Jean Raoux - La jeune fille à la lettre (DR)

 

 

Lettre



Zélie était une jeune fille d'environ dix-sept ans. Elle et Léon s'aimaient et ils étaient convaincus qu'ils s'aimeraient jusqu'à leur mort. Léon déménagea, mais les deux tourtereaux continuèrent à communiquer, par email et messages. Un jour, alors que cela n'était jamais arrivé, Zélie reçut une lettre de Léon.

Cette lettre était arrivée le samedi dix-sept avril. Sa destinataire avait décidé de la garder pour la lire le soir venu. Toute la journée elle ne cessa de penser à Léon et à la mystérieuse enveloppe. Elle se remémora leurs débuts amoureux, trois ans auparavant. Ils étaient alors très timides et osaient à peine se tenir la main. Mais le temps passa, effaçant leur timidité et alors ils ne pensaient qu'à être ensemble. Ils étaient à la fois des amis, des confidents, des jumeaux, des amoureux. Lorsqu'ils se voyaient, leurs cœurs bondissaient, leurs jambes faiblissaient. Puis ils se précipitaient l'un vers l'autre, ignorant tout ce qui les entourait. Chacun connaissait l'autre mieux que lui-même. Ils se comprenaient sans se parler, se faisaient rire d'un regard. Ils se donnaient rendez-vous partout: au coin d'une rue, à l'orée d'un bois, devant un parc. Ils étaient fusionnels: elle était lui, il était elle. Mais un jour, le travail du père de Léon l'obligea à déménager, emmenant toute sa famille aux États-Unis. Zélie essuya une larme à ce souvenir. Cette remontée dans leur histoire la ramena à l'enveloppe. "Ce soir, pensa-t-elle, ce soir je la lirai".
La nuit arriva, et avec elle le moment d'ouvrir la lettre. Ses yeux s'embuèrent dès la première ligne.

"Ma chère Zélie,


Je suis désolé de devoir t'écrire ces mots, mais c'est nécessaire. Je te demande pardon pour toutes nos disputes, car il y en a eu, et pour ce que tu vas bientôt apprendre. Quand cette lettre te parviendra, ce sera déjà fait et je te promet que c'est la vérité. Je ne pouvais pas faire autrement. Je te connais, tu ne voudras pas le croire mais il le faut. Il faudra aussi que tu vives ta vie. Ta cascade de cheveux blonds, tes yeux couleur de mer et ta vivacité d'esprit auront vite fait de charmer tous les garçons de cette ville. Maintenant, je dois te dire au revoir, et tu dois accepter de le faire aussi.
Je suis désolé, je t'aime
Léon"


Zélie ne pouvait pas, ne voulait pas, comprendre ce qu'il sous-entendait. Elle refusa de pleurer car c'était admettre que c'était la réalité. Elle prit l'enveloppe pour y remettre la lettre mais elle s'aperçut qu'elle n'était pas vide. Il y avait une autre feuille. Inquiète, elle la prit et la déplia. L'écriture n'était pas la même, elle était plus fine, plus appliquée. C'était celle de la mère de Léon, Lise.

"Ma petite Zélie,
C'est une bien triste nouvelle que j'ai à t'annoncer. Quand nous avons déménager aux États-Unis, ce n'était pas pour le travail d'Augustin mais pour sa maladie. Personne en France n'arrivait à comprendre ce qu'avait mon mari".


A partir de ce moment, la lettre était ondulée, comme si quelqu'un avait pleuré et que des larmes étaient tombées dessus.

"Il en est mort. Personne ne sut l'expliquer. Malheureusement, Léon ne l'a pas supporté et... il n'est plus de ce monde. Je rentre en France dimanche. Léon avait laissé une lettre à ton attention, elle est dans l'enveloppe.
Bonne chance,
Lise"


Une heure plus tard, la mère de Zélie entra dans la chambre de la jeune fille et trouva celle-ci endormie, la lettre de Léon serrée entre ses bras, l'enveloppe au sol.

 

Emma BOUYSSOU