En 1832 un ancien officier de l’armée napoléonienne originaire d’Autrey-lès-GrayStéphane Guénot, disciple du socialiste Charles Fourier, acheta des terres en friche ( « 12 lieues carrées » ) à Jicaltepec (qui signifie Terre d’argile) près de l’embouchure du Rio Nautla où il venait de s’installer, dans l’Etat de Vera Cruz et fonda la Compagnie Franco-Mexicaine avec des capitaux venus de Dijon et de Champlitte.  

Entre 1831 et 1861, Bourguigons et Chanitois (Franche-Comté) émigrèrent. Des familles entières de viticulteurs et paysans fuyant la pauvreté due à la médiocrité des récoltes après 6 années de gelées mémorables ainsi que le phylloxéra qui envahissait alors les vignes. Des maçons, charpentiers et tuiliers… Un premier convoi de 80 personnes arriva en septembre 1833, un autre de 124 le rejoignit au printemps 1835. La  traversée durait 4 mois, 4 mois de mer haute pour des gens qui ne connaissaient que le réconfort de la terre et des collines. 4 mois visités par le choléra, pour le premier convoi… 4 mois à se demander si la décision n’était pas qu’un chant des sirènes….

Rien, à l'arrivée, n’était prévu pour eux…  C'était leur survie qui était en jeu. Ils avaient faim, ne connaissaient pas les plantes locales ni la réaction de la terre, pas plus que celle des cieux.  Les moustiques voulaient leur peau et leur sang. Ils savaient qu’ils avaient apporté tous leurs espoirs avec eux et ne pouvaient faillir, ne pouvaient se permettre de mourir d’avoir trop espéré et pas assez lutté. Et d’erreur en erreur, de morts stupides en naissances prometteuses, de ventres creux en ventres presque contents, ils eurent la joie de voir leur colonie prendre son essor à partir de 1837 dans des effluves vanillées, car c’est sur la culture de la vanille qu’ils concentrèrent leurs efforts. La colonie comptait environ 40 familles. On ouvrit des routes, 3 lieues vers Nautla et 15 lieues vers Tlapacoyan. Environ dix ans après l’arrivée des deux premiers convois, 30 nouveaux colons arrivèrent et un comptoir commercial fut créé. On ajouta la culture du tabac et le commerce du sel à celui de la vanille, et jusqu’en 1861 la colonie française de Jicaltepec pouvait chanter en français lors des veillées et remercier Dieu pour sa prospérité. Les relations avec les Mexicains étaient bonnes et paisibles. L’emploi des patois de Franche-Comté et Bourgogne est très ancré, ainsi que la continuation des traditions. Combien de légendes locales furent-elles donc contées aux enfants lors des veillées sous un ciel si lointain et abritant des sons si différents que ceux que ces gens qui ne voulaient pas périr avaient salué d’un adieu bien lourd ?

On se demandera pourquoi la production du vin n'a pas été le premier choix. Des vignes européennes avaient été introduites dès 1593 et s'étaient bien adaptées. Mais l'Espagne ayant interdit la production de vin au Mexique pour protéger la production locale, beaucoup de vignes avaient été arrachées, sauf celles des missionnaires catholiques qui les gardaient pour leur usage. L'indépendance du Mexique en 1821 avait mis fin à l'interdiction mais le pays était dans le marasme complet et l'industrie chaotique. Une douzaine de cépages français furent introduits à la fin du XIXè siècle mais les troubles sociaux dans le pays ne permirent pas l'extension des plantations de vignes. Il faudra attendre 1940 pour qu'une vinification moderne n'émerge et se développe.

Et puis les vents changèrent. Les bons vents tombèrent et firent place à la fureur imprévisible de l’épreuve. Le fleuve se gonfla de colère et sortit de son lit dans une crue mémorable, anéantissant dix ans de travail et d’économie. L’année suivante c’est la peste noire qui déferla sur la communauté, emportant 300 vies. C’en était trop. En 1874 les premiers colons nés sur cette terre de promesses qui se retournait contre eux de façon si injuste décidèrent de l’abandonner.

Et là… les vents eurent pitié. C’était pour vous tester, expliquèrent-ils… et ils envoyèrent le sauveur, Rafael Martinez De La Torre, un avocat mexicain qui acheta des terres plus loin vers Nautla, et groupa les malheureux Français des deux côtés des rives de la rivière Filobobos.  La vie était belle à nouveau, l’espoir envoyait ses parfums de vanille et les enfants riaient. Des maisons aux tuiles semblables à celles de Bourgogne apparurent çà et là et au sel, tabac et vanille s’ajoutèrent la production bananière et l’élevage du bétail. Il y avait maintenant deux colonies, une qui conserva le nom initial de Jicaltepec, appartenant à des actionnaires dont la plupart n’étaient pas sur place, vraie communauté française non assujettie à une quelconque autorité mexicaine, administrée par les colons eux-mêmes et qui finit par disparaître parce que les jeunes la quittaient pour la seconde colonie sur l’autre rive du fleuve qui célébra son sauveur en devenant la colonie San Rafael dont les terres étaient plus riche et offrit bien vite une vie plus distrayante.

 

Parmi ces Mexicains n’ayant jamais quitté le Mexique, 130 noms français seraient encore en usage. Ils se marient entre eux, et leurs traits n’ont pas acquis les caractéristiques mexicaines. Les femmes passent l’usage du français aux générations suivantes, et le français est enseigné avec l’espagnol à l’école. C’est ainsi qu’un Mexicain arriva un jour de 1956 à Champlitte, pour marcher dans les traces de son grand-père. Et cet homme avait non seulement un nom bien français – Paul Capitaine – mais parle couramment le patois chanitois…. Là où meurent les traditions meurent aussi les légendes, et on a précieusement tout gardé en vie …

A San Rafael, bien des habitudes françaises perdurent, comme faire le fromage, le pain et le vin soi-même. En 1986, la ville s’est jumelée avec celle de Champlitte. Depuis que le Mexique a, en 2004, autorisé la double nationalité, beaucoup de ces familles descendantes ont repris la nationalité française.  Et la France… reste le pays d’origine, celui qui a semé les légendes, coutumes, courages et traits physiques de ces Français-Mexicains.

                                                                                                             Suzanne Dejaer


Et... on fait le pain "à la française"....