Enfant du péché et du scandale, natif du signe de la balance qui connaîtra ce déconcertant « entre les deux mon cœur balance » car il hésite entre une vie d’action et d’aventure et… le séminaire. « Pessimisme et amour de la vie, c’est toute la pensée méditerranéenne », déclarait-il.

Sa maison Le clos du couvent, achetée aux enchères en 1978 et donc un peu par hasard, est devenue lieu de résidence pour écrivains et chercheurs. Un hasard bienheureux donc pour la culture en tout cas, puisque le Conseil Général  de l’Yonne l’a acquise dans ce but en 1999. Le département des manuscrits avait reçu de l’écrivain de nombreux ouvrages et ses archives personnelles. 

Etrange homme que ce « bâtard » pourtant enfant de l’amour qui commencera sa vie comme séminariste jusqu’à l’âge de 20 ans puis se dirigera avec le même mysticisme vers l’armée où il sera  officier tirailleur algérien. Il sentira l’appel de l’Armée de l’air en France avant la guerre puis combattra en Angleterre. C’est alors qu’il fera partie de ceux qui bombardent l’Allemagne en 44-45, et il en naîtra son livre La Vallée heureuse (1946), le nom par lequel les pilotes désignaient la vallée de la Ruhr. En 1953 il quittera l’armée dont il ne peut soutenir les méthodes durant la guerre d’Indochine qui le déchire : il y voit une belle croisade contre le communisme. Peu après, la guerre d’Algérie le bouleverse : il y est né, y a gardé des liens et ses souvenirs, et après la mort de son ami Albert Camus – avec lequel il a habité pendant un moment dans la Vallée de Chevreuse - il entreprend de dénoncer les actions véritables de l’armée contre ce pays. Son livre La guerre d’Algérie (1960) bouleverse la France.

C’est cette déception assumée qui fera de lui un écrivain.

Mal compris ou peu soucieux de l’être bien, il sera perçu comme distant, orgueilleux, trop entier. Avec une pointe de mépris. C’était un solitaire. Seules les femmes, peut-être, l’ont compris, ont ouvert son cœur et vu ce que les yeux ne pouvaient voir. Et il les a aimées.

Jules Roy (DR)



A Vézelay il devient familièrement Julius. Il écrit la dernière partie de son œuvre, au pied de la Basilique qu’il voit de la fenêtre de son cabinet de travail. C’est à son passé qu’il ne tourne pas le dos, le contemplant au contraire d’un regard pensif (Mémoires barbares, 1989 ; Adieu ma mère, adieu mon coeur, 1996, Journal I, II et III, 1997-1999) et méditateur (Vézelay ou l’amour fou, 1990. Rostropovitch, Gainsbourg et Dieu, 1991). Et puis c’est à Vézelay que, même s’il n’a pas trouvé la sérénité, elle l’a trouvé. Ainsi que Marie-Madeleine, pour laquelle il compose une Prière à Mademoiselle sainte Madeleine. et pour qui il admet sans doute être venu : « Qu’est-ce que je fais ici ? » « Oh ! Moi je sais. Je suis ici par amour pour la belle annonciatrice de la Résurrection. » Pour lui, Vézelay est la sainte de chair et la sainte est la basilique de pierre. La même sensualité les réunit. Son rêve s’est accompli : il est mort à Vézelay. C’est à l’ombre de la chevelure de la Magdaléenne, la belle amoureuse comme il l’appelait, qu’il repose dans le cimetière qui chuchote ses secrets à qui sait entendre…

 

22 octobre 1907, Rovigo, Algérie – 15 juin 2000, Vézelay.

 

                                                                               Suzanne Dejaer