Devant Monoprix au pied de Cadet-Roussel, le carrefour vous emmène dans un ailleurs, sur un chemin inexorablement. On quitte doucement la société de consommation qui nous abreuve et nous bouche les pores des sens de la perception. On change de lunettes malgré soi. De nouveaux regards naissent et font couler dans les veines des ondes, des fluides suscitant des impressions, des sentiments refoulés, nouveaux, comme une montée de sève brute, pas sucrée, au printemps. Qui vous extirpe d'un état de dormance.

Là, à côté de soi, tout à côté, se profilent d'autres univers, d'autres profils, d'autres vies, d'autres formes d'exercice de la condition humaine, si complexe et si riche. Tellement insondable, indicible, surprenante parfois.

Lundi soir, il ne faisait plus grand froid comme la semaine dernière. Mais l'humidité, la pluie glaçante en a fait frissonner plus d'un, transi, au cours de la maraude.

Les maraudes auprès des personnes SDF, ou tournées de rue, sont une forme de visite à domicile dans l'archéologie urbaine et celle de la nature multiformes. Participer à une maraude, c’est aller visiter ceux qui vivent dans la rue. Il y vivent non pas de manière statique, il faut balayer cette image du mendiant assis la casquette devant lui avec de rares pièces dans les replis.

Équipés entre autres d’un thermos de café ou thé et de sandwichs, de biscuits et quelques douceurs telles un mars, les bénévoles se déplacent de point en point en camionnette de la Croix-Rouge et en voiture puis attendent ou cherchent à rencontrer des personnes sans-abri. Qui sortent parfois du bois.

Le plus important murmure Bernard qui ne cache pas vouer de l'amour à ceux qu'il appelle ses amis avec fierté, est de prendre le temps de la rencontre : discuter, s’intéresser, écouter, partager autour d’une boisson chaude. Petit à petit, les langues se délient, une relation de confiance se crée. Lundi soir, Bernard a ainsi pris sous son aile un jeune qui venait de Lyon et était accablé. Il repartait à Lyon aujourd'hui.

Les tournées de rue sont aussi un moyen de lutter contre la solitude des personnes SDF, qui souffrent de leur exclusion, même s'ils ont fait ce choix et l'assument pleinement avec dignité. Les bénévoles sont comme des oiseaux sur la branche qui les raccroche encore à la société.

 

"De belles personnes ..."

 

Sur le parking Leclerc à Auxerre, il n'était pas là le pensionnaire du soir, Bernard. Pas d'inquiétude comme parfois, dans les rangs de la Croix-Rouge. L'ami SDF a du se mettre à l'abri car il pleuvait. On a zappé le quartier de la gare ainsi que le parking souterrain de l'Arquebuse où d'aucuns trouvent refuge même si, dit-on, le lieu n'est pas vraiment prisé.

Ils sont entre 10 et 15 à Auxerre sur lesquels veillent les bénévoles comme des anges gardiens qui se sont pris d'affection pour leurs SDF. Ce n'est pas forcément la misère. Du 1er novembre au 31 mars.

La maraude représente l’engagement solidaire de bénévoles et de professionnels. Lundi soir, les chefs de service de diverses instances départementales et communales participaient à la maraude.

Il reste que ce beau monde, ou plutôt "ces belles personnes", comme le relève Bernard Nodot, témoignent au quotidien, dans les espaces méconnus de la cité et face aux situations parfois extrêmes, du devoir de sollicitude et de non-abandon.

Dans la continuité de leurs interventions, ils privilégient l’exigence de relation, du lien, du contact physique, soucieux du respect de l’autre dans sa dignité, ses attachements, sa façon de penser et d'agir et ses droits.

Il saute aux yeux que la préoccupation éthique se situe au cœur de l’activité de maraude. Cette éthique en forme de coeur vivant battant la chamade, détermine les conditions mêmes de l’exercice de missions complexes, incertaines, où culminent les fragilités humaines et les précarités sociales. Respect, écoute et pudeur.

Françoise Fugier aux Bourdillats, près de chez Youri, transie mais lucide, trouva les mots pour résumer. "J'observe des bénévoles extrêmement présents, attentifs et bienveillants, j'observe des personnes qui sont en attente de cette bienveillance. On a tous la fibre de l'amour, il faut simplement la cultiver ..."

 

P-J. G.

 

Aux Bourdillats le long de l'Yonne, la camionnette de la Croix-Rouge attend discrètement à distance du domicile de Youri, situé dans les bois, une tente. Ils attendent que Youri se montre, s'il le souhaite, et lui donne de la soupe en taillant une bavette avec des mots étrangers qu'on arrive à comprendre en fonction de la manière dont ils sont dits avec le langage corporel

Jean-Luc a un hébergement. Il est très connu dans la cité. jean-Luc entraîne au football aux Brichères les SDF et tous ceux qui le souhaitent venus des deux centres d'hébergements d'Auxerre. Tous les lundis soir, les CARITAS s'entraînent de 19 à 21 heures

En face du parking Leclerc, un abri à poubelle protège ceux qui vivent  sans toit

 

Violette Tollot, vice-présidente de l'unité locale d'Auxerre de la Croix-Rouge, qui depuis cette année est autonome et organise les maraudes. Avant, c'était Migennes

 

Richard Des Courtis, membre de la délégation départementale de la Croix-Rouge, porteur d'un projet d'installation du Pôle enfance de Migennes à Auxerre Avec un espace puériculture qui fait défaut

 

Youri boit un café assis sur un tronc d'arbre à côté de Violette. Derrière lui, caché comme un trésor que personne n'a le droit de toucher, son mini-transistor d'où sort une musique

 

Bernard, l'ami des SDF, qu'il respecte, écoute, sans juger, sans faire la morale, qu'il réconforte et surtout à qui il sait parler de manière concrète, sans fioriture. L'homme citoyen auxerrois, militant de la rue, est né aux Champoulains et en est fier. Il va partout où on l'appelle. Après la saison d'hiver des maraudes (1 novembre au 31 mars) il s'occupe des migrants, des inondations et de beaucoup d'autres situations de détresse. C'est sa vie. Il aime les autres, le dit et le fait.

 

Youri citoyen Russe qui vit sur les bords de l'Yonne aux Bourdillats. Il est estimé et aimé par les bénévoles de la Croix-Rouge qui arrivent à communiquer par le langage corporel. Youri mange deux soupes et boit deux cafés, les soirs de maraude, lundi et jeudi, et tous les soirs en période de grand froid

Au débrief avant minuit dans une pièce du centre d'hébergement Thomas Ancel, rue Thomas-Ancel rive droite à Auxerre

 

Françoise Fugier secrétaire générale de la préfecture de l'Yonne, sous-préfète d'Auxerre a trouvé les mots pour dire les choses. Elle a aussi remercié les uns et les autres  pour l'accueil

 

Le maire a pu constater que le maillage et le dispositif de lien social fonctionne entre les différentes parties prenantes