Bernard Lecomte  tout au fond du chantier (DR)


Bernard Lecomte, vous êtes entré dans ce métier en 1977 comme responsable des pays de l’Est au journal « La Croix ». Le journalisme a-t-il changé en profondeur depuis cette époque ?

- Quand je raconte aux jeunes journalistes la compo en plomb, la transmission par téléscripteur à l’aveugle et les longs délais de bouclage, ils croient que j’ai commencé au Moyen âge ! Et pourtant, fondamentalement, ce métier est resté le même. Dans son principe, il s’agit de hiérarchiser les nouvelles, d’aller enquêter sur le terrain, de transmettre l’info au plus vite, et surtout, d’expliquer l’info, de la mettre en perspective, de lui donner un sens – et c’est cela qui est souvent sacrifié aujourd’hui, au profit de l’immédiateté : la vérification sur le terrain, l’explication historique, la nuance et la réserve passent souvent à l’as !

Les valeurs de ce métier ne se sont-elles pas dégradées ?

- Sauf exceptions désolantes, un journaliste cherche toujours à être exact, il s’efface naturellement derrière les faits. Mais les médias d’aujourd’hui, très performants sur le plan technologique, sont d’abord des vecteurs d’images, qui privilégient l’émotion – adieu la réflexion, la raison, la mesure ! Ils sont ensuite obsédés par le scoop, la reprise par les concurrents, et courent beaucoup de risques en allant trop vite. Par ailleurs, si les pressions politiques sont moindres que naguère, les pressions économiques sont devenues terribles – voyez dans l’agro-alimentaire ou le pharmaceutique !

Et pourtant, dites-vous, il ne faut pas brûler les journalistes, même s’ils nous énervent souvent !

- La presse est un contrepouvoir nécessaire dans une démocratie de plus en plus fragile. Elle reste la mesure imparable d’une dictature : quand la presse n’est pas libre dans un pays, les citoyens ne le sont pas non plus ! L’information est aussi un besoin, un pan de la culture d’une collectivité, un système de référence qui aide au vivre ensemble.

Enfin, j’insiste sur le fait qu’informer est un métier : le contre-exemple des réseaux sociaux montre ce que serait l’information sans journalistes : du subjectif, de la désinformation, de l’amateurisme, des mensonges et des insultes !

Tant pis si le journalisme est aussi imparfait que le reste de la société, il en est un des piliers…

 


À Malicorne, une assemblée attentive (DR)