Pour autant, ils semblent contenus, sur une durée courte, et avec des effets humains très limités. Depuis 30 ans, la question des "quartiers difficiles" se traite par de la posture politique sans grands efforts d'analyse ou de diagnostic. Pas plus que les Kalachnikov, les quartiers ne sont pas des responsables de la violence et de l'insécurité. Ce sont les auteurs des faits qui assument, avec sans doute des circonstances atténuantes ou aggravantes, la responsabilité de leurs actes. Le cours des événements tel qu'il est connu en ce 15 août semble assez précis : un contrôle routier se transforme en confrontation et embrase un quartier populaire. Sont mis en cause l'agressivité supposée des policiers et l'incivilité du conducteur dans le contexte particulier d'une cérémonie funéraire apres le décès par accident de la route d'un jeune homme. Quelques jours auparavant, selon le maire socialiste, une agression avait été fomentée contre des pompiers en intervention. Dans ce cadre-là, pas de tutoiement, pas de contrôle d'identité, pas d'agressivité. Juste des sauveteurs agressés sans aucun émoi médiatique.

 

 

 

Car en fait c'est bien dans la mise en scène de l'insécurité réelle, que se trouvent des explications rarement utilisées par les tenants de deux intégrismes qui tentent de faire passer toute violence "urbaine" (le terme n'a pas grand sens, mais il est communément admis) pour soit une révolte sociale a motivations politiques (la politique par d'autres moyens comme aurait pu dire Clausewitz), soit pour des opérations purement criminelles sans aucune motivation sociale.

Il y a sans doute de la revendication politique dans les violences subies depuis 30 ans et dont les habitants des quartiers, parfois otages de leurs tours, sont les premieres victimes. Mais la dimension criminelle ne peut être ignorée ni contingentée à la seule Seine-Saint-Denis. Toute la problématique est inscrite dans la gestion bureaucratique de ce qu'on appelle la politique de la ville, si justement clouée au piloris il y a quelques semaines par le Cour des Comptes.

La gestion de la sécurité, partout, devrait se traiter dans un processus de type médical : diagnostic précis, pronostic discuté, thérapie adaptée. Bref le passage du prêt a porter au sur mesure. L'ebauche des Zones de Securite Prioritaires voulues par l'actuel Ministre de l'interieur Manuel Valls, pourrait peut être permettre de passer du commandement pyramidal depuis Paris à une forme de décentralisation efficace. A condition d'éviter les deux maladies de l'ancienne Police de proximité de 2000 : confusion dans les missions et précipitation dans l'installation. À condition de définir enfin des territoires cohérents (micro et macro), des missions précises (présence et ilotage, intervention et anticriminalité, renseignement opérationnel, maintien de l'ordre, procédures), des métiers reconnus, on pourra alors régler la question des effectifs et des moyens. Il faudra ensuite sans doute se reposer la question de l'utilité des contrôles d'identité et du rôle des Brigades Anti Criminalite (BAC). Puis de recaler avec les maillon suivants de la chaine pénale. Bref de faire ce que les autres pays, moins centralisés mais pas moins efficaces, ont entamé depuis 30 ans. Le temps que nous avons en grande partie perdu en faisant passer la théologie des postures politiques avant le pragmatisme.

 

                                                                  Alain BAUER, Professeur de criminologie au Conservatoire National des Arts et Métiers, New York et Beijing