Mercredi 21 mars 7 h 00 du matin. J’ouvre les volets, ciel bleu, quelques nuages. Bruits ordinaires de la matinée : claquements de talons de la voisine qui part au travail, moteur de voitures (crescendo, decrescendo), voix des premiers lycéens débarqués des cars de ramassage et cris des choucas de la cathédrale. Le pilote automatique est en marche : d’abord mettre le petit déjeuner en route, sur la table l’orange, le yaourt (sans sucre, c’est un rite), pain, beurre, passer la tasse de café une minute au le micro-onde et le dernier geste, appuyer sur le bouton rouge de la radio. Là, j’hésite. J’ai peur de ce que je vais entendre. L’horreur bien sûr, mais pas seulement. Tout ce qu’il y a autour du drame : les discours des experts d’abord. Un petit peu moins bardés de certitudes que d’habitude, ils y vont quand même de leurs couplets habituels. Psys (1), criminologues, magistrats et policiers en retraite, se suivent et se ressemblent chacun cherchant à expliquer l’inexplicable. Les flics sont, pas toujours mais souvent, les moins pénibles à entendre. Sachant tout ce qu’une enquête a d’aléatoire, ils se gardent des affirmations trop définitives. Encore tous ceux-là restent-ils dans le sujet. Mais il y a les autres. Les politiques (2), sommés d’intervenir et qui ne peuvent guère débiter autre chose que des phrases convenues. Que dire, en effet, aux proches des victimes qui demandent justice et qui pensent vengeance (et comment peut-on leur en vouloir) ? Que faire pour que le crime d’un seul, ou de quelques uns, ne devienne pas l’infamie de toute une communauté ? Comment résister à l’envie de charger l’autre, son adversaire, son concurrent, son allié parfois, qui aura eu la phrase malheureuse, le geste bête, d’une responsabilité qui fera de lui le complice de l’abomination ?

Les journalistes (3) enfin, Mesdames et Messieurs Loyal du cirque médiatique au sens gladiateur et corrida du terme. Caméras et micros branchés en direct sur la douleur et le désespoir, claviers dégoulinants d’adjectifs pathétiques, capables de répéter en boucle dix fois la même absurdité, posant et reposant des questions dont ils savent pourtant qu’elles resteront sans réponse. Et le pire du pire, les analystes politiques, dissertant gravement pour savoir à qui profiterait le crime dans les sondages. Vautours qui n’assistent aux enterrements que pour chercher à savoir auquel de ceux qui sanglotent derrière le cercueil, ira la plus grosse part du magot du défunt et à qui, par conséquent, il convient de présenter le plus sincèrement ses condoléances.

Sauf que non, le pire du pire ce n’est pas ça. Ce n’est même pas les Guignols de l’info qui, une fois de plus, ont oublié que si on peut rire de tout ce n’est pas plus n’importe quand qu’avec n’importe qui. Non le paroxysme de l’indécence, c’est les affaires qui continuent, les pubs pour tout et n’importe quoi qui s’invitent au milieu de la tragédie. Un peu comme si on était au stade, avec les panneaux amovibles pour la cuisine en acier massif, les lunettes pas cher, les deux packs d’eau minérale au prix d’un seul et la bagnole à 300 € par mois, sauf qu’au lieu des tirs au but, c’est les morts qu’il faut compter. Le temps du deuil, on a suspendu la campagne électorale et on a eu raison, pourquoi n’avoir pas mis une sourdine au fracas publicitaire ?

Un peu bêtement moralisateur, je le reconnais, et contaminé, moi aussi, par le goût du titre chic et choc à la mode Libé, j’avais pensé titrer ce billet « Pour une info en 3 D » et le terminer en demandant à tous ces gens de traiter ce genre de tragédie en ayant pour maîtres mots : dignité, décence et discrétion. Puis, je me souvenant de Vercors, je me contente de leur suggérer qu'ils pourraient, ne serait-ce que quelques instants, interrompre ce torrent de paroles. Une des plus grandes forces qu’on puisse opposer à la barbarie c’est « le silence de la mer ».

Chambolle  

(1) Mention spéciale à celui qui, interwievé sur une radio périphérique, a livré en moins de dix minutes un diagnostic précis sur les troubles mentaux du tueur sans l’avoir (et pour cause) jamais rencontré.

(2) Que la plupart d’entre eux soient arrivés à ne pas déraper pendant vingt-quatre heures de suite prouve que, contrairement à une opinion communément admise, la classe politique française n’est pas de si mauvaise qualité.

(3) Seconde mention spéciale à la présentatrice d’une chaine d’information en continu demandant au correspondant sur place « Et pouvez-vous nous dire ce que pense le tueur de tout ça ? »