C’est que la messe de minuit, on l’attendait en grignotant. Pour ne pas s’endormir, pour ne pas avoir froid, pour que les heures passent. Il faisait froid, on avait sommeil, mais on ne voulait pour rien au monde manquer ce précieux milieu de la nuit qui allait retentir du chant des hautbois et musettes dans une église bien remplie. Souvent on s’y était rendu à pieds, ou en charrette, ou si plus aisés en calèche, mais la fatigue et l’excitation était la même pour tous. L’office pouvait durer des heures,  on oubliait un peu les frissons et la faim, on ne pensait pas au retour dans le froid, non. On partageait une joie ingénue et sincère. Et une fois revenus chez soi, on se remettait du froid, de la fatigue et de la longue attente par un repas que l’on avait pré-savouré en pensées depuis des jours, et qui avait causé bien des agitations parmi la gent féminine.

 

C’était, autrefois, l’oie qui était souvent la reine de la table. La dinde n’apparaîtra qu’au 19ème siècle chez les mieux nantis. Chaque région cependant avait ses accents de fumets et délices : le porc sous toutes ses formes était sur les tables de l’Orléanais, où le repas se terminait par des chants de Noël. On le retrouvait aussi en Anjou, où le jambon que l’on préparait pour l’occasion était amené à l’église pour recevoir sa bénédiction, après quoi il allait faire la joie de la famille jusqu’à Pâques, suspendu dans l’âtre de la cheminée. En Aveyron c’est la saucisse de porc qui est à l’honneur, tandis que dans les Hautes Alpes on se régalait principalement de soupes de pâtés. Dans le Morvan, on se délecte de morceaux de lard de porc grillés (galette aux griaudes), d’apognes et de tarte aux pruneaux, la "beurotte".  L’Alsace fait bombance de saucisses, jambons et boudins arrosés de vin blanc.

 

Et chez nous,en Bourgogne? On trompait l'attente de la messe en dégustant des noisettes, des châtaignes et la version vieux monde du pop-corn : les "michottes". Dans le pays de Beaune c'est une galette parfumée à l'anis cuite sous la cendre, la "fouace". On boit du vin chaud à la cannelle. Du ratafia, et avant de se coucher on se tapisse l'estomac avec un peu de cochonnaille: boudin, andouilles, pâté.

 

Et chez nos voisins italiens ? Eux aussi ont leurs préparations festives de Noël :  en Emilie Romagne ce sont les tortellini au potiron, à Florence des saucisses de porc au fenouil cuites à la braise, dans le Latium tout est à base de poisson : bouillon, pâtes au thon, morue avec des pignons de pin. Dans les Abruzzes, 13 portées d’un repas maigre des plus savoureux. 13 pour rappeler Jésus et les 12 apôtres. Venise et Naples donnent leur préférence au capitone, l’anguille femelle marinée.

 

Quant à la bûche, en Bourgogne il s'agissait d'une vraie bûche que l'on avait bénie et qu'on laissait se consumer dans l'âtre, après que les enfants y aient découvert les petites friandises dissimulées pour eux dans les noeurs de l'écorce. Dans le Morvan, avant de la déposer dans les flammes, on la posait sur la table, décorée de verdure et de petites chandelles.

 

Les menus d’autrefois sont plutôt impressionnants à lire aujourd’hui. Mais les grands repas étaient avant tout des réunions familiales, un spectacle, un partage, de longues heures de chaleur, d’affection, de petites prises de bec, de moqueries rituelles, de toasts à mille et une choses, de compliments sur le choix de la bonne table, de récits pour remettre les péripéties de la famille à jour. Ils duraient des heures. Un plaisir qui se prolongeait jusqu’à devenir un bien-être diffus alors que le corps rassasié et désaltéré s’abandonnait aux sensations multiples de ce grand jour.

 

1897 (D.R.)

 

1897 (D.R.)

 

Menu de mariage 1866 (DR.)

 

1901 (D.R.)

 

Menu de mariage 1922 (D.R.)

 

Oui, la messe avait été bien belle et le sermon avait eu de la force. L’église avait été froide mais on s’y attendait, et les manteaux et capelines doublés de fourrure avaient rempli leur office. Le vent avait eu la bonté de ne pas souffler, et on avait évité le verglas sur la route. Et puis la belle table et la belle cave dont on avait joui. Les enfants étaient montés le ventre plein de friandises dans leurs petits lits chauffés, laissant le reste de la nuit au grand bonheur d’être ensemble.

 

Joyeux Noël à tous et toutes. Que votre table soit belle et abondante, et surtout que vos cœurs soient repus de ce dont ils ont faim.

 

                                                                                 Suzanne DEJAER