SOCIETE
Le linge de mon voisin mort il y a un an pend toujours à un fil
le jeudi 03 juillet 2014, 22:41 - SOCIETE - Lien permanent
Zoom, tranche de vie, 3 juillet 2014, Auxerre, rue du 24 Août
Mon voisin est mort voilà un an, pas chez lui, au mois d'août finissant. Son linge pend toujours au fil. No comment.
Ou plutôt si. On ne connaît pas toujours ses voisins surtout dans les quartiers où les habitations sont entourées de murs et les maisons de ville se tournent le dos. À l'exemple du quartier Saint-Amâtre du nom d'un évêque d'Auxerre.
Ce voisin était un vieux monsieur. On le voyait rarement. Il voyageait beaucoup autour du monde. Depuis qu'après une vie de labeur, il avait fait valoir ses droits à la retraite.
Lorsqu'il revenait chez lui à Auxerre quartier Haute Moquette en face du cimetière des Capucins (Dunand) où il vivait seul, il ouvrait parfois une fenêtre à l'étage. La musique classique en sortait allègrement et c'était agréable à entendre. Rarement, peut-être trois fois en 30 ans, il a taillé une bavette dans l'encadrement de sa fenêtre, ou à la porte du 24 Août pour venir rendre les ballons égarés dans son jardin. Un grand sourire aux lèvres. Alors qu'on s'attendait à une engueulade.
Ce fut le cas peu avant sa mort. Jules, mon petit-fils, jouait au ballon avec mon gendre Chams, bruyamment.
Mon voisin souriait et riait du haut de sa fenêtre, à entendre les cris de goal et le bonheur irradiant qui peut jallir du rire d'un enfant. Il descendait d'un étage et renvoyait le ballon par dessus le mur sans contester.
Il est parti discrètement, à la fin de l'été dernier. Sans prévenir évidemment.
Mais il est toujours là. Je l'ai découvert à la faveur d'un effort vertical, échelle en mains, pour empêcher la végétation de déborder en explosant les tuiles qui protègent le haut des murs. Au sommet de l'ascension, ma petite tête put embrasser le jardin luxuriant du voisin et le fil à linge.
La maison est intacte, les fruitiers et le lierre gagnent du terrain partout y compris par dessus tous les murs d'enceinte. Devant l'entrée, un amoncellement d'objets hétéroclites attend preneur. Ou un feu de la Saint-Jean mais c'est raté pour cette année.
Un ballon est perché dans la gouttière d'un toit. En attente.
Le linge, son linge - chaussettes, caleçons, maillot de corps - pend toujours à un fil.
La musique de Mozart, Brahms et Vivaldi monte en moi, irrésistiblement.
Pierre-Jules GAYE
Commentaires
Félicitation Vonette, votre propos est combien vrai. Aussi je me retrouve lorsque vous exprimez avec tant de sensibilité c'est pour les vivants que la mort est effrayante. Je disais dans le même sens, puis un jour tous passe dans la mémoire des autres...
On est tous seuls au moment de mourir, que l'on soit entouré ou oublié. On passe le seuil tout seul, on est seul à faire, volontairement ou non, le pas qui l'enjambe. Il n'y a rien de triste dans le fait de mourir, sauf pour ceux qui restent - s'ils "perdent" quelqu'un. Si ce quelqu'un va leur manquer. C'est pour les vivants que la mort est effrayante.
Ce monsieur je le crois, parce que l'article dit qu'il souriait, riait aux jeux d'un enfant, ne s'était pas fermé. Sa solitude était vécue sans hypocrisie, il la connaissait et était sans doute bien avec lui-même. Et bien avec les autres quand il se laissait conquérir, ouvrait sa porte.
Sa lessive est charmante: un souvenir qu'un jour, ce monsieur voyageur aimait son linge qui sentait le bon air et le propre.
Trompe-la-mort
Familièrement, un trompe-la-mort était un téméraire, un casse-cou. Là encore, G Brassens, va détourner le sens du mot en nous expliquant comment, littéralement, il s'ingénie à tromper le temps qui passe et la Camarde qui rôde. mais aussi, Trompe la Mort :"Personne très vieille ou rétablie contre toute espérance." Cela donne a réfléchir avant tout sur la vie, notre vie, notre cellule familiale, et puis le temps qui passe nous apprend à la presque solitude des autres, à aller chercher l'autre sans le trouver et puis un jour tous passe dans la mémoire des autres. Regardons nous !
Le linge est sec lui aussi !!
Tôt ou tard, quelqu'un saisira le TGI pour que la succession soit administrée par l'administration du Domaine (où je travaille)
Il n'est pas mort chez lui. Il vivait seul et n'a sans doute pas de descendance... comment expliquer sinon ..? La maison n'est même pas en vente...
Imagine chez lui, tout est resté en l'état, le bol de café sur la table, le pyjama au pied du lit, le frigo.... Pendant un an, j'ai fait ce boulot d'aller chez des gens morts sans que personne ne s'en soucie. Rudement éprouvant... Et généralement, tout finit à la benne. Une vie c'est rien, quelques photos de famille, des papiers d'identité que j'ai classés dans un dossier, c'est tout ce qui reste...
Cette maison où il habitait, serait-ce celle qui est actuellement en vente ?
C'est triste de voir cela de nos jours ! Prenez des nouvelles de vos voisins, même si parfois vous avez l'impression de vous immiscer dans leur vie, mais cela peut rendre service et il y en a qui n'attendent que cela ... un sourire vaut tous les mots du Monde !
Tristounet !!!! J'habite un appartement . J'ai des nouveaux voisins depuis bientôt 2 mois . Je n'ai jamais eu l'occasion de les voir ..... A part un chien qui aboie , et des portes qui claquent ..... aucun contact . Je me dis que c'est très , très triste ...Mais c'est comme çà la vie , maintenant . 10 ans que je suis dans cet appartement, comme les relations de voisinage se sont dégradées ....
Chaque année, en France, des milliers de gens meurent dans la plus grande solitude, dans le plus grand dénuement. Il y a un service public qui s'occupe de gérer "l'après". Le boulot commençait par enlever le courrier de la boîte à lettres, bondée de prospectus depuis le temps que la personne était morte. Une fois le tri effectué, on trouvait parfois des lettres touchantes, d'anciens amants, ou de membres de la famille qui ne comprenaient pas que leurs lettres restaient sans réponse, parfois des cartes de voeux pour la nouvelles année. On intervenait généralement au bout de six mois, pour des raisons de procédures. Après, derrière la porte de l'appartement, on ne savait jamais ce que l'on allait trouver...
Je n'oserais dire que je "like".... mais je pense à mes racines ritales et tout particulièrement à Dante....
À chacun sa liberté.
L'auteur a le courage de cet article qui nous édifie et devrait nous faire réfléchir
Bien la preuve que la vie ne tient qu'Ã un fil
il avait juste eu le temps de fiaire sécher ses mouchoirs avant que d'autres ne mouillent les leurs
A l'heure des réseaux sociaux où on a le sentiment de tout savoir, le vrai et le faux, à l'instant même. Tout devient urgent, on se croise sans se voir rivé sur son smart phone en communication virtuelle avec d'autres, .....ce témoignage nous ramène à la réalité, ou à l'absurdité !
de relations déshumanisées.
Au regard de ce que nous informe Pierre-Jules dans sa réflexion, cet homme ayant parcouru le monde, ne cherchait pas non plus la promiscuité.
Son souvenir est toujours là , un sourire, une musique, des chaussettes... Une belle vie qu'il a aimée puisqu'il souriait et laissait sortie de joyeuses notes par sa fenêtre. Que rêver de plus? Le souvenir d'un passage heureux se balance au bout du fil.
Bon vent cher monsieur qui, malicieusement, vous rappelez à notre bon souvenir...
A parcourir le monde et à user d' une si grande discrétion vis a vis de ses voisins, c'est parfois vouloir oublier qu'on est bien seul... ou inutile ... Joli témoignage de PJ , touchant,mais qui fait le constat que chacun d'entre nous oublie parfois de se pencher un peu plus vers son voisin.... Parfois tout simplement parce qu'on n'ose pas, on peut passer alors pour quelqu'un d'indifférent ou de trop pressé ... Malheureusement on aura tôt ou tard son fil de linge, plein ou vide un jour ou l'autre ... Et là qui s'en inquiétera ?