Plus d’un an qu’une poignée de bénévoles militants se mobilisent à Appoigny autour des demandeurs d’asile du Prahda (Programme d’accueil et d’hébergement des demandeurs d’asile), ex hôtel Formule 1.
 
Plus d’un an que nous dénonçons les conditions humiliantes dans lesquelles sont accueillis ceux qui demandent refuge en France : interventions auprès des acteurs, Préfet, département, communauté de l’Auxerrois, la population locale, l’équipe locale d’Adoma, le national, les investisseurs dans ce projet honteux.
 
Parfois ça paye, souvent on se heurte à un silence méprisant.
 
Et pendant ce long silence, les expulsions se poursuivent : le Préfet expulse en Italie ou ailleurs sans tenir compte des conditions dans lesquelles est menée la procédure, et sans se préoccuper du devoir humanitaire de la France comme le lui permettent les satanés accords de Dublin. Parfois le Tribunal administratif sanctionne le Préfet… Le Préfet ne sourcille pas, laisse un peu dormir le dossier et, soudain, à la limite du temps légal, fait savoir qu’il a lancé, un recours à la Cour d’Appel de Lyon. Parfois il gagne, parfois il perd. Comme si c’était un jeu pour ces jeunes qui ont fuient combats, attentats, famine, misère…
 

Juste 2 ou 3 petits points témoins de la vie au Prahda
 

2017-2018, toute une année scolaire à chambouler les conditions dans lesquelles les enfants se rendent à l’école à partir du Prahda loin de l’agglomération : 
 
- des cantines à 4 € le repas, une absence de tarifs réduits (pas plus pour les Époniens que pour les demandeurs d’asile aux moyens très limités) donc 4 aller-retour par jour
 
- quelques accompagnements des bénévoles, puis d’Adoma, puis plus rien; il leur a été proposé d’y aller à pied… sur une route à circulation automobile et sans visibilité
 
- certains parents (notamment en ce début d’année 2018-2019) ont pu s’acheter des véhicules forcément en mauvais état, donc susceptible de tomber en panne ; la solidarité entre eux joue parfois (mais pas toujours) pour emmener tous les enfants (9 cette année).
 
- avant l’été, après plusieurs interventions (y compris des manifestations) nous avions eu une rencontre avec la DDCSPP (le service de cohésion sociale du département). Nous avons été longuement écoutés. le mois dernier, enfin, une réunion se tenait avec tous les acteurs (sauf les migrants et les bénévoles) : Préfet, Département, Communauté d’agglo, Adoma. Résultat à terme : deux navettes par jour mises en place entre le Prahda et le centre commercial voisin et un engagement à recherche de solution sur le transport scolaire et la cantine. Evidemment, pour les enfants il aurait été préférable de commencer par des navettes vers l’école. Était-ce trop demander ?
 

Les locaux communs
 
 
Depuis juillet 2017, nous dénonçons l’exiguïté des chambres qui ne respectent même pas le cahier des charges. Après près de 6 mois sans cuisine, enfin, début décembre, livraison de 5 cuisines… sous-équipées. Aujourd’hui, sur les 10 plaques de cuisson, seules 3 fonctionnent encore (pour 70 personnes) l’éclairage des cuisines est inexistant (ampoules? mécanisme d’allumage? on ne sait pas). Un local commun au rez-de-chaussée allait être aménagé… on attend toujours. Et les demandeurs d’asile n’ont de lieux de convivialité que la terrasse (en été) et 20 m2 (en hiver).
Les bénévoles se chargent du soutien scolaire pour les primaires et de jeux pour les plus petits… mais on ne leur laissera un local que s’ils signent une convention plaçant, de fait, sur le même plan ceux qui sont chargés d’appliquer une politique et ceux qui s’efforcent de la combattre.
 

Les téléviseurs
 
 
Les chambres de l’ex-Formule 1 étaient équipées de téléviseurs. Un avantage sur d’autres centres d’hébergement qui était bien loin de compenser les manques décrits plus haut (isolement, exiguïté, etc). On imagine bien tout ce que peut leur apporter la télé : distraction, écoute du français, écoute du monde d’où ils viennent…. Mais voilà que Adoma veut faire des économies et se met en tête de faire payer la taxe audiovisuelle aux demandeurs d’asile. Un simple coup d’œil sur les pratiques de l’Etat dans notre pays suffirait à ne pas oser réclamer cette taxe (exonération pour ceux qui ne paient pas de taxe d’habitation, pour ceux dont le revenu fiscal de référence est égal à 0, pour les personnes âgées résidant en établissement, etc…). Ils n’auraient pas dû oser… mais ils ont osé. Et immédiatement ils ont commencé à leur enlever (sauf s’ils s’engagent à payer)

Interrogé vendredi par un journaliste de France Bleu Auxerre, le Directeur départemental de Dijon a annoncé :
 
- la navette vers le centre commercial serait mise en service le lundi 8 octobre
- les téléviseurs ne seraient pas retirés à ceux qui vivent actuellement au Prahda; ils ne seraient retirés qu’à leur départ. Les prochains "locataires" se verraient proposer la télé contre paiement de la taxe.

Sur le premier point, la priorité nous semblait être le trajet pour l’école. Nous espérons cependant être invités à l’inauguration de la ligne avec drapeaux et trompettes.
Sur le second point, soit le directeur est un menteur, soit il est mal informé. Nous sommes donc certains que rapidement les téléviseurs enlevés seront remis en place. Pour ceux qui sont là et pour ceux qui viendront. A vérifier. Peut-être sans drapeaux, mais peut-être avec trompettes.
 

Appoigny, le 1er octobre 2018
Pour le collectif de soutien

André Pacco
 
 

 
 
 
 
 
 
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L’ACCUEIL DES DEMANDEURS D’ASILE S’OUVRE AUX MARCHÉS FINANCIERS (BNP Paribas, Aviva, CNP Assurance, MAIF, Caisse des dépôts et consignations, Pro BTP…)

C’est ce que prévoit le nouveau modèle de gestion des centres « Pradha », chargés de l’hébergement des personnes demandant l’asile.

Ces centres – d’anciens hôtels bas de gamme – sont gérés au quotidien par une filiale de la Caisse des dépôts sous contrôle du ministère de l’Intérieur, et sont en partie financés par le privé, grâce à un fonds d’investissement dédié. Côté accueil, accompagnement, insertion et encadrement, les coûts sont réduits au minimum, mais les partenaires du fonds – la BNP, Aviva, la CNP assurances ou la MAIF – espèrent en tirer des bénéfices. Bienvenue dans l’« action sociale » du XXIe siècle.

Fin 2016, le ministère de l’Intérieur lançait un appel d’offre sans précédent pour la création de plus de 5 000 places d’hébergement pour demandeurs d’asile, suite notamment à l’évacuation du camp de Calais.

Le Programme d’accueil et d’hébergement des demandeurs d’asile (Prahda) vient s’ajouter à la myriade de dispositifs d’accueil déjà en place. Il prendra la suite des Centres d’accueil et d’orientation, créés dans la précipitation. Cependant, le Prahda innove : il s’agit du premier dispositif d’hébergement financé par l’intermédiaire d’un fonds dit « à impact social », un système venu du Royaume-Uni.

SON PRINCIPE : FAIRE FINANCER DES PROGRAMMES SOCIAUX PAR DES INVESTISSEURS PRIVÉS, TOUT EN LEUR GARANTISSANT UNE RÉMUNÉRATION SUBSTANTIELLE.

Pour financer le Prahda, la Caisse des dépôts et consignations (CDC), via sa filiale CDC-Habitat [1] a donc lancé un fonds d’investissement, baptisé « Hémisphère ». Premier fonds à impact social d’une telle envergure en France, avec une capacité de 200 millions d’euros, Hémisphère est abondé pour moitié par un prêt de la Banque de développement du Conseil de l’Europe, tandis que six investisseurs institutionnels apportent les 100 millions restants : Aviva France, BNP Paribas Cardif, la CDC, CNP Assurances, la Maif, et Pro BTP.

 

POURQUOI CET INTÉRÊT SOUDAIN DES ENTREPRISES POUR L’HÉBERGEMENT D’URGENCE ?

 

CDC Habitat leur promet un taux de rémunération fixe de 3,5 %, le double de ce que rapporte un prêt immobilier à des particuliers. Celui-ci augmentera en fonction du degré de réussite des objectifs sociaux du projet, évalués en fonction d’un certain nombre d’indicateurs assez basiques : scolarisation des enfants, signature de contrats d’accueil... Comment et par qui seront évalués ces critères, et jusqu’à quel taux d’intérêt maximum pourra être rémunéré Hémisphère ? Mystère, en l’absence de réponse de la Caisse des dépôts sur son fonds d’investissement.

L’investissement pourrait être très rentable pour BNP Paribas, Cardif ou Aviva. Probablement moins pour l’État. Si les promoteurs du projet mettent en avant les 40 % d’économies réalisées par rapport à un hébergement en chambre d’hôtel, aucun comparatif n’est établi avec une solution en hébergement public, type centre d’accueil des demandeurs d’asile (Cada).

Certes, le gouvernement évite ainsi d’avancer les frais. Mais au final, le loyer des centres, dont les bâtiments appartiendront à Hémisphère mais dont les nuitées seront payées par l’État, couvriront la rémunération des investisseurs, ainsi que celle des cabinets d’audit chargés d’évaluer les supposés impacts sociaux du programme.

 

ENTASSÉS DANS DES CHAMBRES DE 7 M2

 

Étant donné le coût du montage financier – notamment la rémunération des investisseurs – le projet implique la recherche d’économies par ailleurs. L’appel d’offre lancé par l’État impose au prestataire de mettre en place des conditions d’accueil au coût le plus faible possible : 16,5 euros par personne et par nuit, contre une vingtaine d’euros dans un Cada classique – soit 17,5% d’économies.

Les demandeurs d’asile sont notamment logés dans 62 vieux hôtels Formule 1 rachetés au groupe Accor par le fond Hémisphère, avec au passage le licenciement d’une grande partie des salariés hôteliers. Loin des centres-villes, en bordure d’autoroutes ou de routes nationales et au sein de bâtiments vétustes, on entasse des familles de quatre personnes dans des chambres de 7 m2.

Au Prahda d’Appoigny, dans l’Yonne, les premiers demandeurs sont arrivés alors que les salariés du prestataire n’étaient pas encore en poste. Rien n’est alors aménagé : la cuisine ne sera installée que cinq moins plus tard.

Des associations dénoncent ces conditions d’existence « indignes ». Les investisseurs ont l’air moins au courant : chez BNP Paribas Cardif, on dit avoir été « séduit par les objectifs sociaux », et « convaincu de l’impact positif de ce type d’investissement ».

 

DANS LES FAITS, L’ACCOMPAGNEMENT SOCIAL RÉDUIT AU MINIMUM

 

Paradoxalement, alors que son dispositif de financement promet un « impact social », le Prahda se différencie des autres centres d’hébergement par sa quasi-absence d’accompagnement social.

Par exemple à Appoigny, il n’y a que deux assistantes sociales pour 85 résidents. Sur un réseau social, d’anciennes assistantes de Prahda témoignent : « Nous n’avions même pas le temps de faire du social. J’étais sans cesse dans l’urgence. À courir partout, à être sous pression, à n’avoir même pas le temps d’échanger avec les résidents. »

« C’est un nivellement par le bas. On n’a plus les moyens de faire du travail social. Alors c’est réduit à la portion congrue : on vérifie qu’il n’y a pas d’urgence médicale et que les enfants sont scolarisés, c’est tout. Il n’y a pas de vrai suivi médical, d’alphabétisation », ajoute Noémie, déléguée syndicale chez Sud logement social [2]. Tout juste de quoi valider les critères sociaux du fonds Hémisphère... et encaisser le prix de la « prestation ». Quand à un véritable travail d’insertion, on repassera.

 

« LE PRAHDA EST UN ENDROIT OÙ L’ON STOCKE LES GENS AVANT DE LES EXPULSER »

 

Pour Camille, militante dans un collectif citoyen de soutien aux demandeurs d’asile à Appoigny, « il n’y a en réalité aucune volonté d’accompagnement social, parce que le véritable objectif c’est avant tout d’expulser ».

Le Prahda est le premier dispositif d’hébergement où est spécifié dans l’appel d’offre que le prestataire sera responsable de l’assignation à résidence des « dublinés », ces demandeurs d’asile dont les empreintes ont été prises dans un autre pays européen lors de leur arrivée, et qui peuvent donc y être renvoyés.

« A Appoigny, on nous envoie 85 à 90% de dublinés : c’est énorme par rapport aux autres centres. Le Prahda est un endroit où l’on stocke les gens avant de les expulser. C’est un centre de rétention qui ne dit pas son nom », analyse Camille.

La préfecture se déploie directement dans le Prahda pour délivrer les « invitations à quitter le territoire ». Cela, au sein même du bureau des assistantes sociales. Dans ces conditions, difficile d’établir des relations de confiance avec les résidents... « Les travailleurs sociaux sont en souffrance. Avec les assignations à résidence, ils font un travail de "maton" : ils notifient les départ, surveillent les allers et venues, dénonce Noémie, de Sud logement social. Par conscience professionnelle, certains démissionnent, alors qu’ils n’ont rien derrière. »

Alors qu’Hémisphère annonçait un meilleur contrôle de la qualité de l’hébergement et de l’accompagnement, le fond sert en réalité d’instrument de financement – et de source de profit – sur des politiques migratoires répressives et indignes.

LA MISE EN AVANT D’UN « NOUVEAU MODÈLE POUR L’ACTION SOCIALE »

A qui la gestion des centres a-t-elle été confiée ? Elle aussi filiale de la CDC Habitat, Adoma – anciennement Sonacotra, qui gérait les foyers de travailleurs immigrés et dont l’histoire est également sulfureuse – a remporté l’appel d’offre. La société d’économie mixte, qui affiche un chiffre d’affaire de 357 millions d’euros en 2016, gère aujourd’hui 25% du parc national d’accueil des demandeurs d’asile.

« C’est un opérateur moins militant que d’autres, moins regardant sur les taux d’encadrement, explique Noémie. L’appel d’offre était taillé pour eux : avec les conditions fixées, le timing, ils étaient les seuls à pouvoir y répondre. » Exit, donc, les associations à but non lucratif.

 

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