Le politologue Claude Patriat a choisi un style que l'on croyait disparu pour évoquer les jeux de l'amour et du pouvoir au sommet de l'Etat. "L'annonce faite à Toinette" est une tragi-parodie en alexandrins dont l'action se situe en ...1774, mais vous reconnaîtrez vite des personnages plus actuels. En s'attachant "la collaboration" des classiques, Claude Patriat nous fait rire à la manière de Molière mais aussi de deux auteurs bourguignons Crébillon et Piron.

Nous sommes en 1774. Les caisses de l'Etat sont vides mais c'est une affiare de coeur qui agite la Cour. Le congédiement d'Antoinette par Louis va être le point de départ d'une cascade d'évènements, d'intrigues et rebondissements dont Manolo et Chimène  seront tour à tour les instigateurs et les victimes, tout comme Elvire qui croisera Johannes Strauss dans une rencontre piège .....

Vous l'aurez compris il n'est guère difficile de transposer cette histoire 240 ans plus tard. Selon le principe de la parodie, Claude Patriat a pris des vers de grands classiques pour les adapter à son histoire. Ainsi, par exemple, quand au début de la pièce, Antoinette seule en scène constate "Je vois, je sais, je crois, je suis désabusée",  il faut entendre Pauline dans l'acte V de "Polyeucte" de Corneille quand elle annonce qu'elle est devenue chrétienne. Sur les 2136 vers de son oeuvre il en a emprunté ainsi 300 à ses maîtres inspirateurs, déjà loués en leur temps pour l'acuité de leur regard sur le monde.

L'anaphore de François H.: déjà un classique
Claude Patriat a écrit  "L'annonce faite à Toinette" en 3 semaines. Il faut dire que l'actualité avait de quoi l'inspirer: l'anaphore présidentielle de 2012 est déjà un classique !!!

"Moi, Reine, je ferai en sorte à chaque instant
Que mon comportement soit toujours exemplaire,
Et pour tout véhicule aurai simple scooter !
Moi, Reine, je ferai qu’avec ma vie privée
Jamais chose publique n’ira interférer !
Moi Reine, je tiendrai la promesse effectuée
À mon avènement de dire vérité !"

En exclusivité pour AUXERRE TV l'auteur nous a autorisé à publier les trois premiers actes de la pièce. Bonne lecture.

 

Tragi-parodie en trois actes augmentés d'un quatrième 

Avec l’aimable collaboration de Baudelaire, Corneille, Courteline, Crébillon (père), de Heredia, Molière, Piron, Racine, Ronsard, Edmond Rostand, Shakespeare, Paul Valéry… sans oublier G. Taverdet pour le patois bourguignon.

Avertissement : La pièce se déroule à Versailles et à Paris, en 1774. Toute ressemblance avec des personnages vivants ou ayant vécu est délibérément fortuite.

Acte I

(À Versailles, dans le Palais-Royal)

Scène 1 : Antoinette seule en scène

Antoinette
Je vois, je sais, je crois, je suis désabusée.
Pourquoi avoir marché sur un dur sentier
Et se voir un matin si vivement trompée ?
Pourtant un soir de mai, j’avais d’un long baiser
Scellé dans la durée tant de fidélité !
D’un avenir serein, offrant ainsi le gage,
Par billet ravageur, j’avais tourné la page
Du passé suranné entravant son image.
Je le croyais à moi, ayant seule rivale
La France dont j’étais du navire, amirale !
Oh mon roi, mon Louis, horloger de mon cœur
Pourquoi m’avoir ainsi exclue de tes ardeurs ?
Tous ces serpents sifflant sur Seine avec humeur
Viennent en alizés signer ma défaveur.
Ma révolte m’étouffe, d’une révolution
J’aspire au bras vengeur pour calmer ma passion.
Je rêve, sacrilège, d'entrer en République,
Pour pouvoir distinguer de toute vie publique
Nos affaires privées constamment exposées
Aux vils ricanements du vent de la risée.

(Entre un petit homme brun, le lieutenant de police Manolo)

Mais voici que s’approche avec un pas de chat
Celui qui fait trembler jusqu’au mur d’Etretat.
Sa taille d’adolescent, son sourire charmant
Ne sauraient toutefois pas tromper bien longtemps.
C’est une main de fer que recouvre son gant.
Lui seul pourra peut-être apaiser mon courroux.
Du moindre romano, il sait serrer le cou.
Et du moindre propos, il sait brûler la trace.

Scène 2 : Antoinette, Manolo

Antoinette
(S’avançant bras ouverts vers Manolo)
Mon censeur, mon Sartine, que mon bras vous enlace.
Venez-moi maintenant, Versailles m’est compté.
Antoinette humiliée ne saurait oublier
Que de l’ordre et l’honneur, vous êtes bouclier
Car vous portez en vous l’espoir de notre État. 

Manolo
(S’inclinant modestement, le front touchant presque le sol)
Que d’éloges, Madame, je n’en mérite pas.
Je ne fais que servir, laissant mon avenir
Au bon plaisir des urnes qu’il faut entretenir.
Mais rien n’effacera cette peine qui me tient
En voyant vos beaux yeux, par le chagrin éteints.
Parlez, Madame, et ferme j’irai, verrai, vaincrai.
Car dans l’ordre des hommes, jamais n’accepterai
Parole qui divise un couple harmonieux.

Antoinette
(Emue, essuyant le coin de son œil d’un mouchoir élégant)
Mon véritable ami, vous comblez de mes vœux
Une part essentielle. Faites taire la presse.
Que de trop commercer à l’encan elle cesse.
Vous savez vous y prendre. Les juges sont à vous.
Prévenant l’avenir, peu iront contre vous,
Mais le poids de l’injure appelle plus encore.
Il vous faut de surcroit étendre vos efforts,
Porter le fer au flanc de celui qui me tue.

Manolo
(Inquiet)
Le crime serait-il par un second pourvu ?
En toute conscience, je n’entends pas ainsi
Résoudre par le sang votre juste souci.
N’espérez point, Madame, avoir ma félonie.

Antoinette
(Souriante)
Qui parle de tuer ? Juste de détrôner…
Je lis dedans vos yeux ce brin d’avidité
Sans lequel il n’est pas grandes ambitions.
Vous ne l’ignorez pas, la haute fonction
Attend un homme fort, et non un indolent
Cherchant à arbitrer les caprices du temps.
Portez-vous en avant, existez par vous-même,
Avant que de la plèbe ne sortent des extrêmes.
On n’aime point à voir ceux à qui l’on doit tout
Alors il faut parfois précipiter le bout.
Un retour naturel, oui, mais le voulez-vous ?

Manolo
(Timide)
L’homme juste et prudent ne veut que ce qu’il peut.

Antoinette
(Tranchante)
De grâce Manolo, laissons-là la prudence.
Des faibles et des sots, elle marque l’impotence.
Que dois-je entendre ici ? Seriez-vous démuni
Et manquant de puissance pour réagir ainsi ?

Manolo
(Vexé)
Madame, d’autres que vous l’éprouveraient sur l’heure.
Ma puissance est certaine, chacun connaît mon cœur.
Et comme je dispose en tous lieux d’appuis,
Paris n’est plus Paris, elle est toute où je suis…

Antoinette
(Enjôleuse)
Si ce n’est donc la peur, et non plus la faiblesse
Pourquoi me laissez-vous en pareille détresse ?

Manolo
(Religieusement, la tête inclinée)
La dignité Madame… Serai-je à la hauteur
Si tôt de cette charge avec tous ses honneurs ?
Ne faut-il pas attendre un temps plus opportun,
Dont les dieux magnanimes formeraient le dessein ?

Antoinette
(Péremptoire)
Trêve de billevesée, les dieux dans leur sagesse
N’aident jamais que ceux qui par leur hardiesse
Accomplissent d’abord leur part de l’action.
Mais arrêtons-nous là. Dans notre direction,
Louis mène ses pas. Derrière une tenture
Cachez-vous un instant. Vous verrez à coup sûr
La part de dignité qui sied pour gouverner.

(Manolo s’esquive rapidement derrière le rideau latéral. Entre Louis en sifflotant un air entraînant)

Scène 3 : Antoinette, Louis

Louis
(Jovial)
Toinette, vous ici, je vous croyais aux eaux
Soignant de vos humeurs les vilains soubresauts.
Mais vous voilà guérie, et m’en voyez réjoui.

Antoinette
(Enflammée)
Seigneur, veuillez cesser de m’appeler Toinette.
Ce surnom a péri avec vos galipettes
Car à mes temps perdus, je parcours les gazettes.
Et quant à vous réjouir, de vous voir sifflotant
Doutons que votre joie prenne source céans.

Louis
(Comme dégrisé)
Madame, que voilà un bien mauvais procès.
Que me reprochez-vous ? Qu’aurai-je donc violé ?
Quels serments ai-je donc, incontinent, bafoué ?
Nous n’avons, semble-t-il, jamais fait consacrer
Ni par maire ou curé, un acte assermenté.
Seule guide nos pas, la grande liberté.
Mais j’ai beau être roi, je n’en suis pas moins homme
Et je peux m’amuser comme les autres hommes.
Et puis souvenez-vous, de la maxime austère
Un véritable roi n’est ni mari ni père.

Antoinette
(Elle s’assied accablée)
Ah, que de cruauté, n’est-ce déjà assez
De vous voir affronter sur fragile monture
Tous les périls du soir, le vent et la froidure ?
Pourquoi y ajouter la maxime éculée
Jetant au panier notre douce hyménée ?
Pourtant vous saviez, en laïc éprouvé,
Que parole donnée se passe bien d’autel
Qu’il n’est besoin de clerc pour se voir éternel.
Faut-il la voir brûler à chaque jarretelle ?

Louis
(Pensif)
Plus que l’extravagance, la nature a ses lois.
Point n’est impératif de se mettre aux abois
Et d’être un roi normal, il faut payer le prix.
Les feux de Cupidon, ô mortel assagi,
N’épargneront jamais de la tentation
Les grands et les petits, tous y succomberont.
La vraie égalité est ce qui par la loi
Permettra à chacun d’assumer tous ses choix.

(Il s’approche d’Antoinette et lui met prudemment la main sur l’épaule)
Allons, n’en parlons plus, vous avez ma tendresse
Et toute mon estime pour votre grande adresse
Et je veux dans l’instant vous en donner la preuve.
Ainsi je vous confie, la belle charge neuve
D’une grande ambassade. Je voudrais espérer
Voir notre beau pays asseoir sa renommée.
La Perse, cet empire aux couleurs chamarrées
Où le Grand Alexandre vit sa gloire élevée
Et son soleil s’éteindre aux rives de l’Euphrate,
Les rumeurs d’Ispahan, et de ses mille agates
Suspendues dans l’éther des ruines ensablées
Vous feront mieux qu’ici agrandir vos visées.

Antoinette
(Se redressant brutalement et écartant le roi)
Seigneur, vous me chassez ?

Louis
(Majestueux)
                            Non point, je vous élève
Dans une fonction qui donne pleine sève
À votre position. L’État ne fait pas cas
De la première dame qu’il ne reconnaît pas.
Fi de cette invention à des fins populaires.
Les descendants d’Albion sont ses thuriféraires.
Vous partirez compagne, et c’est comme éminence
Que de votre destin vous ferez quintessence.

Antoinette
(Elle tombe à genoux)
Mais vous n’ignorez point, en m’envoyant au loin
Que le danger y rôde, la mort est en tout coin.
Il est des janissaires, l’arme toujours au poing
Qui ne manqueront pas de vouloir prendre soin
D’assurer mon trépas. Seigneur c’est me tuer
Plus sûrement encore que me décapiter.

Louis
(Paternel)
Toinette, vous vivrez. Vous m’avez trop montré
Toute votre habileté pour que j’ose douter
De vos capacités. Votre diplomatie
Sait toujours rencontrer le sens du compromis.
Et si quelque danger venait à vous frapper
Je n’hésiterai pas, je l’ai déjà prouvé
À envoyer là-bas, un corps de notre armée.

(Louis se penche sur Antoinette et la relève)
Il vous faut maintenant prendre un nouveau départ,
Et quoiqu’il nous en coûte, faites-le sans retard.
Un chauffeur vous attend. Je vous ferai porter
Par un prochain courrier, le tout de vos dossiers.
Au-revoir, Antoinette, et j’attends des nouvelles.

(Il l’embrasse et part. Elle reste seule, et Manolo sort de derrière le rideau)

Antoinette
(Immobile, à la fenêtre)
J’aimais, dans ma jeunesse, le vol des hirondelles.
Elles faisaient le Printemps, ou du moins son espoir.
Les voici dans un ciel peuplé de nuées noires.
Louis est le roi, pourtant, et il n’a pas pleuré.
Allez, cher Manolo, faites ce que devez.

(Elle sort, le rideau tombe sur l’acte I)

À suivre…
[Acte II, Scène 1, dans le Palais Royal…]

 

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