La colline éternelle



Prologue


« Quatuor viae sunt quae ad sanctum Jacobum tendentes.
»  C’est ainsi que commence le premier «guide» du pèlerin de saint Jacques.  Il y a doute sur l’identité de son auteur. S’appelait-il Aymery Picaud comme on le crut longtemps ou Hugues le Poitevin ? La question n’est pas tranchée. Par contre on est à peu près certain qu’il vivait au XIIe siècle et qu’il fut moine à l’abbaye Sainte Madeleine de Vézelay. il n’est donc pas étonnant que si quatre voies conduisent à Santiago de Compostela, quatre chemins mènent à la Sainte Madeleine de Vézelay.

Au vrai, comme pour Compostelle, il y en a beaucoup plus. Dressée au cœur des terres, la basilique bourguignonne accueille des visiteurs partis de tous les pétales de la rose des vents. Autant d’occasions de vérifier qu’il suffit, comme l’aveugle de la légende (1), d’ouvrir les yeux au bon moment, pour découvrir qu’on ne voit jamais Vézelay sous le même angle.
Pourtant, il faut savoir choisir. C’est pourquoi, à l’usage des amateurs d’art roman bourguignon, de douceur de vivre et de marche à pied, j’ai tracé quatre itinéraires (2). Ils partent (à peu près) de chacun des points cardinaux. Par pistes et par sentiers, ils mènent à la colline sacrée en suivant les tours et détours d’un chemin (3) où l’on peut se perdre sans jamais s’égarer : celui des écoliers.

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1 La légende dorée raconte qu’un homme qui avait perdu la vue se rendait à Vézelay pour visiter les reliques de sainte Marie Madeleine. Or, quand celui qui le conduisait lui dit qu’il apercevait déjà la basilique, l’aveugle s’exclama : « Ô sainte Marie Madeleine, puissé-je mériter un jour de voir ton église ! » et ses yeux s’ouvrirent à l’instant.

2 Ce sont des boucles. Si l’on est plusieurs, on peut les couper en deux parties, en garant une voiture au point de départ et une autre à Vézelay. Si l’on est seul il faut compter sur la compréhension d’autrui (conjoint(e), compagne (on), ami(e)...). 

3 Aléa de la randonnée dans et hors des sentiers battus, il peut arriver que, pour des raisons diverses (bois soudain privatisé, travaux de bûcheronnage, inondation imprévue) un des chemins que je décris ne soit plus accessible. Ne me maudissez pas ! Je n’y suis pour rien. À l’aide de votre carte IGN, contournez l’obstacle . C’est ainsi que j’ai eu quelques unes de mes plus belles surprises randonneuses ou pèlerines.
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Le chemin du Nord


On pourrait aussi bien l’appeler la voie des Vikings. Vézelay leur doit sa situation élevée. Étaient-ils Danois, Norvégiens ou Suédois ? Nul ne le sait. Ce qui est certain c’est qu’aux alentours de l’an 760,  Girard de Roussillon (1)  avait fondé au bord de la Cure un couvent de moniales. Hélas, quelques dizaines d’années plus tard ces nonnes furent obligées de fuir à l’approche d’une bande de Normands. Les pillards ayant détruit leur abbaye, elles n’y revinrent jamais. On envoya des moines pour les remplacer. Prudents, ils bâtirent leur monastère en haut de la colline d’où l’on voit bien mieux venir les dangers. Onze cents ans et quelques années plus tard, même si l’habit a changé, ils y sont toujours. Les descendants des pirates nordiques aussi. Ils débarquent par paquets de quarante, de cars climatisés pour effectuer un aller-retour parking-basilique sous la conduite de guides habiles à expliquer les arcanes de l’art roman. Sur leur chemin, ils trouvent des commerçants en tous genres. Par un juste retour des choses, ceux-ci sont passés maîtres dans l’art d’alléger les bourses septentrionales (mais pas que..)

Ces choses étant dites, entrons dans le vif du sujet. Laissant les véhicules chargés de Danois, de Frisons ou d’habitants de la Seine-Maritime, filer sur la départementale 951 qui mène de l’ex route nationale 6 à Vézelay, le futur pèlerin ou la bientôt pèlerine garera son véhicule près de l’église de Givry, village situé en B2 de la carte IGN 2722 ET,  à quelques encablures de la gare SNCF de Sermizelles. Le GR® 13 traverse le village.  Pour commencer la balade, il suffit de suivre ses balises rouges et blanches en direction du Sud Est.

Outre son église, Givry possède, un  château, une école, une salle des fêtes et cent soixante dix huit habitants (au recensement de 2012), c’est dire qu’on quitte assez rapidement cette coquette mais modeste agglomération. Un kilomètre le long de la tranquille départementale 71 et le GR® prend, à gauche, le chemin qui mène au bord de la petite rivière du Cousin. Il l’effleure au gué du Chêne, passe près des ruines du Moulin d’Argent puis traverse les prairies de la Perrière, Rimarre et Bredin et arrive enfin à un croisement.
Un banc de béton y attend le passant désireux d’admirer le paysage. C’est le moment de tourner à droite et de s’engager sous bois, direction sud-ouest par la piste qui grimpe entre les deux points culminants de l’Avallonnais les monts Niètre (331 m) et Montmartre (354 m). Des balises de GR® barrées d’un trait blanc et oblique conduisent au Montmartre par un sentier montant à gauche du col qui sépare ces deux sommets. Là-haut des archéologues du début du XIXe siècle ont trouvé les restes d’un temple dédié aux Martres, les dieux des Gaulois puis des Gallo-romains locaux. Une fosse circulaire presque invisible est tout ce qui subsiste de l’édifice. Le produit des fouilles, statues et matériel lapidaire, se trouve au musée d’Avallon. Plantée entre trois tilleuls, une croix exorcise le souvenir des divinités païennes. Une demi-heure suffit pour faire ce détour. Il en vaut la peine. On a, de là-haut, une vue qui s’étend loin vers le Nord. Admirez mais ne vous exclamez pas. Il y a ici quelque chose de nostalgique et de mystérieux qui commande le silence.

Une fois revenu au GR® on a tôt fait de sortir de la forêt. De là, le chemin plonge vers le village de Domecy sur le Vault. On le traverse en passant devant ses châteaux, ses sources, son lavoir et son église. Il arrive que celle-ci soit ouverte. N’hésitez pas à en pousser la porte. Vous reprendrez ensuite le GR®. Il traverse la rue et grimpe raide, appuyé dans ses premiers mètres au pignon d’une maison ruinée (mais qu’un courageux jeune homme s’employait à retaper lors de mes derniers passages).  A l’entrée du chemin, une pancarte, de moins en moins lisible, avise le marcheur qu’il foule un grand itinéraire européen. À la fin du raidillon, des pierres déposées au pied d’une croix signent le passage régulier en ces lieux de pèlerins en route pour Saint Jacques. Une courte descente et la piste grimpe derechef  pour traverser le bois des Champs de Cayenne. Elle débouche sur une vaste clairière qu’occupe un champ cultivé. Laissez le GR® partir vers la droite  et longez à gauche la lisière du bois du champ Moré. Après un petit col, il débouche sur les premières treilles du vignoble de Vézelay. Ignorez le chemin qui, vers la gauche, descend au hameau de Nanchèvre. Suivez à droite, entre deux vignes, une belle piste d’exploitation. En trois ou quatre centaines de mètres, elle mène jusqu’à un autre bout de forêt. Là, tournez franchement à droite et suivez la lisière jusqu’à la corne du bois d’où on découvre enfin Vézelay. A partir de là on aura presque toujours la basilique devant les yeux. Virez à 90° et suivez à gauche, le sentier qui côtoie une ancienne coupe, traverse un bosquet de pins et débouche sur une nouvelle vigne. Longez la en descendant sur toute sa longueur et préparez vous à prendre le chemin qui part à angle droit à votre gauche.

Avant ce changement de direction, il convient de faire quelques pas supplémentaires dans le sens de la pente. On a alors devant soi la colline éternelle qu’encadrent les deux villages d’Asquins et de Saint Père. On appréciera d’autant mieux ce spectacle qu’on aura a pris soin de s’équiper
-   d’un thermos rempli d’un chardonnay à sa juste température,
-   de bon gros pain frais, et d’un peu de jambon du Morvan,
-   d’un saucisson et d’un ou deux chevretons de même provenance.

Sans vous lasser, les deux petites heures de marche qui viennent de s’écouler vous ont mis(e) en appétit. La fraîcheur du vin, la saveur des charcuteries, le croustillant du pain acheté du matin et l’harmonie du paysage, tout concourt au bonheur de vivre. Voilà pour les beaux jours. En hiver ce sera, un vin chaud préparé dans les règles, une tranche de brioche avec, si on a de la chance, un voile de neige, des sarments qui brûlent dans la brouette-brasero d’un vigneron, des flaques d’eau gelées et un peu de brume sur la Cure. Il est rare qu’on éprouve à ce moment le besoin de parler, mais on peut fredonner mezzo-vocce la cavatine des Noces de Figaro :
Se vuol ballare, signor contino,
se vuol ballare, signor contino,
il chitarrino le suonerò…


Quelques pas en arrière pour revenir au chemin. Il plonge résolument vers la vallée et ramène à Nanchèvre. Un écriteau avertit charitablement le passant que l’eau de la source qui se déverse dans le lavoir n’est pas potable. En compensation, d’autres pancartes vous invitent à goûter le vin du cru. Vous pouvez choisir de faire un pas de côté sur la gauche pour traverser les champs du Bec d’Oie et de Neuillot. Des troupeaux de charolais s’y engraissent de l’herbe du Morvan. Toutefois si le temps est à l’humide, contentez vous de suivre la petite route qui va à Saint Père. La circulation automobile étant des plus réduites, la marche rêveuse y est autorisée et ceci qu’on soit ou non un promeneur solitaire. On entre dans Saint Père par la départementale 957 qui amène d’Avallon ou de Clamecy vélos, voitures, motos, camions et cars. Une autre fois, vous pourrez pousser jusqu’à l’église de ce village. Aujourd’hui, contentez vous de traverser la Cure sur le vieux pont de pierre puis de prendre la première rue à gauche. Et de la suivre jusqu’à retrouver la départementale.

Privilège du piéton, vous allez gravir la colline par un itinéraire inaccessible à la foule des touristes motorisés. Pour cela, après avoir marché une bonne centaine de mètres sur la D 951 en direction du Nord et de  Blannay, prenez, à votre gauche,  un chemin qui mène à l’antique fontaine Sainte Madeleine. Jadis, les pèlerins s’y lavaient de leur crasse, en attendant de se laver de leurs péchés cent cinquante mètres plus haut. Donnez à leur souvenir  le temps d’une pensée ou d’une prière, puis engagez vous dans le chemin montant qui s’ouvre à votre gauche. Encore une vigne à longer et une route à traverser (en obliquant un peu à gauche) et vous trouverez le sentier, balisé en jaune. qui, entre murets, buissons, friches et jardinets, vous conduira sous les remparts de Vézelay. En face de vous, à une cinquantaine de mètres, un enchaînement d’escaliers, de ruelles et de venelles, où, en été, fleurissent les roses trémières, mène à la basilique. On la découvre au tout dernier moment et sans vraiment s’y attendre. Ensuite c’est au goût de chacun. Mais comment passer devant la Madeleine sans y entrer ne serait-ce qu’un instant.

Après ? Ma foi on a marché trois bonnes heures, un peu peiné dans la dernière côte et l’on s’aperçoit qu’il est temps de penser aux nourritures terrestres. On peut choisir de casser une croûte sur la terrasse ou préférer un des nombreux (un peu moins d’avril à octobre) établissements qui proposent leurs services au visiteur. J’ai eu, pour ma part, un faible pour le restaurant ouvrier qui se trouvait sur la place du Champ de Foire au bas de la rue Saint Etienne. Il portait bien son nom de La Fortune du Pot. Pour une somme modique, on y partageait avec les gars du bâtiment ou du BTP, employés sur les chantiers voisins, une cuisine du genre roboratif et sans complication. Clients ou cuisinier, la patronne menait son monde avec enthousiasme et bonne humeur. On passait là une petite heure très revigorante. Les lois sociales s’appliquant aussi, heureusement, à la restauration, il arrivait que la maison soit fermée, Dans ce cas, les Glycines qui perchaient beaucoup plus près de la basilique offraient une alternative qui n’était pas à dédaigner. Hélas, le temps a fait son œuvre. Si les enseignes subsistent, elles couvrent une réalité qui n’a plus rien à voir avec un passé définitivement révolu. Il vous faudra donc faire confiance à votre instinct ou au hasard, ils peut vous réserver de belles surprises.

Une fois rassasié, on retrouve la place du Champ de Foire. De là, on quitte Vézelay par la petite route d’Asquins. Elle mène aussi à la Cordelle où les franciscains construisirent leur premier couvent français.  La chapelle du couvent est toujours ouverte. On y pénètre après avoir descendu quelques marches. Un dépliant sommaire et multilingue vous dira le reste. Il faut ensuite passer sous la croix placée à l’endroit d’où saint Bernard aurait prêché la deuxième croisade. Ensuite, laissant sur la droite la piste par où commence la Voie d’Assise, le chemin vous amène tout doucettement à Asquins. On traverse le village par sa Grand Rue. Elle est bordée de maisons aux volets trop souvent fermés. On coupe une fois de plus la départementale puis, sur deux ponts, on franchit la Cure et un de ses anciens biefs. Sur la gauche, entre deux petites routes, s’ouvre un large (et parfois humide) chemin désormais pourvu des balises du GR®13.  Entre les Crots Bouillats et Belle Face, il grimpe vers le Climat Séché où une petite chapelle familiale, close par une grille, laisse voir son autel garni de bouquets fanés. Vestiges du temps où il ne fallait pas perdre un pouce de terrain, des murets de pierres sèches accompagnent la montée. De temps en temps ils s’épaississent pour former des cadolles, ces frustes abris qui, naguère, servaient de refuge aux bergers ou aux vignerons.

Après la chapelle, la grimpette continue jusqu’à la crête. Arrivé en haut, on descend, en face, par une laie qui dégringole tout droit dans la pente  jusqu’à un large chemin. On le prend à main gauche et, en sous bois, par Guetteloup, Gîte au Lièvre et les Cartillaux on arrive au-dessus de Givry qu’on rejoint en coupant à travers la Champeigne et les Corvées. Le tout ne prend guère plus de deux heures. Après quoi on n’a plus qu’à s’en revenir chacun dans sa chacunière. Si c’est l’été, on y boira de grands verres d’eau fraîche parfumés de citron ou de grenadine. Si c’est l’hiver, ma foi… N’importe qui peut programmer son four. Alors on pousse la porte, on se déchausse, on ôte sa polaire et son anorak, on se glisse dans ses charentaises…
…et l’on sent en rentrant, avec grand appétit,
    du bas de l’escalier, - le dindon qui rôtit.
Et que ce dindon ne soit qu’un poulet (idéalement bressan) ne changera rien au plaisir que son odeur vous promet.

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(1) Personnage historique qui vécut pendant les règnes de Louis le Pieux et de Charles le Chauve. La Chanson de Roland et à sa suite Victor Hugo en ont fait un contemporain Charlemagne, oncle de la belle Aude. la fiancée du héros et de son frère Olivier tué, lui aussi à Roncevaux.
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Le Chemin de l’Ouest

C’est le chemin des gens de la forêt. Ils ont tracé les sentes, laies et layons que je vous invite à emprunter. Souvent, d’ailleurs, ils n’ont fait que suivre les passées de la sauvagine. Malgré, ou à cause, des chasseurs et des braconniers, elle est ici toujours présente. Bêtes noires et rousses sont chez elles dans ces grands bois où le chêne règne en maître. Pour peu que vous soyez à la fois matinaux et discrets, vous y croiserez sans doute un chevreuil. Quant aux martres, écureuils, fouines, renards, blaireaux, lièvres et sangliers, il vous faudra, sauf chance exceptionnelle, vous contenter de surprendre leurs traces dans l’humide des ornières.
Mais si les animaux sont encore là, le peuple des forestiers n’est plus que l’ombre de lui-même. Scieurs de long, charbonniers, sabotiers, galvachers (1), fagoteux, porchers, ermites et chercheurs de simples, ont déserté clairières, taillis et futaies. A peine si, de temps en temps, les vociférations rageuses des tronçonneuses rappellent qu’il existe encore des bûcherons. On croise de temps en temps leurs camionnettes ou leurs 4*4.

Il arrive aussi qu’on rencontre, héritiers de Messieurs les Maîtres des Eaux et Forêts, une paire d’agents de l’ONF ou de gardes fédéraux patrouillant le massif à bord d’un de leurs véhicules vert sapin. Tout cela pour dire que cet itinéraire est réservé à ceux que n’effraient ni la solitude, ni ce vague sentiment d’inquiétude qu’on éprouve toujours quand on reste trop longtemps en sous-bois. L’enfance n’est jamais bien loin et, si peu que ce soit, nous sommes tous restés les cousins de Chaperon rouge et du Petit Poucet .
Le point de départ est sur la départementale 100 qui mène de Châtel Censoir à Vézelay. On laisse sa voiture à la sortie du hameau d’Avrigny. Une ancienne carrière y offre un parking rustique mais à peu près sûr. De là on traverse la route et on prend plein Sud, un chemin qui grimpe entre les champs des Criaux, des Antes et de la Godillerie jusqu’au bois Berteau. On continue tout droit entre chênes, fayards et charmes jusqu’à la vallée de l’Homme Mort. C’est le moment de se souvenir que, dans ces grands bois, tous les loups n’avaient pas quatre pattes. De tous temps, et ici comme ailleurs, la forêt a servi de refuge aux rebelles avec ou sans cause.

Derniers à avoir hanté les lieux, les maquisards dont des stèles éparpillées un peu partout rappellent que le mot Résistance gagnerait à être utilisé avec un peu plus de parcimonie. Mais tous les hors la loi ne sont pas également respectables. Certes, il n’y eut pas ici de brigands à complainte. Pas de Mandrin donc, ni de Guilleri, ni de Beau-François, à peine un capitaine Fortépices, et des bandits anonymes, coupeurs de bourses et de gorges, meneurs de loups, un peu fous et un peu sorciers, voleurs des grands et des petits chemins, tous, faute de grives aristocrates, plumant très bien les merles du Tiers-État.

Sous le M de l’Homme Mort, la carte (IGN 2722 O) annonce une patte d’oie. Il faut prendre à droite pour attraper, à quelques centaines de mètres de là, une route qui mène aux quelques maisons des Bideaux. Juste avant le hameau, on vire à gauche par le chemin qui, entre le Bois des Seigneurs et les Usages d’Asnières, conduit tout droit vers la mince bourgade de Crai.
Passer par les Usages oblige à se rappeler que c’était ici, comme dans toute la France paysanne, le lieu dédié aux affouages. Affouage, le mot a un parfum. C’est le rude mélange des arômes qui s’exhalent d’un feu de branchages encore verts, d’une jument comtoise attelée au traditionnel quat’roues et des harengs saurs que le parrain faisait griller au grand air des bois, sans crainte d’empester une cuisine où régnaient des femmes qui n’appréciaient pas ce qu’une telle odeur pouvait avoir d’exaltant.

Le feu en moins, et si le temps est suffisamment hivernal, c’est une expérience gastronomique qui a son mérite que de déguster, en guise d’en-cas matinal, un bouffi ou un gendarme convenablement fumés. Naturellement, on aura pris la précaution de transporter cette vigoureuse gâterie dans une poche en plastique tenue à la main ou suspendue à l’extérieur du sac à dos (récipient à jeter, après usage, dans la première poubelle rencontrée). On s’adosse au tronc du plus confortable des arbres de la lisière. On dépiaute l’animal et on le déguste en l’arrosant de quelques gorgées de la vodka glacée dont on a pris soin, avant le départ, de remplir la topette gainée de cuir, héritée d’un grand-oncle amateur de boissons fortes. A quelques centaines de mètres, d’incertaines fumées tremblotent au dessus du hameau de Crai . Le soleil n’a pas encore effacé, sur le bouquet de houx, cueilli une heure plus tôt, au hasard d’un fourré, les merveilles du givre. Des chiens aboient sans beaucoup de conviction et, perchées sur le squelette d’un antique pommier, d’inévitables corneilles croassent en chœur. La halte se termine par un café brûlant. Ayez à ce moment une pensée reconnaissante  pour  messieurs James Dexar et Arsène d’Arsonval inventeurs de la  bouteille thermos. 

On traverse Crai et la départementale 100 (encore elle) et on suit la petite route qui monte plein Est vers le Cerisier du Faîte. Juste en face, un chemin s’enfonce dans le bois de la Soillotte (attention, à la patte d’oie, prendre à droite, toujours en direction de l’Orient). Suivez le ! Il mène à une autre petite route qu’on emprunte pour traverser le bois de Fontaine Nouvelle. Vous ne verrez pas cette source. Elle coule, quelques centaines de mètres en contrebas, silencieuse et secrète comme ses sœurs, elles aussi ignorées du monde, Fontaine aux lièvres, Fontaine au loup, Fontaine Marsin, et toutes les autres fonts, fontettes et fontenottes qui s’obstinent à offrir, année après année, des baignoires aux pinsons et des glissades aux geais. Au bout de cinq cents mètres, on laisse la route et on oblique à gauche par une piste. Elle débouche à la hauteur du Buisson Chrétien dont il faut suivre la lisière pour arriver au hameau de la Goulotte. C’est de là qu’on découvre Vézelay. On comprend immédiatement pourquoi les Zervos, qui reçurent ici tout ce que la peinture et la sculpture du milieu du XX° siècle avaient de grand, choisirent d’y bâtir leur résidence. Les quelques maisons du lieu ont des jardins de curé, des pelouses qui tiennent de la prairie, des meubles de bois délavés, des balançoires artisanales et des clôtures approximatives. Elles laissent aux visiteurs des passages entre lesquels ils s’avancent pour faire le plein de souvenirs et de photographies, numériques ou pas.  Les intoxiqués de la nicotine fumeront ici leur  cigarette, les autres boiront à la régalade l’eau de leurs gourdes et bidons. Tous, après avoir descendu la rue principale, dévaleront à gauche un chemin creux, humide et parfois glissant, qui les amènera au flanc du coteau des prés Ravaudiers.

Là, on marche droit devant soi, en suivant, à peu de choses près, la courbe de niveau, jusqu’à trouver à sa dextre un chemin qui pique droit vers Vézelay. La montée, ici, est moins dure qu’en arrivant par le Nord. Elle se termine sur la place du Champ de Foire. Si c’est l’hiver un restaurant s’impose, mais par un beau jour d’été ou de printemps le mieux est de s’être mis d’accord avec quelqu’un de dévoué (femme, mari, cousin, ami…) qui vous attendra sur la terrasse de la basilique muni des glacières et  des paniers contenant les vivres et le matériel indispensables à la réussite d’un vrai déjeuner sur l’herbe.

J’ai bien dit  déjeuner sur l’herbe et non pas pique-nique. Ces deux activités n’ont en commun que le grand air. Pour le reste tout les sépare. Ce qu’on résumera par l’aphorisme (boiteux) suivant : « Le pique-nique s’avale, le déjeuner sur l’herbe se savoure ». Il  faut au second nappe, fourchettes, vins choisis et présentés à la bonne température (performance rendue enfantine par les progrès de la technique) et un assortiment de mets qui, pour être, le plus souvent, consommés froids (réchauds et grils permettent d’intéressantes variations) ne sauraient sombrer dans le commun. Le cadre a son importance. On ne servira pas la même chose si le déjeuner est donné sur l’herbe d’une clairière, à l’ombre des chênes de la forêt d’Hervaux, ou sur la mince pelouse qui borde un étang de Puisaye. Enfin il y a les convives. Suivez le sain précepte qui veut qu’il n’y en ait pas moins que les Grâces, ni plus que les Muses (soit entre neuf et trois pour ceux qui auraient oublié leur cours de mythologie grecque ).

Au passage, rassurons les personnes dont le souvenir d’un célèbre tableau alarmerait la pudeur. Les femmes ne sont nullement obligées d’y participer vêtues de leur seule beauté. Le déjeuner sur l’herbe s’accommode fort bien d’un zeste d’élégance. Hélas, ce chef d’œuvre de l’amitié et de la gastronomie est en péril. Si nous n’y prenons garde, il succombera bientôt sous les assauts combinés des diététiciens, des coachs sportifs, des margoulins de la nourriture prémâchée et des fabriquants d’ assiettes en carton, de couverts en plastique et de serviettes en papier. Il faut donc lutter avec l’énergie qui convient pour préserver une tradition culinaire qui est à l’origine de quelques chefs d’œuvre de la peinture et de la littérature et d’innombrables épisodes qui teintent de gaîté, de tendresse et de nostalgie nos sagas familiales.  Ceux qui n’auraient jamais eu la chance de se voir offrir l’un  de ces moments de bonheur, trouveront une description de l’idéal du déjeuner sur l’herbe dans l’ouvrage (trop) méconnu de Lucien Tendret  La Table au pays de Brillat-Savarin.

Donc déjeuner sur l’herbe, puis un petit salut à Sainte Marie Madeleine. Un cierge s’impose, même aux consciences les plus résolument anticléricales. Ce lieu ne peut pas plus se passer de la lumière des chandelles qu’au printemps Bagatelle de ses roses ou les cerisiers de leurs merles moqueurs. Après cette station, culturelle et/ou mystique, on repart par où l’on est venu, sauf qu’aux Prés Ravaudiers, au lieu de tourner à gauche vers la Goulotte, on grimpe tout droit en direction de l’Ouest.

Juste avant la lisière du bois, il faut se retourner et admirer une dernière fois la Basilique. Ensuite, il suffit de rejoindre la route venant d’Asquins qu’on suit à gauche, puis, un peu plus loin, à droite jusqu’aux Chaumots. Après les dernières maisons de ce hameau, un chemin s’offre qui, à travers champs et bosquets, mène au bois de Mal Appris. Il convient, à la saison de la chasse, de s’assurer que nulle battue n’est en cours dans les parages ce qui vous obligerait, pour votre sécurité, à marcher sur les larges banquettes de la départementale 36. Si aucun fusil n’est en vue, on s’engage dans le sentier qui est juste de l’autre côté de la petite route de la Bertellerie. Par le Perchet et la Petite Forêt, il arrive à une croisée de chemins où perche une cabane légèrement de guingois (toujours la chasse) et continue tout droit jusqu’à une petite route qu’il traverse pour vous mener au bien nommé village d’Asnières-sous-Bois.  On fait sur la départementale, quelques dizaines de mètres en direction du Sud puis on tourne une première fois à droite pour suivre une rue montante qui n’est autre que l’amorce du chemin de l’Ecce Homo. Deux cents mètres plus loin on tourne encore à droite et l’on n’a plus qu’à suivre la piste qui ramène à Avrigny.

Là, avant de monter dans votre familiale et écologique conduite intérieure, juste après avoir ôté vos chaussures de marche et les chaussettes qui vont avec pour les remplacer par de confortables et propres mocassins, vous regarderez le paysage et, citant Giono, vous murmurerez pour vous-même ou clamerez à la cantonade :
« Tout le bonheur de l’homme est dans les petites vallées» »

 

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1 Pour les étrangers qui ne sont pas d’ici, les galvachers étaient des paysans morvandiaux qui, une fois terminés les travaux des champs, se louaient avec leurs attelages de bœufs  pour le débardage et le transport du bois et de toutes sortes d’autres marchandises. Il existe sur la galvache et les galvachers une abondante et régionale littérature.
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Le Chemin du Sud


À côté coule une rivière. Aujourd’hui, la Cure n’est plus qu’un terrain de jeu pour les amateurs de kayak, de canoë et de pêche à la truite. Comme jadis les sorcières, on l’a exorcisé en noyant ses folies dans les profonds des lacs-réservoirs du Crescent et de Chaumeçon. Ses crues sont écrêtées, son étiage régulé et ses pièges signalés par des panneaux apposés, à intervalles plus ou moins réguliers, par EDF ou les municipalités riveraines.Ses nymphes, ses naïades et ses ondines se sont évanouies et la seule fée qui fréquente encore ses rives est la fée Électricité.

Disparus aussi ceux qui vivaient de la rivière. Aucune meunière ne jette plus son bonnet par-dessus les moulins en ruine. Les laveuses ont laissé leurs garde-genoux et leurs battoirs partir au fil de l’eau ou des vide-greniers. Et les princes de la rivière, les maîtres du courant et des tourbillons, les forts en gueules, en trognes et en muscles, les flotteurs de Clamecy ou de Corbigny qui menaient du Morvan à Paris les trains de moulée s’en sont allés, eux aussi, au pays des neiges d’antan conter fleurette aux dames du temps jadis. Finis donc, les amas de bûches qui bouchaient les biefs des écluses et disparu le bateau du commerce qui, à la fin de chaque saison de flottage, descendait la rivière pour repêcher les rondins noyés.

La Cure, l’enfant terrible du Morvan, a subi le sort des vieilles demeures paysannes devenues résidences secondaires. La grange a été transformée en salle à manger, le pigeonnier en chambre d’amis et on fait du raft à chaque lâcher d’eau des barrages de l’amont. Faut-il le regretter ? Pas vraiment. J’ai vu ma grand-mère faire sa lessive à la rivière et  j’estime que la machine à laver est une des plus belles inventions du XX° siècle. Je n’oublie pas non plus que chaque grand flot se payait de la mort d’un ou plusieurs hommes. Quant aux moulins, ce n’est pas tout à fait un hasard si, dans les vieux contes paysans, les meuniers sont, avec les tailleurs, les aubergistes et les huissiers, les meilleurs clients du diable.

Voilà, j’espère, de quoi meubler les pensées qui accompagneront vos premiers pas. Ils se feront en montant. Votre voiture est garée sur le petit espace qui précède le vieux pont du village de Cure. Il sépare l’antique abbaye d’un vieux moulin (Carte IGN 2722 – TOP 25, 47°25’ de latitude nord et 3°48’ de longitude Est). Suffit, pour commencer, après avoir traversé la rivière, de  tourner à gauche et de suivre, en montant, les balises rouges et blanches du GR® 13. Elles vous conduisent en direction de la Roche jusqu’à un chemin qui part vers la gauche et à l’entrée duquel se dresse une croix. Vous le prendrez plus tard. Pour l’instant, grimpez à droite, le court raidillon qui mène à la statue de Notre Dame de Lumière. L’œuvre se discute. Dans mes moments de mauvaise humeur, il m’est arrivé de penser qu’il n’y a pas que l’enfer à être pavé de bonnes intentions. Mais ne jugeons point si nous ne voulons pas être jugés et contentons nous de nous asseoir au pied de la Bonne Mère. Elle a surement pardonné aux commanditaires et au sculpteur, en faveur du paysage qu’elle a devant les yeux. A ses pieds la rivière et les villages jumeaux de Domecy et de Cure. A sa droite le Morvan et, en face d’elle, à l’horizon, des collines qui, de Tannay à  Donzy courent vers la Loire. Il y a pire comme spectacle.

Prenez le temps qu’il vous faudra pour l’admirer, avant de rejoindre le GR®. Il part vers le  Sud-Ouest en suivant le bord des falaises dominant la rive droite de la rivière. A quelques centaines de mètres, un pas de côté entre deux buissons, vous offrira la surprise d’un belvédère pour chasseurs paléolithiques. Il serait dommage que vous vous en priviez. Plus loin le sentier plonge au fin fond de la vallée où les balises vous enverront vers la droite. On y retrouve la Cure, transformée en un petit lac par la grâce du barrage de Malassis. En été, il arrive qu’on y croise des groupes de randonneurs originaires des zones urbanisées d’Europe du Nord. Ils sont munis d’équipements modernes tels que GPS et tuyaux à pipettes amovibles permettant de téter l’eau du récipient intégré dans leur sac à dos hyperfonctionnel. Leurs vêtements, de la casquette à couvre nuque ou du chapeau de broussard aux chaussettes ergonomiques sont taillés dans des matières à la fois écologiques et équitables. Cela ne les empêche pas d’être, souvent, sympathiques.

Passent aussi par là, et en toutes saisons, des pèlerins. Je me réserve de parler de cette espèce particulière d’errants dans le prochain et dernier épisode. Enfin, pendant les vacances et les dimanches des beaux jours, on peut faire la rencontre d’une troupe échappée d’un centre aéré, d’une  colonie de vacances ou d’une maison de famille. La jeunesse galope accompagnée de plus ou moins près par des animateurs encore acnéiques ou des parents en tenue sportive. La génération précédente : grands-parents ou direction de l’institution suit de loin au rythme sénatorial qui convient à son âge et à sa dignité.

Mais le plus souvent, ici, comme sur le reste du parcours, on est seul. Par temps de canicule, le lac est une invitation à une baignade d’autant plus tentante qu’elle est interdite. Le reste de l’année c’est une autre affaire. Enfermée au fond de quelque chose qui ressemble à une gorge, l’eau dormante a toujours une apparence obscure et menaçante. C’est alors qu’on se souvient des nixes, dangereuses sirènes des eaux douces aux yeux et aux cheveux verts, toujours prêtes à saisir l’imprudent qui se risquerait à troubler la paix de leur domaine pour l’entraîner au fond de l’eau et l’y noyer.
 

Heureusement, quelques centaines de mètres avant le barrage, pousse un buisson de houx. La Vierge a béni ces arbres car, dit la légende, l’un d’entre eux a protégé son enfant des massacreurs d’innocents  lancés à sa poursuite par le roi Hérode. Depuis il garde les hommes de tous les maléfices. Raison pourquoi les anciens charrons n’oubliaient jamais d’équiper leurs carrioles d’une pièce façonnée dans son bois. Passez donc tranquilles, le houx tient les nixes, les goules et les lavandières de la nuit à l’écart du chemin. Mieux, en hiver, cet arbuste, ignoré des merles et des étourneaux pilleurs de jardins et de lisières, offre au passant ou à la passante ses branches chargées de baies rouges éclatantes d’allégresse. Il y a là de quoi  faire, à la Noël, assez de bouquets pour décorer toute une gentilhommière morvandelle.
 

Après le barrage, la Cure redevient un torrent assagi dont on suit le cours sans trop se soucier de savoir où l’on met les pieds. Parfois, une escadre de kayakistes débutants procure au randonneur l’attrayant et comique spectacle du, petit, malheur d’autrui. En effet, contempler, ne serait-ce qu’une dizaine de minutes l’enchevêtrement d’embarcations, de pagaies et de casques causé par un baliveau qu’un orage a jeté au travers du courant, suffit à dérider le plus renfrogné des grincheux. Tout se paie cependant et, épreuve récurrente des randonnées morvandelles, il vous faut à présent, franchir à gué le Gablot. En temps ordinaire, moyennant un peu d’attention, quelques pierres et un solide bâton, il n’est pas difficile de traverser ce modeste ruisseau. Pourtant si, les jours précédents votre passage, il est tombé des pluies un peu fortes, le risque d’un bain de pied n’est pas à exclure. Mais vous avez le sens de l’équilibre, l’œil vif et la jambe leste, cette difficulté n’en est donc pas une. Mieux elle ajoute à la balade cette petite pointe de piquant sans laquelle la meilleure des sucreries n’est que douceur fadasse.

Un fois franchi ce ruisselet, la randonnée continue le long de la Cure jusqu’à atteindre le vieux pont de Pierre Pertuis. Un petit viaduc lancé sur la vallée au XIX° siècle le domine.  Aux beaux jours, une entreprise de loisirs installe dans les arbres de la rive gauche un parcours acrobatique et sécurisé. Des primates chaussés de Nike® ou d’Adidas® s’y livrent aux joies du pont de singe, du rappel et de la tyrolienne. Ils manifestent le plaisir que cette occupation leur procure par des glapissements ponctués de rires plus ou moins sonores.

Leur présence fait fuir les pêcheurs de brochets qui, avant leut arrivée, appuyaient leurs cannes au parapet du pont. On les retrouvera dès l’automne quand les sportifs arboricoles ont déserté les lieux. De temps en temps ils sortiront de l’eau une prise assez conséquente pour orner le déjeuner du dimanche. Certains d’entre eux,  portés à l’ostentation, naturaliseront la tête de l’animal qu’ils exposeront à l’admiration du vulgaire en la clouant à la porte de leur grange. Qui mettrait en doute ce dernier détail n’a qu’à faire un petit détour par Foissy-lès-Vézelay et à ouvrir l’œil.

Un court raidillon amène le randonneur sur la départementale 353. Là, il partira sur la droite  pour atteindre Précy le Moult un kilomètre plus loin. Auparavant, s’il révère l’art des fortifications et la mémoire des honnêtes gens, il se recueillera devant la maison de famille de Louis Leprestre, Maréchal de Vauban dont une plaque célèbre le souvenir. Quant aux amateurs de curiosité géologique, ils pourront aller contempler la roche percée d’où Pierre Pertuis tire son nom. C’est une affaire d’un peu plus d’une demi-heure.

À Précy, il vous faut quitter la route et prendre sur la gauche un chemin, balisé en jaune, qui traverse les champs Germain en gardant sans faiblir un cap Nord – Nord-Ouest jusqu’à croiser une petite route. A partir de là continuez en direction de Saint Père. Droit devant, la basilique montre son côté sud. Sur la gauche, la Cure galope à l’abri d’un rideau de vernes, de frênes, de saules têtards et de peupliers. A droite, des troupeaux de vaches charolaises broutent l’herbe des coteaux qui montent vers Fontette et Tharoiseau.

Vous voici dans Saint Père. Le village mérite qu’on s’y arrête, pas seulement pour son église et son musée également intéressants, mais aussi à cause de l’entassement de ses maisons, des surprises de ses venelles et de quelques-unes de ces bizarreries hétéroclites qui font le charme de la France profonde. Elles vous raviront d’autant mieux que vous les aurez découvertes sans autre aide que celle du hasard lequel fait bien les choses plus souvent qu’on ne croit. 

La petite route qui vous a amené jusqu’ici se transforme en rue. Elle débouche à deux pas du pont aussi étroit que bossu qu’il convient de le traverser en prenant garde aux aléas de la circulation automobile. C’est la troisième et dernière fois de la journée qu’on passe la Cure. On peut donc s’accouder quelques instants au parapet pour regarder l’eau fuir avec le temps. Une échelle des crues, le bief d’un moulin désaffecté et les tourelles qui flanquent une ou deux vieilles bâtisses proposent quelques curiosités annexes à ne pas négliger.
Sitôt après le pont il faut tourner à gauche. Auparavant, les amateurs de pique-nique roboratif auront poussé la porte de la boucherie charcuterie du village pour se munir de saucisson, de pâté de campagne et d’un morceau de petit-salé qui fait merveille accompagné d’un Coulanges juste frais. Pain, vin, fromage et fruits se trouveront à Vézelay où conduit un diverticule du GR® 13 qui suit, au travers des lieux-dits Créchot et Merlutte. le chemin de Saint Christophe. Quand, pour finir, vous allez déboucher sur la route, quelques dizaines de mètres vous suffiront pour entrer dans le bourg. Là, au lieu de suivre la masse des visiteurs montant à la Madeleine par la rue Saint Etienne, prenez plutôt, sur la droite, la promenade qui longe ce qui reste des remparts. Elle vous réserve quelques belles surprises. Après deux ou trois centaines de mètres, vous rejoindrez la Basilique par un chemin où poussent la giroflée, la gaillarde et la chapelle orthodoxe et qu’ignoreront toujours ceux qui n’imaginent même pas qu’on puisse prendre un autre itinéraire que celui qu’indiquent leurs guides verts, bleus ou arc-en-ciel.

Il faut un peu plus de trois heures pour parcourir cette première étape. Donc, si vous êtes partis entre 8h00 et 9h00 du matin, vous savez ce qui vous reste à faire après l’obligatoire visite à sainte Madeleine.  Une fois requinqué suivez, pour amorcer le chemin du retour, la direction de l’Auberge de Jeunesse. A une centaine de mètres sur la gauche, des balises jaunes indiquent un chemin qui monte doucement jusqu’aux abords de l’enclos d’un ancien ermitage. Prenez le et n’hésitez pas à vous retourner souvent. La vue en vaut la peine. En arrivant à la hauteur de l’Auberge de Jeunesse, laissez-vous tenter par la petite route bordée de murets de pierres qui descend vers le lieu dit l’Etang. Au creux du vallon, la pièce d’eau est toujours là, alimentée par les sources de Grande Fontaine et de Demi-Vin. Le ruisseau des Grands Jardins s’en échappe par le bief de l’ancien moulin. C’est lui que vous avez vu couler, deux petits kilomètres en aval, lorsque, quittant Saint Père, vous avez entamé la montée de Saint Christophe. La route contourne le hameau en remontant vers le bois de Châtenay. On le traverse en prenant à droite, un bon chemin qui monte pour s’enfoncer dans les taillis. Il passe au-dessus de la Maladrerie et conduit à un carrefour où se croisent les routes de Foissy et de Fontenay. En face, plein Sud, une piste forestière coupe un lacet de la route qu’elle rejoint pour vous mener au col qui sépare les Monts Lignon et Bottrey  (334 m chacun) au lieu dit La Croix de la Madeleine. Là, juste avant de changer de versant, Vézelay vous adressera un dernier signe. Aussitôt après, engagez vous sur la gauche, sur la piste qui, à travers champs, mène à la Croix Galmard. C’est dans les premiers mètres de ce chemin que vous pourrez découvrir un paysage qui va du Mont Sabot à Bazoches. Est-il utile de rappeler que l’église de cette localité abrite le tombeau du Maréchal de Vauban, dont le château domine toujours la vallée. On peut y entendre, au début de l’été, des concerts qui ne sont pas sans intérêts.

Passée la Croix Galmard, la petite route sur la droite conduit à Soeuvres. Traversez ce village, en gardant la direction du Sud. Au passage ne manquez pas le curieux et rafraîchissant lavoir, installé sous les piliers d’une forte bâtisse. A la sortie du bourg prenez sur la droite puis, très vite sur la gauche le chemin qui mène à l’humble montagne des Abrèges (265 m). De là, nouvelle vue, plus rapprochée, sur Bazoches. Il y en aura d’autres.

Après la crête le chemin descend tout droit jusqu’au ruisseau de Charancy. Il le franchit, au gué Marguereau, par une passerelle artisanale mais assez solide pour supporter tracteurs et machines agricoles. Les randonneurs peuvent donc s’y engager sans hésiter. Remontez ensuite jusqu’à la ferme de Comé puis, en suivant les vallons où court le ru de Bazoches  rejoignez Domecy sur Cure.
Il vous faut faire un détour si vous voulez apercevoir les tours du château du lieu. Mais on peut préférer se laisser glisser entre les mêmes prés, peuplés de bêtes blanches, d’herbes plus ou moins hautes, de chênes, dont les basses branches sont élaguées à hauteur de mufles, et de fleurs des champs, que ceux qu’on a  traversé depuis Soeuvres pour arriver à la voiture laissée le matin, à l’ombre des haies et des tourelles de l’ancienne abbaye.

Le pont n’a pas changé de place, la rivière non plus. Elle continue sa course et sa chanson pareilles et changeantes. Une brume légère flotte sur ses rives. Les êtres sans imagination n’y verront qu’un peu de brouillard, les autres y découvriront l’ombre impalpable des hommes et des femmes de la rivière, meuniers et meunières, laveuses, pêcheurs, gardes et bracos et, au milieu d’eux, les flotteurs et leurs crocs. Ils sont là, ils sautent d’un train de bûches à un autre, ils passent les pertuis, ils défient les orages et les crues, ils encombrent les auberges du retour et pour finir ils vont, en procession, saluer Saint Nicolas leur bon patron. En tête du cortège, le plus fort de tous ces costauds porte le bâton. Selon l’usage on y a sculpté l’image du saint avec à ses pieds les trois petits enfants sortant de leur saloir.  Avant de partir, pour se donner de l’allant, tout ce monde a trinqué largement, aussi Saint Nicolas et les trois minots tanguent dangereusement. Ce n’est pas une affaire. Le saint en a vu d’autres quand il naviguait au péril de la mer et les trois petits innocents sont encore trop éblouis par leur résurrection pour avoir peur de chavirer. Et c’est ainsi qu’ils avancent le long de la Cure, en route vers Vézelay où la Madeleine leur ouvre ses bras comme elle les ouvrira pour vous si vous savez les suivre.


Le Chemin de l’Est


Il prend sa source à Pontaubert. Ce village occupe un des sommets du triangle presque isocèle, formé par les départementales 142 (en jaune sur la carte), 957 (en rouge) et l’ex-nationale 6. Comme son nom l’indique, il tire son origine d’un pont jeté sur le Cousin par un certain Aubert, comte carolingien d’Avallon. Ce cousin de Robert le Fort s’illustra, paraît-il, dans les combats contre les Vikings. Que n’était-il là pour empêcher les pirates de s’en prendre aux nonnes de Saint Père.
 L’église romane du lieu (près de laquelle vous vous garerez), est une fondation templière. Comme les autres biens de l’Ordre, elle est passée aux Chevaliers Hospitaliers de Saint Jean de Jérusalem dont elle porte encore la croix de Malte.
La route, le pont, l’église, et, peut-être, l’hôpital, c’est assez dire que nous sommes ici sur un de ces grands chemins qui furent,  pendant des siècles, le domaine de l’innombrable  piétaille dont nous descendons tous et dont nous avons hérité, en dépit des fabricants de scooters, motos, automobiles et autres confortables et modernes prothèses, un goût aussi inné qu’irrésistible pour la marche. Celle d’aujourd’hui n’a rien de bien difficile. Elle laisse toute sa place au rêve et aux souvenirs.  Voilà pourquoi je la dédie à tous ceux qui, avant nous, il y a mille ans, il y en a dix,  ont, un jour,  pris la route.
Et pour commencer, les Compagnons du Tour de France. Comme tout le monde j’ai, perchés dans les branches de mon arbre généalogique, deux ou trois de ces drôles d’oiseaux. S’appelaient-ils Bressan le Chapiteau, Saintongeais l’Ami du trait, Chalonnais Prêt-à-Bien faire ou Bourguignon la Tandresse (le a n’est pas une erreur:  j’ai lu son paraphe, en haut d’un des arcs-boutants de la cathédrale d’Auxerre) ? Je l’ignore et cela n’a guère d’importance puisque ces noms et d’autres, comme eux, décoratifs et sonores, Poitevin la Sincérité, Avignonnais la Vertu, Champenois la Palme de la Gloire, Beauceron la Fidélité ou Auxerrois le Flambeau d’Amour suffisent, chantonnés en forme de litanie, pour redonner du cœur au ventre et du nerf au mollet au marcheur que démoralise la fringale ou l’ampoule au talon. Mais en notre époque de vitesse et d’efficacité, tailleurs de pierre, charpentiers, doleurs, tonneliers, maréchaux, cloutiers, cordonniers
 les menuisiers les ébénisses
les entrepreneurs de bâtisse...,
gavots et dévorants, enfants de Salomon, du Père Soubise ou de Maître Jacques, les compagnons n’arpentent plus les routes la canne à la main et, à la boutonnière les rubans aux couleurs de Sainte Anne ou de saint Eloi. Pour aller où le Devoir les appelle, ils prennent, comme tout le monde, le train, la voiture ou l’avion. Ils y sont bien obligés. Voyager à pied demande du temps, denrée devenue précieuse et qu’il convient de ne pas gaspiller. Gaspiller est-ce bien certain ? Il faut choisir : ou vendre son temps, ou le donner au bonheur (1).

Le bonheur sur la route c’est vite dit. Espontons, aspirants, compagnons reçus et finis n’étaient pas seuls à aligner des lieues de longueurs essentiellement variables. En chemin, on en croisait bien d’autres : conscrits partant faire leur temps ou vieux soldats revenant au pays,  porte-balle courbé sous la hotte de pacotille ou maquignons poussant leurs bêtes, l’argent de leurs marchés, bien caché dans leur ceinture. Et encore tous ces gens, militaires, ouvriers, gagne-gros et gagne-petits savaient-ils où aller.
Mais il y avait les autres : le peuple des errants, des sans feu ni lieu, trimardeurs, chemineaux, vagabonds, mendiants plus ou moins sincères, vrais ou faux stropiats, ombres inquiétantes et faméliques, partis un jour, poussés par on ne sait quelle misère ou quel désir d’ailleurs. On ne leur refusait ni la croûte de pain, ni de coucher dans la grange mais on leur faisait soigneusement les poches, crainte de l’allumette jetée dans la paille ou du rossignol glissé dans la serrure. Pour eux la vie n’était pas rose. Les innombrables lieux-dits « L’Homme-Mort » (il y a également des « Femmes-Morte », mais en moindre quantité) racontent les pauvres cadavres, raidis par la gelée, assommés par la canicule, ou déchirés par des loups qui trouvèrent, au creux d’un fossé ou au coin d’un bois, la fin d’une vie d’atroce misère. Eux aussi cajolent, croassent, caquettent sifflent et roucoulent sur les rameaux les mieux cachés de nos arbres de famille.

Au milieu de tout ce vacarme, perce une autre chanson .C’est celle des pèlerins. Ils marchent pour expier leurs péchés ou pour demander la grâce d’une guérison du corps ou de l’âme. Ils vont seuls ou en troupe portant le costume de leurs bienheureux patrons Saint Roch et Saint Jacques. Chapeautés de feutres, chaussés (pas toujours) de brodequins, la besace pendue à l’épaule, le bourdon à la main, ils vont en chemises de toile plus ou moins fine sous le gilet ou la veste du même gros drap dans lequel sont taillées leurs braies ou leurs jupes. Là dessus, ils ont jeté la vaste cape de bure qui leur doit son nom de pèlerine.
Depuis une semaine, un mois ou un an, ils sont en route pour visiter la Madeleine,  le Mont Saint Michel, Saint Martin de Tours, les Trois Rois de Cologne, Saint Jacques de Galice et Rome où mènent tous les chemins. Ceux qui ont quitté Pontaubert, comme vous vous apprêtez à le faire, suivront la route de Clamecy. Ils y rencontreront quelques manants allant aux champs ou en revenant et, peut-être, un charroi parti d’Asquins, pour mener à Dijon les futs de vin du Clos au Duc. Quand ils apercevront le moulin à vent qui tourne ses ailes au-dessus de Tharoiseau, les plus forts et les plus agiles se mettront à courir vers la grande croix de Montjoie d’où, pour la première fois, ils verront Vézelay. Celui qui, le premier la touchera, sera le roi du pèlerinage. Souvent, le surnom lui restera. Il passera à ses descendants. Qui de nous ne connaît un Roy ou un Leroi ? Au pied de la croix, ils casseront une croûte, avec les provisions reçues à la passée (2)  de Pontaubert, puis ils s’en iront à Vézelay saluer les saintes reliques de celle qui, la première vit notre Seigneur au matin de sa résurrection. En chemin, de sûr,  ils chanteront la bonne chanson

Parmi les monts les prairies
Nous chantions la Litanie
Ou quelques bonnes chansons
Et racontions à l’envi
Tout ce que savions de bon…


Rien ne vous interdit de les imiter, Bien entendu, vous choisirez l’air et les paroles qui vont le mieux à votre humeur et au temps qu’il fait car c’est à vous, maintenant de vous mettre en chemin. Votre voiture est garée sous les arbres du petit mail qui va du porche de l’église à la fontaine dont l’eau (non potable pour les étrangers au bourg) ruisselle dans une vasque de pierre. Hier il a plu. Le matin est clair et frais comme le cristal et vous avez gardé la veste rouge, siglée Lafuma®, qu’il sera si agréable d’ôter dans une ou deux heures d’ici.

Après quelques pas en direction de Clamecy, engagez vous sur l’humble petite route qui s’en va à main gauche. Entre des jardins de retraités, des maisons plus ou moins retapées et les premières haies elle vous conduira au chemin d’ornières et d’herbes qui grimpe à l’église d’Island. Entourée par les tombes de son cimetière, elle est calée au coin d’un carrefour, à l’écart des maisons du bourg. Tournez à droite et redescendez vers la  grande route que vous suivrez sur quelques centaines mètres, en prenant garde à la toujours périlleuse circulation automobile. Sur la gauche, un panneau indique une piste allant en direction du Saulce. Prenez là. Le lieu appartenait aux Templiers qui y ont laissé une chapelle. Ayez une pensée pour ces moines soldats dont la catastrophe n’a pas fini de nourrir l’imagination des littérateurs et, parfois, la bourse de leurs éditeurs : Inutile de rechercher le trésor du Temple dans les souterrains de Gisors ou autour de Rennes le Château. Il prospère, à l’abri des illuminés et des possesseurs de poële à frire magique, sur les comptes bancaires des publicistes qui, de génération en génération, vendent un secret qui, peut-être n’existe pas, aux amateurs de mystères. L’abondance des clients prouve que le marché, loin d’être saturé, ne cesse de se renouveler.

Un quart de lieue après le Saulce, la piste rejoint en montant, une petite route qu’on prend à droite pour grimper jusqu’à Tharoiseau en guettant l’apparition de la Madeleine. Qui la verra le premier ne manquera pas de crier « Montjoie ! » et deviendra roi de votre pèlerinage. En récompense, quelqu’un tirera de son sac une bouteille de Saint Bris dont il extraira le bouchon à l’aide du Laguiole acheté lors de son séjour en Auvergne. Il en offrira de larges rasades à ses compagnons et à ses compagnes du jour. Ceux-ci n’auront garde de refuser. Au contraire, ils en profiteront pour tirer du sac l’épais sandwich aux rillettes ou l’exotique Pan Bagnat qu’ils mastiqueront en humectant chaque bouchée d’une lampée de cet inimitable sauvignon.

En face de la grille basse du château de Tharoiseau, s’ouvre un chemin de pierres. Il dégringole entre orties, ronces et arbrisseaux, Dégringolez vous aussi, mais avec précaution (le sauvignon a parfois des traitrises). A mi-pente il s’assagit et, en suivant le flanc du coteau il vous conduit derechef à la route de Clamecy par laquelle vous entrerez dans Saint Père.
Pour accéder à la Basilique, vous avez le choix entre le chemin du Nord et celui du Sud.  Si le promeneur qui est en vous l’emporte, ce sera la voie de Saint Christophe, si c’est le pèlerin vous passerez par le sentier de la Fontaine Sainte Madeleine. Peut-être y verrez-vous, assis sur la margelle, trois ou quatre individus que vous reconnaitrez au premier coup d’œil. Ils ont, comme le randonneur de base, chaussures de cuir et de gortex, chaussettes différenciées et marquées R pour le pied droit et L pour le gauche (conséquence du règne de l’anglais sur le commerce international ), pantalons et chemises à sèchage rapide ou polaires, c’est selon la saison. Seulement l’ensemble à cette patine spéciale qui ne s’acquiert qu’après plusieurs semaines de lavage artisanal et de marches répétées contre vent, soleil et pluie. Suivant leur état physique et la longueur de l’étape qu’ils viennent d’accomplir, leur regard hésite entre le vague et le serein . Enfin, et c’est le signe qui ne trompe pas, ils portent suspendue à leur cou, par un lacet de cuir, épinglée à leur chapeau ou accrochée à la bretelle de leur sac, la coquille qui sert d’emblème, de passeport et de signe de reconnaissance aux pèlerins d’aujourd’hui. Si vous leur inspirez confiance peut-être vous raconteront-ils une de ces histoires qui, le long du grand chemin de Saint Jacques courent de gîte d’étape en chambre d’hôtes et de bivouac en auberge. Il n’est pas certain qu’elle soit tout à fait vraie.

C’est sans importance ! Aussi fantaisistes que soient leurs récits, ils en disent bien plus sur le profond des êtres que la plus pointilleusement sincère des confessions. Avec un peu de chance, vous les retrouverez devant la basilique. Ils y entrent doucement, n’en revenant pas d’être là, eux qui ont quitté Namur, Colmar, Dijon ou Savigny le Bois pour aller voir ailleurs, en Galice, si par hasard ils n’y étaient pas. Un regard aux portails un autre aux chapiteaux du bas côté droit, une prière devant la statue de la Madeleine, une autre dans la crypte et ils ressortent sur le parvis d’où ils se dirigent vers le gîte réservé deux ou trois jours avant dans l’ancienne maison franciscaine du haut de la colline ou à l’Auberge de Jeunesse. Ils reviendront dans l’après-midi admirer plus en détail les beautés de l’ancienne abbatiale, puis assis à une terrasse, ils rédigeront les cartes postales qui jalonnent leur parcours. Ensuite ils achèteront le pique-nique du lendemain et retourneront à leur retraite d’un soir où, penchés sur leurs guides, ils prépareront l’étape suivante à moins qu’il ne se lance dans une de ces conversations où s’invente, chaque jour un peu plus, leur légende.
Pour vous, comme d’habitude, j’ai calculé votre itinéraire pour que vous soyez à Vézelay à l’heure du déjeuner. L’hiver, et pour un prix modique, le restaurant des Glycines, déjà évoqué, servait  une soupe qui vous requinquait son marcheur. Le coq au vin et le dessert consistant qui suivaient, permettaient d’envisager la suite de la journée avec optimisme surtout si on arrosait le tout d’un Epineuil de bonne venue. Hélas tout ceci n’est plus. Vous faut chercher vous même, où vous caler les joues.

Après cette halte, vous quitterez Vézelay par la porte Sainte Marie pour descendre à Asquins par le chemin de la Cordelle. Au passage, ayez une pensée de compassion pour les milliers de marcheurs néophytes qui, s’étant lancés imprudemment dans l’aventure annuelle de la marche Auxerre-Vézelay, usèrent leurs dernières forces dans l’escalade de ce redoutable casse-pattes.
Dans Asquins, traversez la Cure et son bief, puis prenez droit en face de vous, le chemin goudronné qui monte au bois de la Tournille.  En arrivant en haut de la côte, le goudron fait place aux cailloux et à l’argile. Vous voilà sur le Chemin du Nord, mais, vous le prenez en sens inverse et cela change tout. Suivez le tranquillement. Il oblique un peu à gauche, puis, au coin d’un bois tourne à droite pour rejoindre des pièces de vigne et, pour finir vous ramène au GR® 13 et à Domecy sur le Vault (vous savez l’église, les châteaux, le lavoir et les maisons restaurées).

Une fois passé le fond du vallon de Domecy, partez à droite sur une route-chemin qui, à travers le Bois des Chêneaux, vous conduira à la crête des Vignes de Blansot. Ici, les treilles ont laissé place à la prairie. Vous pouvez, si vous voulez, piquer tout droit dans la descente pour rejoindre le chemin que vous apercevez deux cents mètres en contrebas. La prudence conseille, pourtant, d’éviter le risque d’une confrontation directe avec un taureau de race charolaise, espèce d’animal dont les réactions sont, très largement, imprévisibles. Mieux vaut donc suivre, sur votre droite, la crête et la lisière de la Bécasse jusqu’à ce que vous rencontriez,  ce même chemin qui vous ramènera, en suivant tranquillement sa pente, à la route de Clamecy (encore elle) par laquelle vous rentrerez dans Pontaubert.

La fontaine est toujours là, l’église et les arbres du mail aussi. Un peu plus loin le Cousin et le pont n’ont pas bougé d’un millimètre. Pas plus d’ailleurs qu’en face de vous, la vieille dame qui, ce matin, vous a regardé partir, comme depuis des siècles les gens d’ici, sédentaires suspicieux ou bienveillants, regardent passer tous ces gens, compagnons, bohémiens, trimardeurs, mendiants, rouliers et pèlerins qu’a frappé, un matin clair et frais comme le cristal, la magnifique folie du voyage.

 

JEAN-PAUL ROUSSEAU

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(*) On peut se procurer le livre de cette chronique dans les librairies indépendantes d'Auxerre au prix de 7€

 

1 Merci Honoré de Balzac et sa Physiologie du Mariage où j’ai trouvé cette citation.

2 On appelait «passée» les provisions que les moines et les membres de confréries remettaient aux pèlerins et aux autres « pauvres de Dieu », quand ils présentaient dans leur couvent ou les hôpitaux dont ils avaient la charge. Le plus souvent c’était un pain pour la besace et une pinte de vin pour la gourde, mais on servait parfois aux passants de la soupe et un morceau de lard ou du poisson salé.