Elle est Réunionnaise et gendarme. Et ses harceleurs sont sur la sellette. Et on cherche les failles chez elle, comme si elle était tenue de se vêtir comme une pensionnaire ou une nonne, rentrant broder son trousseau dès la fin de ses heures, sans quoi, voyez vous, elle s’expose à ce genre de choses, n’est-ce-pas? Elle, elle n’a droit à aucun écart qui ne soit vu comme un “ah ben voilà, vous voyez bien qu’elle lançait des messages troubles, avec ses gros seins et ses rires quand on lui parlait de son cul… vous voyez bien!”.

Et que pouvait-elle faire sinon rire dans l’espoir de ne pas agraver les choses en se montrant guindée, de garder sa place sans ennuis, ou bien de rire parce que ce jour-là ça la fait rire, elle est de bonne humeur et ne veut pas se gâcher la journée, et elle ne comprend pas que demain il y aura une autre “plaisanterie” et encore une autre après-demain et tous les jours, au point de créer un jeu sinistre de la souris et des affreux matous baveux.

Mais les harceleurs, eux, qui au fond trompaient leurs femmes à tour de bras, ils ne faisaient que "des blagues de mauvais goût, des gauloiseries saines et innocentes comme en pondent tous les mecs une fois entre eux, des sottises d’hommes qui ne pensent pas à mal”. Toutes des putes sauf maman est leur devise, vraisemblablement.

Et ils sont censés, en prime, protéger les citoyens dont ils méprisent femmes, mères et filles.

La vie d’une femme au travail - et ailleurs - est jalonnée de ces horribles sous-entendus,  de cette banalité de la violence et du mépris. Les paysans qui se marraient de voir arriver les touristes citadines qui, à la recherche de nature et vérité baba-cool, allaient ramasser les fraises en saison, je ne dirai pas où. Ha ha ha, elles vont se faire violer par le patron ! Et oui, elles se faisaient violer et eux se marraient et en parlaient dans le village où on trouvait qu’elles avaient eu ce qu’elles méritaient. Le chef d’équipe d’un mess qui avertissait de ne pas entrer dans la chambre froide si untel y était car il était connu pour y violer les filles, ha ha ha, on vous aura prévenue. Les “c’est à vous tout ça?”, “oh putain le cul!” “quelle chute de reins invitante”, “vous avez une bouche à faire des pipes” “tu veux bien venir me faire une vidange?” qu’on lui sussure, à cette femme, dans des restaurants ou dans la rue… Les pelotages sournois dans les bus ou métros, voire dans la rue également, et personne ne vous aidera jamais, ni homme ni femme, et votre seule option est de faire profil bas pour ne pas, en plus, vous faire insulter verbalement.

Les hommes qui s’amusent de cet ignoble jeu n’apprendront jamais le respect des femmes, et ne l’auront jamais. Ils ne sont sans doute pas certains que même maman ne soit pas une pute mais ils ne veulent surtout pas être un fil de pute, et c’est donc là la seule forme de “respect pour une femme” qu’ils connaissent. Mais avec des sanctions sévères, au moins peut-être le regard des témoins complices par leurs rires idiots et leur manque de compassion changera-t-il un peu. Sans un fan club pour trouver ça marrant, une partie du fun s’éteindra peut-être.

Mais en tout cas, le jugement est attendu en avril, et la détermination de cette jeune femme - qui a témoigné hier - à tenir tête est brave.

Un an de prison avec sursis requis par le procureur de la République ? Un message du genre "allez les gars, vous avez un peu forcé, là... vilains galopins". On blague ou quoi ? Et puis ils seront miraculés ? Et ils resteront gens d'armes, armés de leurs révolvers et humour de salle de garde pour venir en aide au monde...

Et que l’on se demande : quelqu’un aimerait-il savoir que sa fille, en difficulté quelque part, pourrait être “secourue” par un de ces harceleurs? Imaginez qu’elle soit décolletée, gentiment fardée, avec un petit verre dans le nez et une jupe trop courte, sortant de la discotèque… et qu’elle ait besoin de l’un d’eux ???

 

 

                                                              Suzanne DEJAER