Les Allemands partis, la poulation envahit les rues d'Auxerre, ce 24 Août 1944 (DR ARORY)

 

 

Suite à l’attaque d’un dépôt d’essence de Monéteau, détenu par les Allemands, la résistance icaunaise, libère Auxerre le 24 août 1944.

À Monéteau, des combattants du groupe de résistance jovinienne Bayard et quelques membres du groupe anglais Jean-Marie Buckmaster, reçoivent l'ordre d'attaquer le dépôt d'essence de Monéteau, détenu par les Allemands.

Le colonel allemand Schrader est tué. Cet événement, qui constitue une défaite pour les groupes de l'occupation à Auxerre, va précipiter leur départ, le jour même.

Le lendemain, le 24 août, des résistants du Maquis 3, du service maquisards implanté en Puisaye, pénètrent dans Auxerre, dirigés par Raymond Thomasset. Ils entrent dans la ville rue de l'Arquebuse (devenue rue du 24 Août) à 13 h 30, et constatent que les Allemands ont bien quitté la ville.

Les habitants accueillent avec joie les résistants icaunais, suivis, peu après, par les Américains. Malgré ce climat, les chefs de la résistance les FFI (Forces françaises de l'intérieur) décident de sécuriser la ville, car ils savent que des convois allemands sillonnent toujours le département et que le danger n'est pas écarté. La guerre n'est pas terminée.

 

 

 

Voici le programme des cérémonies du 74ème anniversaire de la Libération d'Auxerre

16 heures :

  • Stèle Jean-Moulin : avenue Jean-Moulin
  • Cimetière des Conches : aux Clairions
  • Stèle Louis-Riglet : place des Droits de l'Homme (gare SNCF)
  • Stèle Sainte Nitasse : rond point route de Chablis
  • Stèle d'Egriselles : commune de Venoy

18 heures :

  • Cérémonie du Souvenir au monument aux Morts
  • Défilé rue du Temple
  • Hommage aux anciens du 1er régiment du Morvan (libérateur de Saint-Amarin, place du Maréchal-Leclerc)

 

 

 

Vers la Liberté - Histoire vécue en Auxerrois - 24 Août 1944 - Libération d'Auxerre.

 

Depuis le 6 Juin 1944, le souffle de la liberté nous redonne confiance. De Londres, le Général de Gaulle nous dévoile l'ampleur prodigieuse de cette «Armada» qui vient de débarquer en Normandie. Toutefois, la peur se mêle à l'espoir.

 

Dès 1941, je travaillais avec mon frère, sous le contrôle de l'Occupant. Nous étions réquisitionnés par le « Ravitaillement Général de l'Yonne » pour le pressage des pailles et fourrages, par ordre de l'Intendant Directeur Général: G. RÉMY.

Nous avions construit, fin 1940, deux presses à paille. Les ballots de paille, plus compacts que les gerbes des botteleuses de nos battoirs, intéressaient les autorités allemandes. Ils leur servaient de protection contre les balles de mitrailleuses. Ces ballots, traités, étaient expédiés sur le front russe... après avoir été blanchis... camouflage d'hiver ! ...

Pour les Allemands, il fallait fournir toujours davantage (Voir instructions pièce n°3759/DT 2 en date du 30 mars 1944). Pour la Résistance, il fallait s'arrêter. (Voir tract reçu dans les mêmes moments).

 

Pas facile de manoeuvrer entre ces deux pressions contradictoires, d'autant que les menaces de sanctions y étaient également sérieuses et préoccupantes.

 

Fin Avril 1944, une de nos presses a été détruite par le feu, rue des Prés Coulons à Auxerre.

 

Plus tard, à Orgy, nous avons échappé à un véritable carnage. Voici les faits : nous pressions, par jour, environ 15 tonnes de paille ou de fourrage amenés là par des cultivateurs des communes de Lindry, Escamps, Charbuy... Ils attendaient avec leurs charrettes, leur tour de passage et aussi le contrôle de mise en route. Au cours de ce contrôle, je découvre des pains de « Plastic » sur les collets du piston, placés là pour la destruction de la machine. Mais, le fil conducteur fut coupé. Heureusement ! Car hommes et chevaux, massés autour de la presse, n'auraient pas pesé lourd dans l'explosion.

 

Par la suite, les deux hommes affectés à la réception des gerbes et au pesage des ballots n'avaient plus la même ardeur au travail et, chaque matin, la visite était plus scrupuleuse.

 

Je revois encore les effets de l'incident sur la basse-cour de la ferme où nous étions installés. Les poules, qui avaient l'habitude de venir picorer autour de la machine, se mirent à avaler les morceaux d'explosifs que nous avions jetés épars dans la cour. Aussitôt, les pauvres bêtes faisaient des bonds inhabituels, battaient précipitamment des ailes, tournaient sur elles-mêmes, puis s'abattaient sur le sol. Nous en étions désolés n'ayant pas pensé qu'elles pouvaient s’en régaler.

 

En 1944, à 20 ans, je suis entrepreneur de pressage. Bien jeune, direz-vous ! et pourquoi pas? puisque réellement j'en ai 22 et que j'aurai dû, bien docilement, répondre à l'embauche du Service du Travail Obligatoire, en date du 18 novembre 1942, pour donner un coup de main à l'effort de guerre de la Grande Allemagne.

 

Si j'échappe au travail obligatoire (S.T.O.) c'est grâce à la maladie. Le fameux tracteur Massey-Harris fait tourner la batteuse et la presse à paille. L'essence est vendue par ticket et distribuée par le génie rural sous contrôle allemand. Un gazogène, de marque Komett, acheté aux Etablissements NICOLAS, nous est utile. Le bois brûlé ne remplace pas malgré tout l'essence et ne donne pas le même rendement, mais...

Il faut remplir la marmite et la vapeur qui se dégage est pénible à respirer. Le coeur et les poumons en prennent un coup. Il faut donc arrêter le chauffeur. Le Docteur Mion se fâche et fait comprendre à mes parents et à mon frère, mon aîné de dix ans, qu'il me faut un mois d'arrêt.

« C'est trop long, dit ma mère, il faut que la maison tourne. »

À chaque recensement mes radios m'éviteront le travail en Allemagne mais pas la réquisition en France.

 

Devenu travailleur indépendant et muni d'une fausse carte d'identité, fournie par Monsieur ANTIER (Groupe Chevreuil), cela me permet de travailler en France sereinement (il faut le dire vite) sous les ordres et à la barbe des officiers allemands, pour la même Grande Allemagne.

 

Cependant du 15 au 20 août 1944, en pleine période de battage, la pression de la Résistance s'accentue jusqu'à devenir un ordre péremptoire : NE BATTEZ PLUS!

 

Alors, il faut multiplier les prétextes pour ralentir le travail, puis arrêter la batteuse, la vapeur par une panne irréversible ; elle attendra, sage et bien bâchée, sur la place de Monéteau, la fin des événements, pour reprendre son activité.

 

Mais, le 22 août, arrive aux ateliers Monsieur MOREAU, maire d'Auxerre, accompagné d'un officier allemand, attaché au bureau du Ravitaillement. La ville d'Auxerre manque de pain, faute de farine, après le bombardement qui a endommagé le Moulin du Batardeau. Il m'est demandé de transporter le blé battu chez notre dernier client, Monsieur CHAMEROY, jusqu'à l'autre moulin situé route de Vaux. Celui-ci est devenu Le Paradisier.

« Combien as-tu battu ? me demande Monsieur MOREAU

- 80 quintaux, répondis-je.

- Tu prendras une remorque chez GUILLIET et, pour t'aider, trois garçons des camps de jeunesse. » Ordre est donné... Marcel sera des nôtres.

Puis, cordialement, il ajouta :

 

« Courage... à bientôt et envoie-moi ton compte-rendu. »

 

Malgré la chaleur, la journée du 22 août se passe assez bien. Rendez-vous est pris pour le lendemain 23 août.

 

L'étau des armées alliées se resserre. Si les nouvelles sont bonnes pour nous, pour les Allemands, cela commence à mal tourner.

 

Pour la dernière fois, en ce soir du 22 août, et comme chaque semaine, un capitaine allemand vient téléphoner à la maison.

 

Cela fait bien au moins trois mois que nous l'entendons demander l'inter et s'entretenir avec son interlocuteur en notre langue, un français pur et sans accent. Il ne parle que de fleurs. Ce soir-là son ton est plutôt gai. En payant, toujours largement, il nous souhaite bonne chance et une vie meilleure en tapotant la joue de ma petite Jocelyne.

« Vous comprenez, nous dit-il, en ce qui me concerne, je ne reviendrai plus, ma mission est terminée ».

Nous n'avons jamais percé le mystère de ces communications, ni du personnage lui-même. L'armée allemande avait-elle, elle aussi, sa cinquième colonne ? ?

La cinquième colonne, tout simplement l'espionnage : des indicateurs implantés dans tous les domaines pour observer les plans stratégiques en épiant faits et gestes de la population afin d'en informer l'ennemi.

 

23 août au matin, le soleil est déjà au rendez-vous lorsque nous prenons la route. À hauteur du bois d'acacias, ce qui est aujourd'hui la zone industrielle, des soldats allemands - des Russes blancs - s'amusent à tirer en l'air à notre passage, guère encourageant ! Nous longeons le terrain d'aviation, la route est déserte. Nous entrons dans Monéteau. Là ! Surprise ! Stupeur même ! À la hauteur du restaurant Le Pêcheur une voiture est à l'arrêt. Ce n'est pas une voiture allemande, c'est une Celtaquatre Renault barbouillée en camouflage : un drapeau français flotte à l'une de ses portières et, sur les ailes sont peintes de grandes lettres : F. F. I.

C'est alors que je vois sur le trottoir les corps allongés de gradés allemands. J'avance, malgré tout... «Il y a un Allemand à vélo, prêt à nous dépasser », me dit Marcel.

Des F. F. I. font des gestes pour l'arrêter, mais il ne se rend pas et veut revenir sur Auxerre. Un résistant, apparemment un Indochinois, tire sur lui avec un fusil mitrailleur. Le soldat bascule par-dessus le guidon. J'assiste, pour la première fois, à la mort d'un homme... Je ne sais si je dois continuer, devinant que Monéteau est libéré : dix kilomètres nous séparent d'Auxerre que s'est­il passé ? ? Je pense à ma famille et puis, j'explique aux hommes armés pourquoi je me trouve là.

 

« Eh bien ! ne continue pas ton transport de blé. Ton tracteur va nous être utile, me dit un homme casqué, pour tirer des véhicules qui n'ont pas roulé depuis un certain temps. »

Je vais ranger la remorque.

 

Monsieur TREVOUX retournant à Auxerre, je lui demande de prévenir ma femme que je reste avec les « Résistants ».

« Expliquez-lui, merci... »

 

Quand je suis revenu vers les Résistants, Marcel et les trois garçons avaient disparu.

Un câble ayant été trouvé, nous avons commencé à mettre des véhicules en route.

« Dis donc ! mon tracteur ne marche pas à l'eau m'écriais-je, redoutant la panne sèche.

- Tu connais le dépôt ESSO, me dit l'un des chefs, tu entres et tu te sers ! »

Ce qui fut dit,_ fut fait... Mais, à peine avais-je pris le tuyau pour remplir mon réservoir que les balles se mettaient à siffler partout, cinglant les grands bacs à essence... Alors je lâche tout et cours me réfugier de l'autre côté de la haie, qui longe le chemin de fer. Là ! Horreur ! Des Allemands sont postés et tirent... Volte-face, comme l'éclair, je cours vers la ferme d'un client, Monsieur Rouillé. Sous le porche, un résistant (après j'ai su son nom : GODARD) est en train de perdre tout son sang.

« Tu as eu peur ? me dit le fermier, eh bien ! moi aussi ! tiens ! bois donc une goutte ! »

Il me tend un verre à pied et se met à verser. Une balle siffle... Je reste figé avec le pied du verre à la main. Le sifflement continue... et notre peur aussi.

« Cela va mal tourner, me dit le fermier, nous n'avons rien pour nous défendre ! »

 

Je sors de la ferme en courant. Je bute sur MAGONIE qui me crie:

« Arrête, j'ai conservé mon fusil ! »

Un fusil pour deux... Pensez... et moi, qui n'ai jamais tenu de fusil. Je continue ma course et vais me réfugier dans la cave de CHAMEROY.

 

Le soir, le calme enfin revient : tout le monde refait surface. Nous allons passer avec Madame CHAMEROY et Anne-Marie la nuit dans les carrières de Grigisse.

 

Le matin je repars à pieds pour Auxerre, par le chemin de halage, sans mon tracteur resté par la force des choses au dépôt ESSO.*

 

Tout est calme en ce matin du 24 août, la ville semble ignorer ce qui s'est passé la veille à Monéteau... Mais, moi, j'en reste marqué ; je ne peux plus rester devant une fenêtre, je bouche même les soupiraux de la cave.

 

Ce même jour, Auxerre est libérée, les Allemands l'ont quittée comme une traînée de poudre. La foule se presse dans le Centre Ville où a lieu le défilé de la Résistance.

 

Je ressens encore l'impression pénible que me fit un gamin ployant sous un fusil... et, au milieu de la liesse, bien compréhensible, les hurlements des règlements de compte.

 

Tout à coup, des vrombissements au-dessus de la foule ! C'est un avion allemand, bien reconnaissable aux croix noires aux angles soulignés de blanc. Il vole très bas, cherche à atterrir, à se rendre sans doute... Mais, la foule prise de panique vide la place en un éclair!

 

La guerre semblait terminée.

Pourtant... il y avait encore à faire, encore à subir en ce... 24 Août 1944 !

 


 

Maurice DEVILLAINE 

Vers la Liberté

50 ans déjà ! – Histoire vécue en Auxerrois

Dépôt légal janvier 2002