Jean Godin des Odonais. Né à Saint-Amand-Motrond en juillet 1713. A l’âge de 22 ans, empli de tous les rêves d’aventures et découvertes qu’un jeune homme peut enserrer dans son cœur, il s’embarque à La Rochelle avec une modeste part dans une mission d’importance : il accompagne en tant que simple porte-chaîne son cousin germain, Louis Godin, fameux astronome dans l’expédition levée par le géographe Charles-Marie de la Condamine au Pérou pour mesurer l’arc du méridien terrestre. Car à l’époque, deux théories se font de l’ombre. Les Anglais, dont Newton, estiment que la terre est une sphère aplatie à ses pôles, tandis que les Français pensent qu’elle est, au contraire, allongée aux pôles.

Près d’un an plus tard il entre dans les bonnes grâces du vice-roi de la province d’Otavalo au Pérou (Riobamba dans les Andes, aujourd’hui en Equateur) et pose les yeux sur sa fille, une ravissante créole : Isabel de Casa Mayor, d’alors 13 ans qui venait de terminer son éducation au couvent. Elle est parfaitement éduquée, et parle couramment l’espagnol, le français et le quechua, sans compter un moyen de communication inca au moyen de lanières de couleurs et noeuds. Il pose les yeux, et lui prend le cœur puisqu’il l’épouse alors qu’elle a 14 ans.

En 1743 Jean repart avec Charles-Marie de la Condamine pour une nouvelle expédition qui s’en retourna finalement en France au bout de 8 ans. Deux des membres sont devenus fous, trois sont morts. Jean reste près de son épouse, qui perd trois enfants mais aussi toute sa dot dans les mains de cet époux qui hélàs est dangereusement aventureux en affaires. En 1748, à la mort de son propre père et marié depuis sept ans, il décide de rentrer en France, et s’en va seul vers Cayenne d’où il veut prendre les mesures nécessaires pour préparer le retour et aller rechercher son épouse après la naissance de leur quatrième enfant, dont elle est enceinte. Cependant, Français de peu d’importance, les autorités portugaises ou espagnoles lui refusent de retraverser leurs territoires pour aller la rechercher. Il est donc contraint de s’installer à Cayenne et d’envoyer maintes et maintes demandes à la France pour qu’on l’autorise à rejoindre Isabel, qui a mis au monde une fille robuste.

Un tiers de vie allait s’écouler avant qu’ils ne se revoient.

Alors que la variole vient d'emporter sa fille à l’âge de 18 ans et que plus rien ne la retient sur place, Isabel trouve que le temps est devenu long. Très très long. Amour ou autres raisons, elle a  41 ans et se met en route pour retrouver son époux dont elle ne connaît plus que l’écriture. L’équipée de ce périple est composée d’un médecin français et ses deux serviteurs, les deux frères d’Isabel et son neveu, de Joaquin le serviteur de confiance et trois servantes, ainsi que 31 porteurs. Ils s’embarquent sur le fleuve Amazone.

Mais la variole est en voyage elle-aussi. Les abords d’une petite ville amazonienne plongent les voyageurs dans la panique : tout le monde est touché par la maladie. Porteurs et guides s’enfuient. Quelques indiens acceptent de prendre le relais pendant un moment pour les abandonner à leur tour. Le médecin français s’offre donc de partir en avant en canoé avec Joaquin pour chercher des secours à la mission la plus proche, mais… ne revient pas. Pendant ce temps les autres succombent aux piqures d’insectes qui s’infectent, et Héloise, la dernière des servantes, s’avance dans l’épaisseur des arbres pendant la nuit pour ne jamais réapparaître. Seul, Joaquin revient et tente de les retrouver mais ne trouve que des cadavres disséminés car la troupe, ne voyant personne arriver, a cherché à continuer sa route en coupant par la forêt et ils sont tous morts de soif, faim et épuisement. Isabel, pourtant, a vu trop de morts, et n’est pas prête, elle. Elle est en crinolines, dentelles, ne s’est jamais vêtue seule ni n’a jamais préparé un repas. Poussée par la rage de vivre elle avance sans aucune idée de la direction à prendre, sans chaussures, les dentelles et soies lacérées et crasseuses, entourée de bêtes dangereuses et insectes, se nourrissant de fruits et d'œufs, « animée par son amour conjugal » affirmera l’époux très satisfait de cette image irrésistible qu’il offrira de lui plus tard. Elle parvient ainsi, seule, presque folle, à rejoindre en près de deux semaines une mission avec l’aide d’Indiens rencontrés le long d’un fleuve. Et une fois un peu remise – oh, cette femme est invincible, semble-t-il… - elle s’embarque pour Cayenne où, à Oyapock, elle retrouve son époux. Ils ont 20 ans de plus depuis leur dernier au revoir, alors qu’elle était enceinte de leur enfant.

En 1773 ils rentrent en France ensemble et s’installent dans la maison natale de l’époux, qui existe encore. Il reçoit une pension et se dédie à la création d’une grammaire et d’un vocabulaire de la langue Quechua,  écrivant aussi le périple de son épouse qui sera publié dès 1775.

Ils meurent tous les deux en 1792, lui en mars et elle en décembre…

 

                                                                         Suzanne Dejaer