Tout change et rien ne change. Tout doit changer pour que rien ne change...

Le golf du Roncemay dans l'Aillantais, est un théâtre de verdure d'excellence parmi d'autres. Une immense forêt s'étend et enlaçe. Le soleil se couche sur un lit de gazon. Des centaines de chênes qui ont peut-être vu défiler les soldats romains allongent leurs branches noueuses. Pas un jardin à la française mais plus. Une lande sans fin qui se perd dans une forêt basse de chênes et d'étangs. Lever un faisan pendant une partie promenade, entendre son vol lourd sous un buisson, le voir passer à quelques centimètres sont des émotions que partagent même les chasseurs les plus blasés. Ici oui, tout est différent et personne ne peut affirmer connaître les mystères et les habitants de ces lieux qui s'étendent sur 138 hectares. Le château fut habité par la famille Cahen qui inventa les cafés Caïffa vendus par triporteurs, ces vendeurs ambulants. La société Au Planteur de Caïffa fut fondée en 1890 par M. et Mme Michel Cahen, initialement uniquement torréfacteur.

Les pionniers défricheurs qui ont racheté et conçu le parcours à la fin des années 80 après une opération de remembrement, ont subi des influences certaines. Inspiré par l'entrepreneur Jovinien François Schneider, imaginé et dessiné par Jean Garaïalde le grand champion français et l'architecte Jérémy Pern, le parcours 18 trous de 6240 mètres traverse une forêt de chênes, longe et s'ouvre sur un vaste plateau, modelé et coloré à la façon des links écossais. Son tracé respecte la nature et exige tous les types de coups de golf. Qui dit mieux ?

Un seul français est mieux disant qui a fait mieux, qu'on se le dise ! Arnaud Massy, sardinier, caddy au golf de Biarritz, premier étranger à remporter le British Open à Hoylake (prénom qu'il donnera à sa fille née au lendemain de sa victoire), près de Liverpool, le mardi 18 juin 1907, devant J-H Taylor et Tom Vardon, excusez du peu. En 1911, à Sandwich, il faillit renouveler l'exploit d'Hoylake. Il termina les quatre tours de l'Open à égalité avec Harry Vardon. Il concèdera la victoire au 35ème trou du play-off. Il écrivit un livre sur le golf, le seul à avoir été traduit en anglais et, en 1927, aux États-Unis, il battra le grand Bobby Jones.

En haut de la montée, Massy effectuait une petite boucle assez curieuse décrite par les britanniques par "the Massy's pig tail " (la queue de cochon de Massy). Au Roncemay, nombre de joueurs s'illustrent avec des boucles dignes de Zorro. À cinq ans de l'organisation de la Ryder Cup en France, une première, l'espérance pointe à l'horizon de renouer avec le fil de l'histoire qu'un autre gars du sud-ouest, ne réussit pas à accrocher, à Carnoustie en 1999, avec pourtant 3 coups d'avance au 18 le dernier jour... un autre Jean, Van de Velde celui-là. Beaucoup ont pleuré en ce dimanche soir là de tristesse.

 

La procession initiale

Disons-le tout de suite. Le highland du Roncemay est un lieu de pélérinage, de fête, de procession et de recueillement. On y croise aussi le diable là où on ne l'attend pas. Ici, point de chapelle ni de croix, ni de pierre. Mais des espaces en perspectives d'abîmes, des ciels, cieux, qui se noient et se confondent avec la lande et les genêts, faisant miroiter les lumières changeantes du point du jour au crépuscule, accompagnés par les canards en file indienne, le héron cendré roi du domaine et des ploufs goulus des perches, brochets et sandres en liberté dans les étangs sauvegardés qui accueillent même les colonies de ragondins repus.

Partagés entre leurs rêves de succès et leur sérénité ancestrale, les golfeurs vont se ressourcer dès qu'ils le peuvent sur le mont de Chassy. Ils s'élançent du trou numéro 1, autrefois étroit et trompeur, pour gagner le haut plateau, hautes terres rossées par le vent, imbibées par la brume parfois qui se déchire en dentelles et où les maîtres corbeaux impertinents n'hésitent pas à venir croquer les balles sur le parcours au nez et à la barbe des joueurs éberlués. Ils sont chez eux, au pays des charmes, peut-être les tout derniers irréductibles.

Veloutée comme une soie, l'eau de l'étang se ride à peine. Trop calme pour être honnête. Faut la voir l'eau qui dort gober la petite balle blanche comme une crapaute un pou et déployer ses ronds dans l'eau comme un smiley irradiant.

Les années ont passé comme passent les hommes. Ce bout de lande à glands de chênes en Bourgogne, merveilleux parcours, ne s'est en vérité jamais laissé dompter ni acheter. Il résiste par sa vraie nature sauvage, s'adaptant à tout et à tous, même aux trombes d'eau qui ont flotté longtemps sur sa surface d'argile. La vraie glaise de l'Yonne, celle des culs terreux au sens noble et aussi des potiers de talent du monde entier en quête de cette terre rare et recherchée.

Certes, d'actionnaires triés sur le volet en restaurateurs et banquiers, le domaine du Roncemay a valsé, Il enfanta une confiturerie plantée au milieu d'hectares de fruitiers et un hôtel restaurant étoilés, avec mesure, faute de pouvoir faire monter l'eau de Chassy sans en priver les autochtones et faute d'assainissement géant aux normes. Qui dira un jour que ce qui empêcha le Roncemay de devenir un resort profitable, ne l'aura pas en définitive protégé et sauvé ?

 

Le solitaire

L'essentiel est que l'esprit de son inspirateur demeure intact. Force est de le constater avec le retour du diable sur les hauts plateaux. Le retour aux sources. Le parcours avait enfilé son bleu de chauffe pour nettoyer et aplanir découvrant des espaces insoupçonnés, voici qu'il se dénude et retrouve ses formes et volumes de lignes et de courbes qui font chavirer. La vision de l'inspirateur était un golf authentique, sauvage, respectant les sources de l'esprit du golf. La beauté naturelle et la profondeur du silence. Il aurait pu savamment lotir le parcours et le rentabiliser à prix d'or, sans l'abîmer. Il aurait pu étendre les constructions sur les 60 hectares vierges qui longent le numéro 10.

Il ne fit rien de cela et n'en démordit pas. Et on le lui reprocha tant et si bien qu'au fil du temps et de son absence qui se fit distante et lointaine, après avoir échoué avec la confiturerie artisanale qui avait pourtant pris son envol et le restaurant étoilé qui chuta dans les bras du grand chef Meneau pour choir dans les livres comptables d'une banque danoise qui en hérita en garantie d'un dépôt de bilan, avant le wright off inévitable un jour ou l'autre, lui Roncemay mais aussi Vaugouard, qui appartient à la même banque nordique.

Qui peut affirmer que le parcours ainsi rayé de la carte, sans propriétaire, orphelin, ne résistera pas voire se révoltera ?

En toile de fond, pendant des années, ce sont des multitudes de fourmis travailleuses, comme souvent, qui ont assuré le boulot de survie et d'entretien avec un coeur au ventre rare. Là-haut sur le mont Chassy. Celles-là et ceux-là sont les héros du Roncemay, les besogneux, les petites mains, humbles et efficaces, comme d'autres furent les héraults. Il y a même des génies servis par la nature qu'ils savent écouter. Jamais les greens n'ont été aussi beaux. Choix fut fait de ne pas carotter les greens vu les conditions climatiques. Le résultat est patent.

 

La splendeur originelle

Ce sont peut-être aussi les conditions climatiques qui ont conduit les jardiniers du Roncemay à ne plus tondre les herbes folles du haut plateau. Opération s'inscrivant dans le sacrifice à la modernité, pour honorer maître consommateur et citoyen à qui tout est dû puisqu'il paye et qu'il est pressé. Au diable le strokeplay où tous les coups comptent, vive le stableford, formule de jeu qui permet de lisser les mauvais scores sur un trou et de sauver sa carte si ce n'est la face. La (relative) démocratisation du golf en général, a provoqué l'accélération des flux sur les parcours afin de faire du chiffre. C'est comme pour la pêche, on désouche les berges pour placer des cartes fédérales. Finis donc les rough, ces herbes longues dans lesquelles on ne retrouve plus sa balle en pestant. On s'y attardait au-delà du temps règlementaire prévu par le Royal and Ancient de St Andrews, la bible du golf. On s'y attardait, retardant le jeu, bloquant les parties suivantes en diffusant la mauvaise humeur d'un trou à l'autre. Un golfeur en action ne supporte pas de devoir rester immobile. Et de maudire l'inspirateur de ces folles herbes qui aspirent les balles comme un marais pour ne plus jamais les rendre. Et puis dame, pardi, ça coûte cher une balle !

Voici donc le haut plateau rétabli dans sa splendeur originelle.

Le temps n'a pas eu de prise sur ces terres sans âge. Et le coup de bois trafiqué dans le rough à portée de drive, à droite, au trou numéro 4, de Jean Garaïalde lors de la procession inaugurale du parcours il y a 23 ans, demeure dans bien des esprits. Oui, le grand champion fit sans sourciller une sorte de socket, l'ennemi honni, véritable cauchemard de tout golfeur. Sa balle s'écrasa mollement vingt mètres plus loin. Devant les yeux ébahis de plus de trois cents golfeurs en herbe suiveurs.

L'ennemi au golf c'est soi-même. Toujours. Ceux qui n'ont pas compris cela sont condamnés à la souffrance éternelle et à la damnation. Oui le diable est là, il guette, prêt à fondre sur sa proie, comme le corbeau sur la balle. Mais personne n'est à l'abri d'un bon coup. Et quand il arrive que les arcs-en-ciel comptent plus de sept couleurs, on se prend à aimer la pluie à la folie. Au loin, semble alors monter une musique étrange. Par delà les arbres et les étangs. Au delà du chant le plus pur de la nature, celui du choeur amoureux des crapauds.

 

Pierre-Jules GAYE