Il faut remonter à 1973 pour trouver l'explication de la croissance exponentielle de la dette, dont l'origine sous la Ve République date de 1973 et du premier choc pétrolier qui généra une inflation significative, la récession, l'apparition d'un chômage préoccupant.  Après la guerre du Kippour et l'embargo sur le pétrole, suivi d'une hausse colossale du prix du brut, quelques centaines de milliers de chômeurs pointaient: toutes les industries liées à une forte demande en énergie piquaient du nez et les dépenses liées au chauffage et au transport avaient tellement augmenté que la consommation diminua nettement.

Dans le contexte politique (une gauche unie susceptible de prendre le pouvoir) il fallait, pour la droite, éviter l'explosion sociale - surtout que l'indemnisation du chômage était encore très basse. Le choix fut fait - contre l'avis du Ministre de l'économie, Giscard - de limiter la récession en soutenant la commande publique. C'est à ce moment que furent mises en place les premières mesures d'incitation fiscale, pour aider à réaliser des économies d'énergie, que l'investissement nuclaire fut décidé tout comme l'accélération de la mise à niveau des télécommunications.

L'état admettait donc que dans des circonstances exceptionnelles, il fallait s'endetter.

Jusqu'ici, quand la puissance publique avait besoin d'emprunter...

- Elle plaçait des bons du Trésor. Le citoyen ou le comptable d'une entreprise dotée d'une trésorerie excédentaire se les procurait à la perception ou la poste (s'il était masochiste, il passait par une banque qui prélevait une commission substantielle). Ces bons assuraient une rémunération raisonnable et étaient considéré comme le placement le plus sûr qui soit. Accessoirement, la fiscalité sur les bons anonymes permettait une forte évasion fiscale lors des successions: Mamy léguait une encyclopédie dans laquelle, toutes les cinquante pages, un bon d'une valeur conséquente était scotché (ce point a été corrigé depuis).

- Ou elle empruntait à la Banque de France, nationalisée et dont le Gouverneur était nommé par l'état à qui il devait rendre des comptes. N'imaginons pas que le conseil de la banque était composé de grouillots qui recevaient des ordres impératifs: ils avaient une mission qui était d'éviter une dévaluation massive du franc (quand on devait importer massivement une ressource vitale, c'était fondamental). Dans ce contexte, une démission du Gouverneur qui aurait refusé d'être associé à une défaite d'un franc attaqué aurait envoyé un signal tel que la curée eut été générale. Il n'empêche: Assise sur son patrimoine (dont un énorme stock d'or) la banque de France fournissait de l'argent à l'état.
Une mesure "technique" fut prise à l'époque par Giscard. La loi n°73-7 du 3 janvier 1973, parfois appelée "Loi Pompidou-Giscard-Rothschild" fait interdiction par son article 25 à la Banque de France de prêter directement à l'Etat. Ce dernier devra désormais se financer auprès des banques.

Faisons litière d'une accusation infamante qui vise Pompidou. De droite et conservateur, il a certes travaillé 7 ans en deux périodes chez Rothschild où il fit d'ailleurs des étincelles avec sa "seule" agrégation de philosophie - cela interpelle sur l'efficacité des formations actuelles qui fabriquent des financiers obtus... mais personne parmi les gens sérieux ne remit jamais en cause son intégrité si on pouvait combattre vigoureusement ses choix et le modèle de société qu'il défendait.
A l'époque, Pompidou affrontait la maladie. Son activité était réduite et il délaissait les affaires intérieures, se concentrant sur la diplomatie. Ce n'est pas faire injure au premier ministre Messmer de suggérer qu'il n'avait pas les moyens de s'opposer à Giscard qui trustait un énorme ministère d'état, bénéficiant par ailleurs d'une réputation usurpée de "compétence" économique. Cette loi est de la volonté de VGE (les gaullistes "de gauche" s'y opposèrent en vain: on imagine mal le Général laisser l'Etat dans cette subordination). Les motifs invoqués étaient de ne pas tomber dans "la facilité de l'inflation" (en foi de quoi, cette dernière continua de prospérer et ne fut vaincue que douze ans plus tard, et par d'autres)

Ce n'était pas encore trop grave, puisque la quasi totalité du secteur bancaire français était nationalisé ou dans le secteur mutuel (le Crédit agricole, quatrième banque mondiale, faisait son travail: aider les agriculteurs. En foi de quoi il enlevait une sacrée épine du pied de l'état). Ce que l'Etat perdait en s'adressant aux banques était en grande partie récupéré par le biais des dividendes perçus auprès d'elles. Mais le ver était dans le fruit puisqu'elles se finançaient à très peu de frais auprès de la banque de France avant de rétrocéder à l'Etat, en prélevant une commission susbstantielle.

Ajoutons à cela la catastrophe de l'emprunt Giscard* indexé sur l'or, qui coûta sept fois plus à l'état qu'il ne rapporta, et le mécanisme était enclenché. L'état s'endettait année après année et si Giscard peut s'enorgueillir avec un culot monstre d'avoir laissé en 1981 une dette de "seulement" 10% du PIB, c'est bien de lui que vient la gangrène (surtout que les intérêts s'ajoutant au capital, les 10% initiaux ont naturellement fait des petits). Et 10% en huit ans sans cette accumulation d'intérêts, c'est énorme!

    * (il était calqué sur l'emprunt Pinay: les deux offraient en outre une exonération totale sur les droits de succession... sacralisation du rentier et de l'héritier contre le travailleur ou  l'entrepreneur)

La gauche arriva au pouvoir en 1981, "par effraction". L'analyse du graphique ci dessous montre que malgré des avancées sociales majeures, la pente d'accroissement de la dette n'est pas supérieure sous la gauche à ce qu'elle était avant (considérez l'indices pertinent: la courbe de pourcentage par rapport au PIB). Et les mécanismes du SME imposé par le duo libéral Giscard-Schmidt imposèrent en outree des contraintes fortes à Mauroy, privé de l'arme de la dévaluation compétitive.

Pour en revenir à l'accélération de la dette... Depuis 1973, les banques ont perçu de l'état 1.530 milliards d'euros de commissions et de différentiel d'intérêts (entre ce qu'ils payent à la Banque de France puis la BCE) pour un service rendu nul. Comme on paye des intérêts sur les intérêts non remboursés et comme on doit environ 1650 milliards d'euros de nos jours... La conclusion est aisée. C'est le mécanisme enclenché par Giscard, pas remis en cause par Mauroy terrorisé à l'idée d'envoyer un "mauvais signal" et poursuivi par d'autres dont Bérégovoy, Balladur puis Jospin qui nous a mis où nous en sommes, surtout que la grande braderie* du secteur bancaire entre 1986 et 1988 a transféré à ce dernier le produit de ce  racket

* (dès lors que le prix d'une action grimpe en flèche dès le premier jour de sa cotation, après sa mise en vente, la preuve est patente que la société fut bradé - et c'était toujours le cas).

Même en instaurant un mécanisme relativement contraignant pour éviter de faire fonctionner la planche à billets de manière outrancière, on ne peut qu'avoir le vertige devant les sommes ainsi offertes à un système financier prédateur, de surcroît devenu complètement fou et qu'il faut sauver çà intervalles réguliers sans que jamais on ne le contraigne sérieusement à se réformer. Surtout que les banques n'ayant jamais refusé de prêter - au contraire elles poussaient au crime partout, en Grèce surtout - ce mécanisme censé limiter l'inflation ne fonctionna jamais, et nulle part. 

Une des finalités des banques centrales est de financer les états, quitte à leur faire payer un intérêt dissuasif en cas de surchauffe. Et comme cela se passe partout dans le monde sauf en Europe suite au Diktat allemand, de ne pas se préoccuper que de la "hausse des prix" mais également du soutien à l'activité. Il est très rare que la purge et la saignée redonnent des forces au malade...

Une dernière remarque: nul ne nie que la situation est grave en France mais qui peut dire sérieusement qu'elle l'est davantage qu'en 1945 quand notre dette était de 300% du PIB, que le pays privé de 500.000 citoyens, jeunes pour la plupart, était un des plus ravagés par les combats de toute l'Europe. A l'époque, c'est le choix de la relance qui fut fait avec le succès que l'on connaît. A comparer avec l'après 1918, quand fut fait le choix de l'orthodoxie monétaire pour sauver le franc à tout prix... en foi de quoi nous avons eu une récession chronique avec els conséquences politiques que l'on connaît, et malgré tout le franc Poincaré perdit les 3/4 de sa valeur.

benjamin