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FIGURES

Louis Clément fondateur de l'Yonne républicaine est mort

Militant cégétiste, membre fondateur et PDG de la Coopérative ouvrière de production l'Yonne Républicaine, Louis Clément est décédé il y a quelques jours, à l'âge de 91 ans. Conformément à sa volonté, il a été incinéré et l'annonce de son décès différée


 

Louis Clement, en juin 1983, rue Jean-Moulin dans les locaux de la "cathédrale" en face du siège du journal (DR)

 

P'tit Louis n'est plus. Il a tiré sa révérence discrètement. Il aimait blaguer et se moquer en douce, envoyant aux témoins attentifs un clin d'oeil dont lui seul avait le secret.

Pensionnaire de la maison de retraite de Perrigny, on l'avait vu encore dernièrement déjeuner au Rendez-Vous chez l'ami Jean-Pierre. Il avait toute sa tête et comment.

Lecteur assidu du Canard Enchaîné, Louis Clément aura conservé sa vie durant une lucidité percutante. Il n'hésitait pas à reprendre de volée la moindre défaillance de son interlocuteur, qu'il soit ouvrier, employé, journaliste, patron ou préfet.

L'homme était respecté pour son engagement et sa rigueur. Gestionnaire implacable, il disait à ses journalistes qu'il fallait qu'ils soient meilleurs que les autres et montrer que les coopérateurs étaient plus performants que les capitalistes. C'était l'époque où l'Yonne républicaine était une entreprise très prospère. P'tit Louis n'hésitait pas à différer des pages d'infos au profit des annonceurs au grand dam de la rédaction.

C'était aussi un sacré personnage, une figure locale. Avec cet accent inimitable et la voix à peine chevrotante qui le caractérisaient (... mais quoi donc t'as fait .... heieiiiiiiin ... ?) lorsqu'il rigolait car il aimait rigoler aussi, et pas que piquer des colères rouges.

Enfant de Maligny, jeune déjà, il était une carne et espiègle à en croire les Séguinot avec qui il se battait régulièrement dans la cour de récréation. Son père était boucher.

Louis Clément était surtout un homme intelligent, rusé, malin et bon stratège. Convivial il l'était et appréciait le chablis surtout celui de Lamblin son compatriote contemporain de Maligny, et le genre humain.

Maintenir une coopérative ouvrière pendant des décennies au nez et à la barbe du patronat et des puissances de l'argent, n'était pas chose évidente. Le PDG sut composer, négocier, notamment avec Jean-Pierre Soisson en pleine ascension.

Patron ouvrier ou ouvrier patron, il était insaisissable, corporatiste, dur en affaire mais respecté. Triste pour les anciens, ses compagnons de route, les Lalande, Bigé, Linderme, Bardin, Mouls, Capitaine, Mérat, Pierre, Compérat …(certains sont décédés) qui avaient l’esprit coopératif chevillé au corps.

Il a fait valoir ses droits à la retraite à 60 ans, alors qu'il aurait pu continuer encore pendant longtemps. Mais il s'est battu pour la retraite à 60 ans. Il n'allait pas aller à l'encontre de ses convictions. Il aura vécu trente ans à la retraite. Les dernières années de sa vie auront été marquées par les épreuves. Après son épouse Marcelle, Louis Clément a perdu sa fille unique, Francine.

Digne et lucide jusqu'au bout, y compris en politique, il le fut. Il aura réussi un dernier pied de nez en différant l'annonce de sa mort.

Le quotidien l'Yonne républicaine issu de la résistance a succédé au Bourguignon, où Louis Clément était entré comme apprenti typographe, en 1941.

Ce fut une exception dans le monde de la presse quotidienne régionale : l’Yonne Républicaine, le seul journal dont le capital soit détenu à 100% par ses salariés.
Pendant plus de 60 ans, grâce à son statut coopératif, l’Yonne-Républicaine avait su préserver son indépendance. Le journal n’appartenait pas à un grand groupe. C'était une exception. C’était sa fierté de vilain petit canard.

Avec la disparition de Louis Clément, c'est une page de résistance et une page de l'histoire de l'Yonne qui se tourne.

 

Pierre-Jules GAYE

 

 

Jean-Pierre Soisson : "... nos successeurs ne nous valent pas..."

Écoutez le podcast, la réaction de l'ancien député maire d'Auxerre

 

 

L'Yonne républicaine

 

Le journal fut créé par arrêté préfectoral le 24 août 1944, jour de la libération d’Auxerre, et remplace alors le Bourguignon, suspendu pour avoir paru sous l’Occupation et conformément aux ordonnances du gouvernement provisoire de la République siégeant à Alger.
Le premier numéro est diffusé deux jours plus tard et sort de l'imprimerie de la rue René-Schaeffer, à Auxerre. Ce jour là, "L'Yonne Républicaine" prend la suite du "Bourguignon" qui existait depuis 80 ans à Tonnerre.
A la libération, le conseil d'administration de "L'Yonne Républicaine" était composé de représentants des différents mouvements de la résistance et de membres du personnel, gestion assurée sous forme de société coopérative de consommation.
En 1955, le conseil d'administration fut amené à transformer la société en coopérative ouvrière de production, sans modifier la ligne directrice du journal « ouvert à toutes les tendances ». 

Initialement dirigé par des représentants de plusieurs mouvements de résistance, l’Yonne Républicaine adopte les statuts d’une Société coopérative ouvrière de production en 1955 et est dirigée par Louis Clément jusqu'en 1985.

Toutes les catégories de personnel sont représentées au sein du conseil d'administration et chaque salarié devient sociétaire au bout de deux ans.

Les bâtiments de la société commençaient alors à se faire trop petit pour l'entreprise grandissante, si bien qu'en 1965, l'entreprise décida de la construction d'un immeuble, avenue Jean-Moulin, entièrement dédié à l'entreprise, toujours situé à Auxerre. Cela permit alors l'installation d'une rotative de type Wifag et de réaliser les premiers tirages. Dix ans plus tard, la rotative Wifag fut modernisé par l'introduction de deux nouvelles tours équipées du procédé d'impression offset, si bien qu'en 1979, le dernier numéro de "L'Yonne Républicaine" fut fabriqué en typographie, marquant alors la disparition de la réalisation au plomb.

L'entreprise continua alors son expansion avec, en 1982, la création d'un journal d'annonces gratuit, intitulé "Sens Annonces". Cela fut couplé à l'apparition d'une association pour les radios locales. En 1986, L'Yonne Républicaine arrivait alors directement dans votre boîte aux lettres, avec la création d'une société de portage de journaux à domicile. Durant la même période voit paraître "L'Yonne Magazine", qui est alors diffusé chaque week-end.

Tout numérique

En 1989, l'entreprise grandit de nouveau avec la commande d'une rotative offset Dev, bien plus performante que la précédente. Le logo "L'Yonne Républicaine" voit également le jour. En 1991, le journal s'étend une fois de plus, en proposant alors le portage à domicile en zones urbaines, mais également en lançant deux éditions : une pour le nord et une pour le sud du département. En 1993, le journal passe progressivement au numérique, avec l'achat d'un nouveau réseau pré-presse qui intègre le texte et les images numériques directement au journal et à l'imprimerie. Et c'est en 1994, pour son 50e anniversaire, que L'Yonne Républicaine passe au tout-numérique.

Le quotidien opte pour un format tabloïd dès 1998, compte deux éditions. L'entreprise lance dès 2001 son propre site Internet de lyonne-republicaine.fr. En janvier 2009, l'Yonne républicaine est rachetée par le groupe la Montagne Centre-France.

Son titre phare la Montagne est une allusion aux idées révolutionnaires de 1793, celles des Montagnards, les amis de Robespierre et de Danton. La Montagne a été fondée le 4 octobre 1919 par Alexandre Varenne.

L’objectif du député socialiste était d’affirmer son attachement aux valeurs républicaines mais aussi de se démarquer des idéaux de la révolution bolchevique. De «quotidien de la démocratie socialiste du centre», le journal clermontois devient, en 1931, le «quotidien régional des gauches».

Il est l'un des rares exemples français qui ont reparu sous le même nom à la Libération.

 

 

Louis Clément (au centre) avec des membres du comité d'entreprise en 1983, de gauche à droite, Gérard Collin, Bernadette Bonnet, Daniel Marmagne, Pierre-Jules Gaye, Louis Clément, André Gérardin et Marie-Claude Bailly (DR)

 

 

Pour Louis Clément,

 

 

Alain Boulonne, directeur général de l'Yonne Républicaine de 1986 à 2004, rend hommage à Louis Clément, membre fondateur et PDG de l'Yonne Républicaine, journal issu de la Résistance


"En 1986, alors qu’il s’apprêtait à cesser ses activités de PdG, Louis Clément m’offrait la possibilité de diriger la coopérative ouvrière de production, nommée L’Yonne Républicaine.

Il avait dirigé cette entreprise de presse d’une main ferme depuis 1950 et avait été réélu de façon continue, par les salariés, tous sociétaires, comme le voulaient les statuts de la SCOP.

"Louis Clément avait des convictions. Je veux en citer trois.

 

·       Le statut de coopérative de production était, à ses yeux, Le Statut idéal pour une entreprise car il permettait à tous les salariés, quels que soient leurs postes dans la coopérative, de participer à la vie de leur entreprise sans être esclave d’un patron.

  La SCOP devait être exemplaire. Les installations techniques se devaient d’être modernes, l’informatique a fait très tôt son entrée dans la composition du journal. Les investissements immobiliers devaient être remarquables. La magnifique bibliothèque de la rue du Temple qui abritait les archives de l’Yonne Républicaine en apporte, encore aujourd’hui, la preuve.

·            Pour que la SCOP tienne son rang, il fallait que les comptes de l’entreprise soient bénéficiaires. Mais les excédents devaient rester dans l’entreprise pour pouvoir financer les investissements nécessaires à sa modernisation. Pas question de distribution de 14éme mois ni autres primes.

·         L ’indépendance de l’entreprise était une valeur cardinale.  De nombreuses occasions se sont présentées qui auraient permis à Louis Clément de vendre et de rejoindre un des groupes qui à l’époque faisaient volontiers leur marché dans la presse. Je ne crois pas qu’il ait même étudié les propositions qui lui ont été faites.

"J’ai mis mes pas dans les siens et fait miennes ses convictions. Les bases de fonctionnement qu’il avait consolidées au fil du temps me permirent de continuer l’aventure de l’indépendance pendant 18 années encore après son départ.

"Je sais qu’il a souffert, comme moi, plus que moi encore, de la disparition de la coopérative et de la reprise de l’Yonne Républicaine par Centre France. Mais l’environnement avait changé. Peut être était ce inéluctable ?

 

"Louis Clément a voulu partir discrètement. Il avait perdu femme et enfant. Il ne croyait pas en l’au delà.

Et pourtant, il laissera une trace dans l’histoire, et il a gagné sa part d’éternité en bâtissant L’Yonne Républicaine.

 

Alain Boulonne

Directeur général de l’Yonne Républicaine de Janvier 1986 à Mai 2004

 

 

Commentaires

1. Le dimanche 07 août 2016, 12:35 par Flo

merci pour ce très bel hommage, je ne vois rien de tel dans l'yonne républicaine... peut être un encart au format papier...
en tout cas, article instructif sur ce grand homme dont certains devraient prendre de la graine...

2. Le mercredi 22 juin 2016, 16:55 par Rédaction AuxerreTV

@Margot: Je viens de compléter et signale tout de suite à Pierre-Jules! :)

3. Le mercredi 22 juin 2016, 16:27 par margot

Pierre-Jules bonjour,
Très bel hommage à Louis Clément. Pour la photo où nous entourons Louis Clément pour sa "Légion d'Honneur" la XXX c'est moi Bernadette Bonnet.
C'est vrai qu'il y a longtemps que nous ne nous sommes pas rencontrés!!!
Sans rancune.
bb

4. Le jeudi 16 juin 2016, 10:08 par Guillot

Le génie de Louis Clément était sa lucidité et son intelligence profonde.
Lui l'ouvrier patron, seul maître à bord, a su assurer la transmission.
Il a eu l'audace d'embaucher un jeune rédacteur en chef de moins de 30 ans, Gilles Dauxerre ainsi qu'un gestionnaire ingénieur de formation, issu du monde de la coopération bancaire, Alain Boulonne.
Du sang neuf qui a donné une sacrée impulsion au journal et améné son développement, notamment au travers d'une politique de suppléments qui faut reprise ensuite par toute la presse.
Oui il fut une époque bénie où chaque matin, on avait envie d'acheter le journal pour y découvrir les surprises du jour.
On ne peut s'empêcher de faire le parallèle avec l'ascension de l'AJA au firmament du foot européen.
Cette époque est révolue.
Ainsi vont les hommes. Ainsi va le monde.
Il faut rendre à César ... et à ...

5. Le mercredi 15 juin 2016, 14:45 par Philippe

Très ému par cette triste nouvelle. J'avais beaucoup d'estime pour Louis Clément et les années passées à collaborer avec lui que ce soit pour les séquences vidéo de la rue du Temple ou pour monter et gérer la radio locale de l'Yonne Républicaine FM91. Avec sa disparition c'est toute une époque qui s'en va, une époque formidable qu'Auxerre n'est pas près de revivre...

6. Le mardi 14 juin 2016, 22:11 par dalass

RIP

7. Le mardi 14 juin 2016, 20:08 par Edgar

On sent, à lire l'article, que ce monsieur que je n'ai pas connu, a incarné l'esprit du progrès, de la solidarité... d'une forme de constance d'opinion et de développement. Une grande aventure humaine...

Et pour qu'on l'évoque avec cette ferveur émue... il a laissé son empreinte!

8. Le mardi 14 juin 2016, 19:46 par Vonette

Des grandes figures qui ne se font pas remarquer, mais sont remarquées tout en douceur, peu à peu. Un homme qui a tenu à ses opinions et positions, ça n'est pas le destin de tous...

Nous mourrons tous nous le savons. Mais certains meurent moins que les autres... et à lire cet article, il me semble que Monsieur Clément soit de ceux-là...

9. Le mardi 14 juin 2016, 17:55 par morvan89

Louis Clément est à lui seul un symbole, celui d'une presse indépendante et proche des citoyens, lecteurs du " Quotidien Régional issu de la Résistance ", qualification aujourd'hui disparue de la Une, pourquoi ?.
Je me souviens d'un repas partagé, arrosé d'un Chablis parmi les meilleurs, au cours duquel nous avions envisagé la collaboration d'une coopérative et d'une mutuelle, toutes deux représentatives de l'Economie Solidaire. Les échanges avaient été riches et animés. Un grand monsieur !

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