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Le marcheur de l'aube
le lundi 14 août 2017, 13:36 - NOUVELLES - Lien permanent
Et on le suivait... c'était bizarre, cet homme qui marchait dès l'aube ... On le talonnait !
AUXERRE TV publie à la faveur de l'été une série de nouvelles et de poésies. Une manière d'ouvrir une petite fenêtre sur les multiples univers, les mulitples possibles de la vie qu'offre la littérature. Une manière aussi de passer d'un monde à l'autre à l'époque marquée par le zapping
Le marcheur de l'Aube
Une nouvelle de Claude Colson
Claude Colson (à la ville Jean Claude Collau) : Français, chtimmi d’origine et de coeur, 68 ans Essonien depuis longtemps, poète et écrivain, 9 livres édités.
claudecolson.wordpress.com
Le marcheur de l'aube
On l'avait repéré comme il effectuait, chaque dimanche, le même parcours, et on l'avait dénoncé.
Rond, râblé, avec un brin de calvitie, il sortait régulièrement vers six heures de son domicile, dans la petite ville, non loin du canal où étaient amarrées quelques péniches colorées. Le lendemain matin, elles partiraient vers la Belgique avec leurs cargaisons diverses : textiles, céréales ou encore charbon.
On était peu avant le milieu des années soixante et le fuel n'avait pas encore supplanté le mode de chauffage antérieur.
C'était toujours à la même époque, d'octobre à mars environ, qu'il partait ainsi, tôt, alors que toute la ville achevait son sommeil. Ça et là lui venaient quelques relents de café ou de pain grillé, lorsqu'un autre matinal avait ouvert sa fenêtre pour aérer sa maison.
L'homme qui le suivait de loin, pour la deuxième fois, ce dimanche, appartenait aux Renseignements généraux. Ses supérieurs, alertés, avaient été intrigués par les faits et gestes du marcheur de l'aube.
Ils l'avaient envoyé à ses basques.
Rien, depuis deux semaines, rien. Aucun indice ne lui permettait de comprendre ce que faisait ce quidam suspect.
Après une vingtaine de minutes de marche il le voyait sortir une grosse clé de son manteau et pénétrer dans une bâtisse un peu lourde, en bord de rue, par une porte de côté. La serrure apparemment rarement manoeuvrée couinait misérablement dans la rue vide.
Le dimanche précédent, il l'avait vu ressortir au bout d'un quart d'heure puis il s'en était tranquillement retourné chez lui. Un peu court pour rendre visite à une éventuelle maîtresse, songea notre agent.
Comme prévu, au bout de quinze minutes, l'homme rond réapparut et ajusta le col de son manteau. L'air était vif et le gel enserrait encore les quelques brins d'herbe des trottoirs.
Le policier l'aborda en présentant sa carte et lui demanda ce qu'il faisait de si bon matin seul dans la rue le jour du Seigneur.
Précisément, répondit le gros-homme. Je suis membre du Conseil presbytéral de l'Eglise réformée et j'ai la charge de venir allumer le vieux poêle deux heures avant l'office. Il fera bon quand les fidèles arriveront.
L'agent sourit, prit congé en serrant la main du "suspect" et s'éloigna à pas rapides. Il faisait moins cinq ce matin-là, avec un petit vent du nord très désagréable.
(À mon beau-père)
Commentaires
C'est une anecdote véridique de faits qui se sont déroulés entre 1980 et 2000, disons, en gros.
Colson nous montre que nous sommes dans une société non pas du soupçon mais une société contrôlée de A à Z. Où il n'y a plus grand place pour les gestes de tous les jours, eux-mêmes suspects.
On est dans le délire et la déshumanisation
Une belle nouvelle ...? Non une mauvaise nouvelle mais révélatrice et éclairante
Merci beaucoup, Edgar.
Nouvelle bien amenée qui démontre que les soupçons peuvent naître de... rien !