Stéphane Hessel impose le respect partout où il passe. Il est en tournée, à 94 ans, et vit à un rythme d'enfer entre interviews, conférences et débats.

Son livret opuscule intitulé "Indignez-vous" de 32 pages, est un bestseller : 1, 8 millions d'exemplaires vendus. Question : est-ce le prix ou le contenu, ou le prix-contenu-titre "Indignez-vous qui explique le succès ? Qui n'a pas, aujourd'hui, une bonne raison de s'indigner, même si paradoxalement, les réponses ne sortent pas immédiatement ? Lorsque la coupe est pleine, la parole s'étrangle.

Précisément le message d'Hessel est un appel aux jeunes pour leur dire qu'à son époque il y avait des raisons de s'indigner et qu'il l'a fait. Aujourd'hui, l'indignation appartient aux jeunes, contre l'injustice, les inégalités, et pour la liberté. Voilà le message du vieil homme car Stéphane Hessel est un vieil homme, âgé de 94 ans, rescapé des camps de la mort. Ce qui ne tue pas rend plus fort (Netzsche).

Or des jeunes, il n'y en avait point au théâtre municipal d'Auxerre. On aurait pu imaginer, par exemple, le parterre du premier étage (la moitié de la salle du bas) réservé aux terminales de Jacques-Amyot ou/et de Fourier ou/et de Saint-Jo. Il n'en fut rien. A la décharge des organisateurs, en l'occurence la ville et le Cercle Condorcet que l'on ne saurait suspecter d'élitisme démocratique, il faut dire que l'organisation d'un événement public est soumise à des contraintes réglementaires drastiques. Prudent et avisé, Denis Troester, le chef de cabinet adjoint du maire d'Auxerre a cru devoir filtrer les inscriptions...ce qui n'empêchait pas les jeunes de participer à l'évémement.  Cela dit les jeunes étaient-ils au courant et sont-ils intéressés par l'indignation ? Comme les vieux ?

Mais des jeunes au théâtre, que nenni ma foi ! Ce n'est certes pas Troester qui est en cause maître d'oeuvre parfait de cette manifesation, mais Guy Férez le maire qui assume le pouvoir de sa charge à Auxerre. Le choix fut d'ouvrir démocratiquement, sans préférence. Donc, pas question de faire la part belle aux jeunes en la circonstance pour cet événement exceptionnel dans la cité de Paul-Bert. C'eût été restreindre les places aux notables locaux de tous bords. Fallait-il prendre les jeunes par la main pour les emmener écouter Stéphane Hessel ? Fallait-il faire de la pub dans les lycées ?

On peut comprendre la logique qui est tout à fait respectable. Et puis qu'est-ce qu'ils en ont à foutre les jeunes d 'un temps révolu et de messages adressés par les très anciens...?  Il n'empêche que le message d'Hessel est un message adressé aux jeunes. Or force est de constater qu'il ne sera pas arrivé à destination. Ce sont les parents qui auront lu le courrier, la lettre qui était destinée aux jeunes. Grand bien leur fasse.

Peut-être la municipalité et le Cercle Condorcet (qui se défausse mais apparaît comme complice objectif), ont-ils voulu préserver le vieil homme de questions trop dérangeantes ? Et assurer le succès d'une soirée sans incident dont ils tireraient immanquablement les dividendes ?

Le phénomène Hessel phénomène d'édition et de marketting, s'explique aussi par l'âge et la stature du personnage hors du commun. C'est un vieux de chez les vieux. Mais c'est une bête de scène de 94 ans, un athlète hors du commun ! Qui oserait franchement avec cran et sérieusement, attaquer le vieil homme sur ses idées ? Le moindre mot qu'il prononce - exemple : voilà de belles questions... avec sa manière chantante de parler - suscite aussitôt le ravissement de son auditoire, conquis d'avance. Ben voyons.

Le Stéphane Hessel en question avait pris les devants précisant que son "Indignez-vous "était un peu court et qu'il a commis un "Engagez-vous... " dans la foulée... On attend les propositions pour que cela change. Ici comme ailleurs en politique, c'est l'impuissance. Pas de miracle. 

Son credo à Hessel :  la citoyenneté, les jeunes en réseau, des jeunes qui se mettraient à s'organiser et à jouer collectif.... L'avenir leur appartient.

Ca, c'est une autre histoire....Les vieux étaient dans la salle du théâtre, venus pour se rassurer, écouter un plus vieux qu'eux... comme naguère Pétain puis De Gaulle, voire Mitterrand. La figure du sage manque, aujourd'hui, dans notre belle République déboussolée et mise à mal. Le réponse la plus pertiente à nos maux est celle de Condorcet. Ecoutez et réécoutez le texte introductif d'Hervé Couteille le président du Cercle Condorcet d'Auxerre.

 

                                                                                                                Pierre-Jules GAYE

 

LES VIEUX

Les vieux ne parlent plus ou alors seulement parfois du bout des yeux
Même riches ils sont pauvres, ils n’ont plus d’illusions et n’ont qu’un cœur pour deux
Chez eux ça sent le thym, le propre, la lavande et le verbe d’antan
Que l’on vive à Paris on vit tous en province quand on vit trop longtemps
Est-ce d’avoir trop ri que leur voix se lézarde quand ils parlent d’hier
Et d’avoir trop pleuré que des larmes encore leur perlent aux paupières?
Et s’ils tremblent un peu est-ce de voir vieillir la pendule d’argent
Qui ronronne au salon, qui dit oui qui dit non, qui dit : je vous attends?

Les vieux ne rêvent plus, leurs livres s’ensommeillent, leurs pianos sont fermés
Le petit chat est mort, le muscat du dimanche ne les fait plus chanter
Les vieux ne bougent plus, leurs gestes ont trop de rides, leur monde est trop petit
Du lit à la fenêtre, puis du lit au fauteuil et puis du lit au lit
Et s’ils sortent encore bras dessus, bras dessous, tout habillés de raide
C’est pour suivre au soleil l’enterrement d’un plus vieux, l’enterrement d’une plus laide
Et le temps d’un sanglot, oublier toute une heure la pendule d’argent
Qui ronronne au salon, qui dit oui qui dit non, et puis qui les attend

Les vieux ne meurent pas, ils s’endorment un jour et dorment trop longtemps
Ils se tiennent la main, ils ont peur de se perdre et se perdent pourtant
Et l’autre reste là, le meilleur ou le pire, le doux ou le sévère
Cela n’importe pas, celui des deux qui reste se retrouve en enfer
Vous le verrez peut-être, vous la verrez parfois en pluie et en chagrin
Traverser le présent en s’excusant déjà de n’être pas plus loin
Et fuir devant vous une dernière fois la pendule d’argent
Qui ronronne au salon, qui dit oui qui dit non, qui leur dit : je t’attends
Qui ronronne au salon, qui dit oui qui dit non et puis qui nous attend.
 

                                                                   Jacques BREL