C'est au mois d'avril, à l'occasion de travaux, que la présence de panneaux d'amiante en périphérie à tous les étages a été mise à jour. La direction des services compétents du conseil général soutient que le document diagnostic amiante obligatoire ne figure pas dans le dossier de l'acte de vente notarié signé le 22 juillet 2009.

Les conseillers généraux se sont réunis, vendredi. Ils ont autorisé le conseil général de l’Yonne à engager « une action en responsabilité civile afin d’assigner toute personne responsable dans la cause pour obtenir la prise en charge des travaux de désamiantage par le vendeur (Le Crédit Agricole : Ndlr) et le versement d’une indemnité pour préjudice de jouissance ».

Le dossier surgit comme une bombe. Ce conflit ouvert et public survient dans un contexte économique et social particulièrement tendu et contraint. Les marges budgétaires sont négatives et collectivités comme particuliers doivent réduire à coups de coupes claires dans les dépenses.

 

Photo Pierre Joly et Véra Cardot - 1970 (DR)

 

Le dossier étant à l'instruction et désormais du ressort de la justice, on peut comprendre que les deux parties ne souhaitent pas communiquer. Cela n'exonère pas de chercher à comprendre ce conflit d'autant qu'il met en jeu l'argent public et l'usage qui en est fait.  Le dossier soulève en effet plusieurs questions.

1/ Comment se pourrait-il que le document diagnostic amiante ne figure pas dans l'acte de vente en tant que pièce jointe obligatoire ? On a peine à croire que les trois parties (le notaire, le Crédit Agricole Champagne-Bourgogne et le conseil général de l'Yonne) aient fermé les yeux et encore moins "oublié" de faire figurer dans l'acte de vente ce  document légal obligatoire.

2/ Il paraît évident que le bâtiment futuriste conçu par le cabinet parisien Andrault et Parat dont Roland Jehl (regardez l'entretien vidéo en fin d'article ) était collaborateur et chargé, entre 1968  et 1970 d'en réaliser l'exécution, était tapissé d'amiante et que tout le monde le savait du fait des techniques de construction en vigueur à l'époque et de l'ignorance des effets néfastes pour la santé publique de ce matérieau. Alors pourquoi une telle évidence n'aurait-elle pas été détectée et dûment consignée dans le document en question ?

3/ On pourrait invoquer la date de l'acte de vente qui soustrairait les parties à l'obligation d'établir un document obligatoire amiante mais cela ne tient pas. La promesse de vente a été signée en septembre 2007 et l'acte de vente en juillet 2009. Le fameux document était donc d'actualité et obligatoire.

4/ Le délai de près de deux ans séparant le contrat d'engagement de vente et l'achat pourrait laisser supposer qu'il y aurait eu des négociations plus "globales " voire politiques, entre vendeur et acheteur. Dans cette hypothèse, sur quel périmètre et avec quels enjeux ? C'est Henri de Raincourt qui a signé cet acte. Pourquoi un tel "engagement" d'achat ? Le Crédit Agricole a-t-il fait un chantage à l'emploi ou à une délocalisation de ses bureaux ?

5/ Pourquoi le Crédit Agricole a-t-il construit un nouvel immeuble siège social en face (de l'autre côté de la route) de l'ancien à l'architecture moderne ? Parce qu'il était trop énergivore ? Parce qu'il symbolisait le plus gros crack bancaire en France au début des années 90 ? Patrice Bourbier, directeur général de la caisse du Crédit agricole de l'Yonne jusqu'en 1993, a investi dans la banque-industrie et la promotion immobilière en France et en Espagne. Montant total de ses pertes : 1,5 milliard de francs, soit un sinistre du type Crédit lyonnais. La Côte-d'Or a refusé de fusionner avec l'Yonne.

6/ Pourquoi le conseil général de l'Yonne a-t-il acheté l'ancien siège du Crédit Agricole après s'être engagé à le faire deux ans plus tôt ? Après celui de la Banque Populaire à Perrigny et les bâtiments de l'Hôtel de l'Europe situés près de la place du même nom ? Et pourquoi aurait-il acheté des bâtiments énergivores ou plutôt énergigouffre ? Oui pourquoi, sachant que le conseil général n'occupe qu'un seul (pôle patrimoine) des trois étages cubiques vitrés du boulevard de la Marne, le rez-de-chaussée étant mis à disposition des fédérations sportives dont le District de l'Yonne de football ?

7/ Enfin, comment se fait-il que les deux parties n'ont pas réussi à négocier leurs problèmes plutôt que d'ester en justice à grands frais d'avocat et d'experts ? Tous les juristes ou hommes de l'art vous diront que mieux vaut un mauvais accord que n'importe quel procès.

8/ Il reste une dernière hypothèse : celle d'un affranchissement des leaders politiques en place aujourd'hui, par rapport aux engagements-concessions "arrangements" de leurs prédécesseurs. Ainsi, le centriste André Villiers a succédé, le 31 mars 2011, à trois présidents de conseil général, Jean Chamant (1970-1992), Herni de Raincourt (1992-2008) et Jean-Marie Rolland (2008-2011) UMP, dans des conditions politiques étonnantes, la forte majorité de droite ayant préféré dégommer l'ex-député Jean-Marie Rolland. Du coup des hommes nouveaux sont apparus sur le devant de la scène dans l'Yonne aux postes de vice-présidents, des centristes.

André Villiers, suppléant au Sénat d'Henri de Raincourt, conseiller général de Vézelay, regarde les choses avec un oeil nouveau. A l'heure où les dossiers plus que sensibles viennent sur la table, cette action en justice apparaît à la fois comme un arrêt brutal et fort face à une forme de gabegie insupportable ainsi qu'au regard de pratiques de baronnies provinciales qui désormais ne devraient plus avoir cours.

La contre-attaque du conseil général de l'Yonne résonne comme un avertissement en ce sens permettant aussi de masquer quelques brûlots autour de cette boîte de Pandore (*). AUXERRE TV enquête et rendra compte.

Il reste un ultime scénario. Celui du gagne-terrain. Comme un gambit aux échecs, on sacrifie une pièce mineure dans la perspective de prendre une pièce majeure, un pion pour une reine ou un roi par exemple. Et si tout ce tintamarre n'était qu'effet d'annonce (technique très moderne et largement pratiquée) ? Autrement dit, et si le conseil général avait découvert de l'amiante non consignée dans le document, côté chaufferie par exemple, et cherche à en tirer parti pour impliquer et faire payer le Crédit Agricole ? Vous allez répondre que cela se joue à la marge et que cela se négocie. Comme le prix de vente des bâtiments du Crédit Agricole fixé à 4,7 millions d'euros et négocié à 4 millions. Par les temps qui courent, rien ne saurait être négligé. Alors banco ... ?

 

                                                                                                              P-J. G.

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(*) Dans la mythologie grecque, Prométhée vola le feu aux Dieux pour le donner aux hommes. Pour se venger, Zeus ordonna à Vulcain de créer une femme faite de terre et d’eau. Elle reçut des Dieux de nombreux dons : beauté, flatterie, amabilité, adresse, grâce, intelligence, mais aussi l’art de la tromperie et de la séduction. Ils lui donnèrent le nom de Pandore, qui en grec signifie "doté de tous les dons". Elle fut ensuite envoyée chez Prométhée. Epiméthée, le frère de celui-ci, se laissa séduire et finit par l’épouser. Le jour de leur mariage, on remit à Pandore une jarre dans laquelle se trouvaient tous les maux de l’humanité. On lui interdit de l’ouvrir. Par curiosité, elle ne respecta pas la condition et tous les maux s’évadèrent pour se répandre sur la Terre. Seul l’espérance resta au fond du récipient, ne permettant donc même pas aux hommes de supporter les malheurs qui s’abattaient sur eux. C’est à partir de ce mythe qu’est née l’expression "boîte de Pandore", qui symbolise la cause d’une catastrophe. L’origine de beaucoup de malheurs.

 


Les bâtiments que le conseil général de l'Yonne a rachetés pour 4 millions d'euros (4,7 et 4,5 selon les sources) au Crédit Agricole en juillet 2009. La banque a construit un nouveau siège social en face, de l'autre côté du boulevard de la Marne (DR)

 

Interview de Roland Jehl, l'architecte

L'homme de l'art a réalisé le bâtiment futuriste entre 1968 et 1970. Il confirme la présence massive d'amiante recommandée par les services de sécurité à l'époque. Il estime que le bâtiment est "une épave thermique" et qu'il aurait du être acheté pour le franc symbolique

 

L'interview de Henri de Raincourt :