Il était venu à Migennes pour voir des amis. Le corps de Yoann, 22 ans, a été retrouvé, jeudi dernier, dans le canal de Bourgogne. Le jeune homme, décrit par ses amis comme "drôle, généreux et gentil", était connu par la justice pour des faits d'usage de stupéfiants (DR)

 

Samuel, la joie de vivre. Il est passé à travers le toit en plexiglas qui couvre le marché couvert place de l'Arquebuse. Le drame s'est produit aux alentours de 19h45, dimanche 4 juin. Sam n'avait que 24 ans (DR)

 

 

Samuel Stuckatch, bonne humeur, gentillesse extrême. Un sourire que certainement on n’oubliait pas, un vrai sourire. Une enfance difficile avec la perte de la mère à 10 ans. Sa disparition a ému et provoqué une incroyable mobilisation de solidarité.

Yoann lui, était drôle, généreux et gentil. Livré à lui-même depuis l'âge de 13 ans, à Troyes.  Il s'installe un an dans l'Yonne pour tenter de repartir du bon pied. Seul et sans emploi, il accumule les dettes. Sa disparition dans des circonstances tragiques, les mains ligotées, son corps au fond du canal, ont ému. Le drame pas encore élucidé, suscite bien des questions sur les réseaux sociaux où les partages explosent.

Pourquoi, ces jeunes marginaux, interpellent-ils ainsi les consciences ?

Des vies éphémères, des vies-éclairs, bousculées, faites de déceptions, d’amitiés certainement fortes avec des gens qui, pensaient-ils, les comprenaient, étaient comme eux. Mais est-on jamais vraiment comme quelqu’un d’autre sinon superficiellement ?  

Des enfances difficiles, des parcours en zig-zag, le flirt avec le danger, peu d’intérêt face à l’itinéraire « de tout le monde », l’attirance pour l’intense, les chemins de traverse, les défis.

La drogue. Pas forcément la grosse drogue mais la drogue fuite, la drogue qui fait croire que tout va bien, la drogue piège. Car autant l’on peut fermer la porte à ses parents, ses études, son patron, son conjoint, autant l’on ne quitte pas la drogue comme on le voudrait. Il y a le plaisir facile qu’elle procure, et puis les liens que l’on a formés avec « les autres », que l’on a un jour crus légers comme la fumée d’une cigarette et sincères comme un joyeux trip. Et qui serrent de plus en plus. On ne se désengage pas tout seul, et on a fermé la  porte à ceux qui pourraient aider.

 

Des proies

 

Ils étaient livrés à eux-mêmes. Sans les bases d’une famille construite.

Et donc proies faciles pour ceux qui rodent, et ils rodent. Un jour ou l’autre ils arrivent. Bien mis, comme le Grand Coquin de Pinocchio. Tu ne vas quand même pas t’emmerder à aller aux cours ? Tu veux vraiment te faire ch… à l’anniversaire de tes vieux ? Ne me dis pas que ça te fait peur de dealer et devenir riche ?

Accuser « la société » est stérile. La société certes est souvent impitoyable, mais c’est là que les forces personnelles de l’humain interviennent. Les gens s’aident, les gens ont du cœur. Pas tous, loin de là. Mais tout comme le Grand Coquin trouve sa proie, des mains se tendent ici et là. Et on les saisit ou pas. On a envie de les saisir ou pas. Grand Coquin regardait ailleurs ou pas.

On se sent bien désemparés devant ces jeunes vies sacrifiées par de compliqués concours de circonstances. Et, dans le cas de Yoann, le concours de circonstances fut particulièrement cruel. Venu pour repartir à zéro, ralenti et sans doute démoralisé par les difficultés, et puis la très mauvaise rencontre avec des monstres.

Il y en a d’autres. Ceux-ci sont les nôtres, nos jeunes vagabonds dont on évoque la gentillesse, la bonne compagnie. Ils sont comme tous ceux que nous ne connaissons pas et que d’autres parents, amis, voisins regrettent.

Beaucoup auraient voulu aider, l’ont tenté. Et n’y sont pas arrivés. Pensons à eux aussi, qui se demanderont longtemps ce qu’ils n’ont pas fait, ou ont mal fait, et se souviendront de temps où peut-être… tout aurait pu changer si seulement ...

 

                                                                                  Suzanne DEJAER

 

_________________________________________________________________

 

"Lorsque les pères s’habituent à laisser faire les enfants,
Lorsque les fils ne tiennent plus compte de leurs paroles,
Lorsque les maîtres tremblent devant leurs élèves et préfèrent les flatter,
Lorsque finalement les jeunes méprisent les lois parce qu’ils ne reconnaissent plus au dessus d’eux l’autorité de rien ni de personne,
Alors c’est là, en toute beauté et en toute jeunesse, le début de la tyrannie."

Platon, la République

 

(...) Aussi quand l’être pressé d’enfanter s’approche du beau, il devient joyeux, et, dans son allégresse, il se dilate et enfante et produit; quand, au contraire, il s’approche du laid, renfrogné et chagrin, il se resserre sur lui-même, se détourne, se replie et n’engendre pas ; il garde son germe et il souffre. De là vient pour l’être fécond et gonflé de sève le ravissement dont il est frappé en présence de la beauté, parce qu’elle le délivre de la grande souffrance du désir..."

Platon, le Banquet