C’est à 22 ans que James Joyce rencontre celle qui deviendra sa femme en 1931 après avoir été sa compagne pendant des années : Nora Barnacle, fille du Connemara.

C'est un bagarreur et un impétueux, ainsi qu'un bon buveur et querelleur. De beuveries en disputes, bagarres et tonitruants échanges en Irlande, il décide de s’exiler. Il trouve un emploi d’enseignant en anglais à l’école Berlitz de Zurich pour découvrir à l'arrivée que le poste n’existe pas.

 

Il débarque donc, le 20  octobre 1904, à la gare de Trieste avec Nora, rencontrée 4 mois plus tôt et se rend à l’école Berlitz  locale où on l’aide à décrocher un poste d’enseignant à Pula – Croatie actuelle. Il n’y restera que 6 mois entre 1904 et 1905 car il est expulsé de la ville avec tous les étrangers suite à la découverte d’un réseau d’espionnage par les Autrichiens. Pola - comme on la nomme alors - fait partie de l’Autriche-Hongrie.

 

Trieste - Canal grande.

 

C’est donc à Trieste qu’il retourne pour y enseigner l’anglais. Un de ses élèves est l’écrivain Italo Svevo (La conscience de Zeno). Italo Svevo (de son vrai nom Ettore Schmitz) est Juif et lui sert de modèle pour le personnage de Leopold Bloom dans Ulysse.

Nora donne le jour à Giorgio, leur premier enfant. Afin de leur assurer une vie plus confortable il incite alors son frère Stanislaus à quitter son emploi de clerc à Dublin et venir le rejoindre pour enseigner l’anglais dans la même école que lui – et de vivre chez Nora et lui. Mais les disputes retentissent et leur thème reste le même : James est un flambeur et un buveur. En 1907 naîtra sa fille Lucia, qui allait sombrer plus tard dans la démence.

 



La ville de Trieste a définitivement coloré sa vie. Il tomba sous le charme des ruelles, canaux, façades baroques, la mer bleue en été et secouant ses strates de glace en hiver, places somptueuses, osterie emplies d’accents et de fumets, du vin blanc trouble que l’on boit en saison sur des tables robustes, de la musique partout présente… Il apprit à parler le dialecte triestin. Passionné d’art lyrique il était un fidèle des spectacles au théâtre Verdi et au Politeama Rossetti. En 1909 par exemple in chante Die Meistersinger von Nürnberg de Wagner au conservatoire de musique de Trieste. La même année le soupçon que Giorgio n’est pas son fils entre en lui, et lors d’un déplacement à Dublin il écrira de nombreuses fois à Nora pour l’en accuser, lui demander pardon, lui rappeler son amour. «Oh que je puisse me cacher dans ton sein comme un enfant né de ta chair et de ton sang, me nourrir de ton sang, dormir dans la chaude obscurité secrète de ton corps.»  Leur amour sera toujours mouvementé et passionné, et à chaque séparation ils s’écriront. Leurs lettres les plus fameuses, datant précisément de la période triestine du couple et échangées alors qu'il s'était rendu à Dublin, extrêmement crues et sensuelles, troubleront plus d'un lors de leur publication en 1975. Obcènes, dira-t-on. En juillet 2004 une de ces lettres fut achetée 240.000 livres sterling chez Shoteby's à Londres.  Mais aucun grand amour n'est total sans la passion de la chair, et le leur, s'il ne fut pas exempt de disputes et de cris, fut la passion d'une vie. La leur.

C’est à Trieste qu’il a terminé  Les Gens de Dublin, qu’il écrivit Les exilés et le petit poème en prose – posthume – Giacomo Joyce. Son amitié avec Italo Svevo a donné lieu à de nombreux échanges entre les deux hommes. Sa fréquentation de la société bourgeoise et juive de Trieste a aussi marqué sa vie ainsi que les contacts avec le socialisme.

Il déménagea souvent : Piazza Ponterosso, Via San Nicolo’ 30, Via Bonaccio 1, Via San Nicolo’ 32, Vi Santa Caterina 1, Via Vincenzo Scussa 8, Via Barriera Vecchia 32, Via Bramante 4, et enfin, en 1920, Via della Sanità. Et il fut un fidèle client d’osterie : Osteria della città di Parenzo, Ristorante Bonavia, Trattoria Viola, Ai tre pompieri, Ai due Dalmati, Ai due leoni, Andem de Nini, Andem da Pepi, etc…

A Trieste il a sa statue... et il est probable qu'il n'a pas vraiment quitté les osteries...

Suzanne DEJAER