Fallait-il participer aux rassemblements ?
Comme beaucoup, depuis mercredi, j’avais lu des tonnes de papiers, de commentaires, d’analyses, de reportages, de billets, de mails, de tweets, de messages facebookiens, souvent grinçants, sur le thème de la manipulation, de la récupération, de la compromission.

Pour moi, privilège de journaliste, la question ne se posait pas. Mon appareil photo serait évidemment de sortie.

À Auxerre, sur les coups de dix-sept heures, je me suis faufilée dans le cortège, juchée sur des bancs publics, figée avec mes confrères sur le perron de l’hôtel de ville, et j’ai contemplé devant moi la multitude, grave, vibrante, recueillie.
De toutes origines, de tous âges, tête nue et portant capuches, foulards ; debout et en fauteuil roulant… à perte de vue, entre les façades à colombages, sous la lumière dorée des lanternes ; près de la statue de Marie Noël, - l’enfant du pays, poétesse sage, - au cou de qui aucun impertinent n’avait passé une pancarte « Je suis Charlie » . Même tension dans les regards, même émotion et un très beau silence pour écouter, puis applaudir longuement le président de l’association qui gère la mosquée :
« Certes, Charlie ne nous a pas toujours fait rire, mais cette fois-ci il nous a fait pleurer. »

Lectures de poèmes, Abou el Kassem Chebbi Vouloir vivre… Le Manifeste de Jean-Jacques Pauvert « (...).  «Nous voulons vivre. Est-ce si difficile ? », une chronique de Pierre Desproges, «Bonne année, mon cul.»  Des chants, encore une minute où près de 10 000 personnes se tiennent immobiles en une communion muette, avant de laisser monter dans la nuit dix-sept ballons blancs.
La Marseillaise, très lente, et les gens qui hésitent quelques instants avant de quitter la place. Les rues bondées se remettent en mouvement, ondoyant dans un bruissement très doux qui encore impressionne. On se parle à voix basse, on se sourit, on effleure de la main un petit bonnet d’enfant dans une poussette.
Il n’y a pas eu une intervention des élus au pied des marches « et c’est bien comme ça, hein ! » glisse le maire, en s’éclipsant discrètement.
Demain est un autre jour.

À mon retour, j’importe les photos sur mon ordinateur et tandis que j’écoute à la radio chiffres et témoignages, un commentaire sur une page Facebook m’atteint comme une gifle : « Moutons de Panurge ».
Mon frère, mon camarade, mon pauvre ami, si tu savais de quoi tu t’es privé. Comment te dire l’élégance de ce troupeau ?

 

Anne DUVIVIER