Ne pas savoir est sans doute le pire, car ne pas savoir entretient le devoir sacré de ne pas renoncer à l’espoir et n’offre pas une vérité à laquelle faire face, même si elle n’est pas celle que l’on voulait. C’est  le pire, c’est une mort en suspens, ce sont des centaines et des milliers de nuits à affronter avec des questions qui galoperont au long des heures sombres et des centaines et milliers de jours à vivre malgré cette gigantesque chape d’incertitude.


Je ne pense pas que Julie ait cherché à disparaître. Elle aurait alors envoyé un dernier message destiné à se donner du temps, celui de s’éloigner. Et elle aurait emporté ses affaires, aurait au moins revendu sa voiture si elle ne voulait pas qu’on la retrouve à cause d’elle.

 

Mont Béas (1903m) et étang de Lers vus depuis la route du port de Lers. Photo Anthospace. Source: Wikipédia


Elle est partie seule, dans ce paysage à recoins et histoires. Elle a peut-être souri à l’évocation de la femme du Vicdessos, cette folle aux ours que l’on a ramenée de force à la « civilisation », la privant de ses amis les ours…  Elle voulait se promener seule, respirer fort l’air frais de la montagne, voir ça et là les robustes petits chevaux de Mérens, et ne pas avoir d’horaires ou d’emploi du temps. Un contact avec elle-même.


Mais l’aventure de Julie a tourné à la mésaventure. Elle a pu faire une chute, évidemment. C’est banal et n’arrive pas qu’aux autres. Traverser un torrent et se tordre une cheville, glisser, se cogner la tête. Mais alors comment ne la retrouve-t-on pas ? Marcheuse occasionnelle elle n’a pas dû beaucoup s'éloigner des sentiers ou chemins - si elle l'a fait. On l’a recherchée. Certainement on a utilisé des chiens. Qui n’ont rien senti. Les busards se voient aussi. De loin.

 

Port de l'hers - photo Anthospace. Source: Wikipédia


Elle a aussi pu être abordée par quelqu’un. Il  y a d’autres marcheurs à la recherche de la solitude. Ou de la vulnérable solitude des autres. Il y a aussi, sans les viser, les membres des communautés hippies et baba-cool du coin. Une communauté, même marginale, peut être paisible et accueillante, mais aucune communauté au monde ne peut se vanter de ne pas abriter une dangereuse différence occationnelle.

 

Sait-on ce qui libère l’agressivité des gens lorsqu’ils sont sans autre témoin que celui ou celle qui leur fait face ? On peut se faire tuer pour rien ou presque. Comme s’il ne s’agissait, en effet, que d’un accident : tiens elle est jolie ta montre, je peux la voir de plus près ? Tu veux bien l’enlever pour que je la regarde ? Et si le regard, en face, de confiant se teinte brusquement de prudence, que la voix change et que l’on recule de quelques pas, exsudant l’affolement, tout bascule. Quoi ? Tu crois que je veux te la voler ta stupide montre de riche ? Tu n’as pas confiance ? Hein ? Tu n’as pas confiance ? Et soudain le monde change de couleur. La réaction de peur engendre une colère volcanique, nourrie de toutes les méfiances lues dans d’autres regards au fil d'une vie, senties dans d’autres voix. On peut tuer rien que pour sortir de ces réminiscences, de cette prise de conscience insupportable. Rien que pour ça.


Il ne faut jamais penser qu’il faut une raison, une bonne raison. Il faut surtout espérer ne pas rencontrer ceux qui ont ce détonateur en eux.


Il reste l’espoir – que l’on peut encore garder sans le qualifier de fol – qu’elle est retenue contre son gré quelque part. Un quelque part où elle a pu se rendre, enthousiaste et curieuse, après avoir rencontré des gens qui lui plaisaient, pour voir… et dont elle ne sait repartir. Là aussi, les raisons de séquestrer quelqu’un peuvent être  nombreuses même si nous les trouverions absurdes… selon nos critères.


Aux Etats-Unis il est arrivé plusieurs fois que de jeunes hikeuses soient enlevées par des hommes « des bois », retournés à la nature, qui tout simplement ont eu besoin d’une femme. On ne courtise pas, dans ces milieux, aucune vie sociale n’est organisée et les femmes ne survivent pas longtemps. Il en faut et on les prend quand elles passent. Et on ne pense pas vraiment « mal faire » puisqu’on … « prendra soin d’elles ».


Julie de Juillet, j’espère qu’on saura ce qui t’est arrivé, qu’on te trouvera. Vivante si tu as pu survivre corps et âme. Ta famille a besoin d’être au complet. Ta famille a besoin de rire de soulagement ou de verser des larmes affolées pour se faire à ton sort. Mais l’incertitude est la pire des épreuves.


Julie, dis-nous donc ce qui t’est arrivé !

                                                                                                     Suzanne Dejaer

 

En savoir plus : mais que cherchait Julie dans l'Ariège ?