SOCIETE
Une famille sans histoire
le jeudi 19 juillet 2012, 10:22 - SOCIETE - Lien permanent
Les formules toutes faites peuvent aussi signifier le contraire de ce qu'elles suggèrent
Comment comprendre l'incompréhensible ? Comment un esprit fini peut-il appréhender l'infini de la complexité de la vie et des comportements humains ?
On reste consterné, désarmé et choqué devant le drame qui s'est joué le week end du 14 juillet dans un petit pavillon impeccablement tenu du quartier des Piedalloues à Auxerre.
Au-delà des sentiments attristés que tout un chacun peut nourrir devant l'arrêt de ces vies définitivement privées d'avenir, voire la révolte qu'inspire la mort de deux innocentes fillettes, à quoi renvoie ce drame, que dit-il sur nous-mêmes ?
L'hypothèse qui prévaut actuellement montre que le père de famille, âgé de 45 ans, a tué les siens au couteau ou par étouffement avant de se suicider par pendaison après s'être entravé dans son garage.
La première chose qui saute aux yeux est la mise en scène du crime, minutieusement préparé et programmé, comme s'il figurait un circuit informatique. Une logique absolue, imparable comme le constat ultime et final de cet homme que la vie ne peut être vécue tant elle est douloureuse et sans avenir. Autant alors épargner les êtres chers d'une vie de souffrance trop horrible.
Et pourtant, la mise en scène de la pendaison suggère que le père de famille montre qu'il se punit publiquement pour son geste coupable. A l'image des pendaisons publiques, haut et court, à un arbre, dans les westerns de notre enfance. Il faut que justice soit rendue devant le peuple, la plus vieille tradition populaire.
Quel sens donner alors à cette forme de repentance posthume ?
Comment y réfléchir ? Comment penser l'impensable ? Certes les projections ont ceci d'agaçant c'est qu'elles projettent ce que ceux qui les projettent portent en eux. Difficultés au travail (il n'était pas au chômage), souffrance sociale, (on pense aux suicides à France Télécom) déshumanisation par la mondialisation, perte des repères, du lien social et tutti quanti.
C'est faire fi des mystères de la condition humaine et des histoires de chacun, de tout ce que porte un humain depuis sa naissance et même avant.
L'homme est fragile et fort à la fois. Il peut tomber malade, physiologiquement et psychologiquement et que cette maladie soit mentale. Plus que les bouffées délirantes peu probables dans le cas d'espèce, il est possible qu'on soit en face d'un processus mélancolique (forme la plus grave des différents types de dépression) où l'être est enfermé dans un vécu douloureux et négatif avec perte de tout espoir, confinant parfois au délire avec un éloignement du réel de la perception. Dans ce processus on peut imaginer qu'il sauve ses filles pour leur épargner un monde cruel. Dans cette forme grave de dépression, il est tellement convaincu qu'il n'y a rien à faire, qu'il ne va pas aller chercher de l'aide chez l'autre ou chez un psychiatre.
Autrement dit, comment observer le glissement vers l'anéantissement ? Comment le repérer ? Comment prévenir ? Il y a certes les thérapies mais encore faut-il que le sujet soit volontaire et y ait recours. Il y a l'internement administratif, processus très lourd, compliqué et douloureux.
Ce qui frappe et revient sans cesse dans les témoignages des voisins, c'est que cette famille était décrite comme normale, sans histoire, le père faisait du jogging et ses deux fillettes riaient aux éclats avec lui dans le jardin en jouant près de leur maisonnette en plastique jaune. La maman avait sa maman à domicile garantissant le lien intergénérationnel gage de continuité, de transmission et de diversité de sensibilités humaines. Bref, personne n'aurait pu imaginer un seul instant un tel dénouement.
La famille, l'homme sans histoire a pourtant une histoire voire des histoires. Or on ne sait rien de cette histoire, du vécu de cet homme, ce mari, ce père de famille, qui a eu des parents et des grands parents. Sans doute est-ce dans ce terreau que les enquêteurs trouveront non pas les clés mais des éléments permettant de comprendre un drame qui n'en finit pas de troubler l'esprit et d'interpeler l'intelligence de chacun d'entre nous. Car dans la grande chaîne humaine, ne sommes-nous pas aussi un peu partie prenante de cet homme et de sa destinée ? L'homme cet être mystérieux à multiples facettes.
Reste l'autre hypothèse : celle d'un meurtrier qui courrerait toujours.
Pierre-Jules GAYE
(avec la collaboration de Joël LAPORTE, psychiatre)
Commentaires
comme souvent vonette est dans le ton poétique et humaniste sensible et réaliste ses commentaires sont une valeur ajoutée...;
Certes les "chiantifiques" ne savent pas encore grand chose dans ce domaine encore que dans ma courte vie j'ai déjà assisté à des progrès incroyables quelques années auparavant. Il faut donc "laisser le temps au temps". On connaît bien les "modificateurs du comportement", de toutes sortes d'ailleurs, ils agissent à ces niveaux encore méconnus en partie. Un jour "ils" connaîtront mieux, "ils" maîtriseront mieux mais nous ne serons sans doute plus là et c'est tant mieux.
La petite mécanique "biochimique" reste un mystère... comme les neurones et le cerveau humain... les scientifiques en savent très peu sur le cerveau humain.
Le mystère reste donc entier
A moins en effet d'un meurtrier dont on ne sait encore rien, ce malheureux a sombré dans les griffes de "la folle du logis", celle qui affirme en ricanant que rien n'ira plus jamais bien, ni même mieux. Et quand elle entre c'est en coup de vent, et puis elle s'installe et altère la vie peu à peu. Pour la prendre. La mort est vue comme la fin des ennuis et le début d'un long sommeil. Même celle des chers, ces deux petites filles qui ne connaissaient encore que le plaisir des jeux et des bons desserts...
Peut-être a-t-il été victime de cette abominable "réussite" qu'on nous impose à tous et qui n'a rien de ce qu'elle devrait être: le paisible mais rayonnant épanouissement de ce nous unique qui a son chemin propre. Un rôle souvent bien lourd.
Dans une société qui nous parle toujours de liberté, celle d'être nous-mêmes est la plus inaccessible. Nous sommes seuls si nous osons vivre notre unicité. Et l'aide... si on ne la demande pas, si on n'ose admettre qu'on en a besoin, ou si on pense qu'on est au-delà de tout ce qu'on peut faire... c'est la folle du logis qui fait le travail.
Un bien triste drame...
"C'est faire fi des mystères" ...
Pas tellement mystérieux ! C'est surtout faire fi de la petite mécanique "biochimique" qui régit les transissions neuronales et les relais !