On tombe dans l’obsession de la vie garantie longue durée. Limiter les risques est naturel, mais jamais on ne les éradiquera. La fatalité trouve son chemin, la faille minuscule par laquelle elle va réaliser son dessein. Rien, absolument rien, ne nous en protège.

Il n’y a pas toujours « faute grave », « terrible négligence ». Pas de vrai « coupable » que l’on puisse pointer du doigt. Il n’y a que cette maudite petite faille, parfaitement orchestrée dans le temps et l’espace, et la fatalité qui s’y engouffre comme un courant d’air.

 

Les Moires, divinités du destin implacable - Goya, musée du Prado  

 

 

Une catastrophe comme celle-ci et les autres qui lui ressemblent nous fait nous souvenir que nous sommes mortels, fragiles, périssables. Qu’ici, les voyageurs n’ont pas pris de risque, contrairement à ceux qui sautent à l’élastique ou chassent les avalanches ou les tornades, flirtent avec les requins… Qu’ils ont payé de leur vie et de leur peur – et surtout, surtout, désormais ce sont leurs chers qui vont payer de leur chagrin déchirant – la folie d’un jeune homme.

 

Mais combien de fois avons-nous côtoyé au travail des gens que l’on décrivait en riant comme « bizarre, un peu toqué » ? Des collègues plus susceptibles, ou distraits, ou qui ne semblaient voir personne, ou ne pensaient qu’à leur travail, ou avaient des manies, ou gardaient de vieux biscuits se décomposant dans leurs tiroirs… Aurions-nous dû en avoir peur ? Bien sûr que non … Combien de personnes connaissons-nous qui ont eu des déprimes, des burnouts, des problèmes post-partum etc ??? Devions-nous par la suite les suivre de près et nous sentir en danger le jour où ils avaient à nouveau le regard dans le vide ou des larmes aux yeux pour trois fois rien ?

 

Et quand on aura décidé de mettre deux pilotes en permanence dans un cockpit, aura-t-on éliminé le risque pour autant ? Bien sûr que non ! Une personne qui a basculé hors raison aura ses ruses, toutes simples : elle saura où se trouve la faille. Les failles possibles.

 

Prévenir est excellent. Mais croire qu’on a tout prévu, c’est une utopie et un mensonge qu’on s’impose.  

 

                                            Suzanne DEJAER