Un homme « chagrin et rêveur », un peu mystique, doté d’un grand sens d’observation, médecin dans l’âme et le dévouement qui soignait les pauvres gratuitement dans les hôpitaux de Québec et de Montréal. Curieux de tout. Peu mondain et de santé fragile. Taciturne et pessimiste. Un « remarquable oublié » comme le décrit Radio Canada puisque même le portrait peint par Pierre Mignard n’est peut-être pas le sien mais celui d’un autre Michel Sarrazin…

 



C’est à Nuits-sous-Beaune qu’il est né, le 5 septembre 1659. Son père était Claude Sarrazin, fonctionnaire à l’abbaye de Citeaux.


Il arrive en Nouvelle-France en 1685, en tant que chirurgien de la marine. Dès septembre 1686 il est nommé chirurgien major des troupes, fonction qu’il remplit à Montréal et à Québec mais aussi en terre Iroquoise (Iroquoisie).


La vie religieuse semble lui avoir été suggérée par certains et il se retira pendant un moment dans un séminaire pour être prêtre. Mais des lettres provenant des archives des sulpiciens et datées de 1694 et 1695 montrent l’étonnement de Louis Tronson, supérieur général : « Je ne sais pas les raisons qui vous portent à retenir au Séminaire M. Sarrazin infirme et exerçant encore son métier de chirurgien major. Est-ce seulement par charité ou si c’est qu’il vous peut être de quelque utilité. » – « M. Sarrazin a fait ici retraite [en France]. On a été surpris du conseil qu’on lui a donné en Canada de quitter sa profession pour se faire ecclésiastique. Plus on a examiné ses dispositions et présentes et passées, plus on a été convaincu qu’il n’y avait nulle marque de vocation de Dieu pour ce changement. Ainsi on lui a conseillé de reprendre son premier emploi s’il le pouvait. Je ne vois nulle raison pas même apparente qui ait pu porter M. Guyotte [curé de Notre-Dame] et M. de la Colombière [Joseph de La Colombière] à lui donner un tel avis. C’est un très bon sujet et qui est en état de faire pour le moins autant de bien dans sa profession que dans l’état ecclésiastique. »


En 1694 il repart vers la France et poursuit, pendant trois ans, des études de médecine. Il fréquente le Jardin royal des Plantes, le futur Musée d’Histoire naturelle, où il s’initie à la botanique sous la direction de Tournefort [Joseph Pitton de Tournefort] qui devait publier en 1700 son célèbre ouvrage, Institutiones rei herbariae, renfermant des éléments nouveaux communiqués par Sarrazin. Une fois son doctorat obtenu à Reims, il retourne au Québec avec une nouvelle passion : la botanique. Il envoie dès lors de précieux spécimens au Jardin royal des plantes. La faune et les minéraux l’intéressent aussi. Il ne délaisse pas la médecine pour autant. Il lui consacrera le plus clair de son temps et de sa santé car plus d’une fois il fut contaminé par ses malades. Son dévouement était extrême comme lorsqu’il fut contaminé, à bord de La Gironde, par l’épidémie de fièvre pourpre et qu’il continua de soigner les autres.


Sarrazin doit parfois pratiquer des autopsies et même servir d’expert lors d’affaires criminelles ou pour les constats de guérisons miraculeuses à Sainte-Anne de Beaupré. Les Mémoires de Trévoux d’août 1728 renferment le compte rendu de l’autopsie des corps partiellement conservés de trois religieuses enterrées en 1703, 1705 et 1707. On y trouve également une note au sujet d’une jeune Iroquoise, « la seconde Catherine », dont le bras portant un crucifix était demeuré intact.


Parmi les tout premiers végétaux envoyés par Sarrazin, Tournefort découvrit une espèce, qu’il lui dédia, et elle porte toujours le nom de « Sarracenia purpurea ». Jusqu’alors, elle avait fait l’objet d’une illustration dans une publication populaire (John Jocelyn, New-England Rarities, 1672) et de mentions imprécises d’autres auteurs. Sarrazin en avait fait lui-même une longue description que reproduisit Charlevoix. Sarrazin contribua aussi à la description d’espèces nouvelles – il étudia près de 200 plantes de la Nouvelle France -, que publièrent Tournefort et Vaillant surtout, non sans lui en attribuer la paternité. (Source)

Sarracenia purpurea (DR)

 


Il a 53 ans et est toujours célibataire. Il se met à considérer le mariage, et épouse la jeune Marie-Anne-Ursule Hazeur, 20 ans, la  fille d’un important commerçant, ce qui lui vaut une partie des seigneuries de Grande-Vallée et de l’Anse-de-l’Étang. Ils eurent 7 enfants dont trois moururent en bas âge.


Sa profession lui assurait un revenu très insuffisant. Plusieurs fois il s’en est plaint, pour s’entendre dire qu’on prendrait ses demandes en considération mais rien ne venait. A Versailles, le roi économisait sur le nécessaire aux dépens des serviteurs indispensables et loyaux qui aimaient assez leur tâche pour continuer à l’assumer. Or le statut de Sarrazin le contraignait à un certain train de vie même si sans exagération. Il a pourvu à l’éducation de ses fils en France, et pris soin d’assurer l’avenir de ses filles. Prévoyant qu’il mourrait bien avant son épouse, il cherchait aussi à leur assurer une vie décente après sa disparition. Il a dû aussi, dans les premières années difficiles, accumuler des dettes dont il voulait s’acquitter pour qu’elles ne soient pas supportées par sa veuve. Tout à sa frustration de ne pas être payé correctement, il se lança dans des entreprises risquées qui le mirent en plus mauvaise posture ainsi que la dépréciation de la monnaie de carte.


Il meurt dans le dénuement le 6 septembre 1734 à l’Hôtel-Dieu de Québec et est inhumé le lendemain... au cimetière des pauvres.


Bien qu’oublié en France, il ne l’est pas tout à fait au Québec : En 1970, l’Université du Québec à Trois-Rivières inaugurait le pavillon Michel-Sarrazin (l’ancien Grand Séminaire) en sa mémoire.


Le Prix Michel Sarrazin est remis annuellement à un scientifique québécois chevronné qui, par son dynamisme et sa productivité, a contribué de façon importante à l'avancement de la recherche biomédicale.


La Maison Michel-Sarrazin est un centre hospitalier de Québec, spécialisé en soins palliatifs. Ouverte depuis  1985, elle a accueilli plus de 7 000 patients.

 

                                                                                       Suzanne Dejaer