 17 ans,  il fonde la section algérienne des jeunesses socialistes. Il crée le journal politique et socialiste « NON » qui sera publié de 1932 à 1934. En 1939 il fonde une revue qu’il baptise Fontaine en hommage à Nietzsche qui fait dire à Zarathoustra : « Mon âme est une fontaine jaillissante », revue de résistance intellectuelle française contre le nazisme.  Elle publie des écrivains résistants à Alger et deviendra rapidement sous l’Occupation la tribune de la résistance intellectuelle française grâce à de nombreux écrivains engagés. Il est déjà ami de Camus rencontré en faculté de lettres. (Source Wikipédia). En juin 1942, à son insistance, Paul Eluard y laisse publier son poème Une seule pensée, connu sous le nom de « Liberté ».

 


Parallèlement, il avait donné à sa vie la direction qu’il voulait. Il voulait être prolétaire. Il fut peintre en bâtiment, puis mousse sur un cargo qui reliait Alger au Havre. Il recherchait la mer de son origine. « La nécessité, par moments impérieuse à un point inimaginable, de sentir que le sol n’est pas stable, qu’il bouge et que je bouge avec lui, accordé ou désaccordé, qu’importe, cette nécessité est violente comme un désir sexuel. » (source ici). Il attendait, disait-il, du voyage ce que Gérard de Nerval appelait « vérifier ses rêves ». Et il ne guérit jamais de la souffrance du retour : Voici ma souffrance, alors que l’avion, longeant le rail du Nil, me ramène en Europe : j’ai vu, le mot est exact, l’innocence, et je remonte à chaque tour d’hélice, vers la terre des culpabilités, vers les états, les églises, les édifices où, depuis des siècles, l’homme juge l’homme, fait peser sur soi les polices temporelles et spirituelles, toutes les formes de la surveillance. Je remonte vers l’empire du verdict, où s’élève trop rarement la protestation : « je ne suis pas coupable » (source ici).

 

Pendant 5 ans il parcourt le monde. Les peuples nus, paru en 1953, témoigne de sa fascination pour l’Afrique noire et son mode de vie communautaire. Il chante le Mexique avec Terres indiennes, paru en 1955. L’Inde et son érotisme à la fois lourd et subtil le séduisent et il livre ses impressions en 1957 dans l’Art amoureux des Indes. Il sort encore Portugal des voiles en 1959. Tous ces livres sont illustrés de photos qu’il a prises lui-même.


Et puis bien sûr… Il y a l’homme de la télévision ! Voix claire et débordante de vie, pas de lecture de notes, le direct avec tous ses risques et gageures. Lectures pour tous de 1953 à 1958, une émission phare de la vie culturelle d’avant 68, Terre des Arts de 1959 à 1971, Italiques de 1971 à 1974, Les impressionnistes de 1974 à 1975. A la disparition du direct il s’éloignera de la télévision.

 

 


L’amour… oui, aussi. Et c’est la mer qu’il aimait pourtant qui y met fin. Alger, 1941. De façon obsessive il écrit inlassablement des poèmes qui unissent amour mer et mort. (On peut les lire dans le recueil Demeure le secret). Guidé par cette insistance de l’esprit, il termina par un poème décrivant la mort de Jeanne Ghirardi, son épouse depuis un an à peine. Une jolie brune souriante, professeur de lettres. Ils en sont inquiets tous les deux, ne comprenant pas. En janvier 1942 elle doit se rendre à Paris pour y retrouver Aragon et Elsa Triolet et présenter son agrégation  de lettres. Elle s’embarque sur  le Gouverneur-Général-Lamoricière, un vieux bateau sur lequel le mazout, trop rare, est remplacé par du charbon. Alors que le bateau s’éloigne du quai Max-Pol a une vision : les lettres Lamoricière se décomposent sous ses yeux et il lit La mort ici erre. Pendant la nuit une tempête se lève et le bateau qui fonctionne au charbon n’a pas la vitesse pour manœuvrer contre les vagues de 10 mètres. A 6 heures du matin… Max-Pol apprend le naufrage au large des Baléares. Il n’a même pas lu la liste des rescapés, sachant que Jeanne était morte.

 

(*)

"... Jamais elle n'avait vu nécropole plus poétique que le vieux cimetière de Vézelay : une prairie anarchique, bordée d'arbres, avait fait pousser des stèles dans un hamonieux désordre. Le long du mur d'enceinte, dans des mausolées blancs habillés de lierre et de lichen, le public couché regardait en se reposant et, tels deux gardiens paisibles mais vigilants, Jules Roy et le couple Zervos étaient allongés à l'entrée..."

(Frédéric Lenoir, La Parole Perdue)

Max-Pol Fouchet, écrivain, journaliste, poète, photographe, homme de radio, historien de l'art, ethnologue, etc.

 

                       Suzanne DEJAER 

 

                                                                                             

 

 

 

 

Le vieux cimetière de Vézelay (photo jlhuss)