Simone de Beauvoir

 

Femmes qui écrivent, qui parlent pour les autres. Femmes qui comprennent, refusant qu’on les ampute de cette plume qui dénonce, raconte, demande, proteste…

Femmes, aussi, qui déploient les ailes et s’envolent, allégées du poids de la domination de l’homme, d’un monde où il a décrété qu’il était l’élément important et elle la petite chose secondaire, là en effet pour le seconder et rien d’autre.

Pourtant derrière chaque grand homme on entend voleter la femme. N’est-ce pas bien connu ? Est-ce si honteux, si infâme ?

Le monde est plus dangereux pour une femme. Elle est une proie, pendant des années, et même bien au-delà des années où on devrait lui accorder le droit d’être en paix. Droit de cuissage, menaces de viol – ou plaisanteries grasses au sujet de sa frustration à n’être pas violable -, questions répugnantes (Vous comptez avoir des enfants ? Vous vous absentez souvent ? Vous vivez seule, vous êtes donc disponible pour des heures sup’ ? Vous êtes une jolie femme, vous n’allez pas vous plaindre d’un peu d’appréciation, si ?...). Accusations d’être une mégère si elle s’en indigne. Une mal baisée.

Il faut être mignonne ou gentille, complaisante, toujours prête comme les scouts, et très très efficace sans se monter la tête. Comme si on demandait aux hommes d’être beaux mecs, aimables, corvéables à merci, d’une intelligence sans faille et contents de ce qu’on leur donne. Pour un meilleur salaire que les femmes, bien entendu, parce qu’ils sont nés hommes.

Une femme qui monte et monte et monte comme le soleil levant est tout de suite accusée de pratiquer la promotion canapé, ou de ne pas avoir de vie et d’être une emmerdeuse. Respect… ? Vous blaguez, ou quoi ? Par contre la montée d’un homme est due à son mérite. Mais c’est bien sûr…

Je ne pense pas qu’une femme vaille deux hommes, ou qu’il faille se venger sur l’homme d’aujourd’hui pour ce que son arrière-grand-père a pu faire à nos arrière-grands-mères. À ce jeu-là on nous ressortira la pauvre Eve nue et échevelée, sa pomme et son serpent… Mais le combat pour la revalorisation de la femme est à faire et refaire et maintenir sans relâche.

Les femmes de plume, de caméra, de talents divers ont la voix pour l’entretenir. Des femmes libres ont toujours existé, peu importe l’époque. Héloïse ne voulait pas se marier, trouvant que le mariage était une servitude. Elle ne s’est mariée que par amour pour Abélard qui, il semble bien, a un peu tiré sur la corde… Une certaine Missis Yu a refusé d’être une des concubines du dernier empereur Pu-Yi, et sa famille, loin d’être faite d’imbéciles qui suivaient les traditions peu importe l’amour qu’on porte, l’a aidée à fuir aux USA où elle est devenue enseignante de chinois. Une de mes amies Indienne, d’une caste aisée, a refusé de se marier également, tout simplement parce qu’elle n’en avait pas envie, et fut soutenue par ses parents. Elle aussi est partie aux USA pour vivre plus librement – une vie très calme mais qu’elle aime.

Le poids de la tradition n’est pas insurmontable, il y a aussi l’amour et l’envie de résister.

La lutte féministe ne s’arrêtera jamais, n’aboutira jamais à un résultat stable. La soumission des tièdes qui veulent avoir la paix et le mariage quoi qu’il en coûte, les incompréhensions, les maladresses d’un côté comme de l’autre, les inégalités « naturelles » qui font que seule la femme porte un enfant pendant 9 mois et s’en occupe avec les antennes d’une mère pour ne citer que ça, feront que sans cesse il faudra ré-ajuster les choses qui se déglingueront « toutes seules » dès qu’on baissera la garde. Il n’est pas normal, par exemple, qu’avec toutes ces indignations sonores affirmant que « ce n’est pas normal » (en effet)… la parité des salaires n’existe pas encore.

Ni que le respect n’aille pas de soi, et qu’encore et toujours une femme soit une proie dont on s’amuse entre hommes au travail ou dans la rue.

Et personnellement je voudrais ajouter que bien souvent, les pires ennemies des femmes sont d’autres femmes, celles qui les écrasent par la tradition, les on a toujours fait comme ça ma belle et toi aussi, celles qui cancanent pour détruire, celles qui se servent des hommes pour les ridiculiser et les soumettre, celles qui se cachent derrière ton père s’en prendra encore après moi par ta faute...

Femmes de plume, femmes qui ont la parole, femmes qui nous défendez en mères… ne cessez pas le combat !


                                                                                  Suzanne DEJAER