Oltre il muro, Filippo Palizzi, 1865

 

Ne t’approche pas du mur et ne te salis pas, a recommandé mamma avec un peu d’impatience. Et fais attention à l’ourlet de ta jupe… C’est qu’Ottavia est encore habitée des impulsions de l’enfance, et n’a, de la femme, que quelques apparences. Elle n’a pu résister à trottiner au fond du jardin, sans ses nouvelles chaussures, car ses pieds de cabri tolèrent mal la discipline des jolies bottines de chevreau, si souples pourtant mais oh combien fragiles. Elles dénoncent le moindre pas dans l’herbe, le moindre caillou impertinent, et même les larmes n’y ont aucune discrétion.

 

Sur la pointe de ce pied sûr et cambré, elle se hisse et,  les mains ouvertes derrière son dos jeune et souple, comme pour se saisir l’une l’autre si la tentation de s’agripper au mur chaud et moussu venait, elle observe la route de terre qui serpente vers le pic où elle se dresse.

 

C’est là en bas, derrière le mur de la ferme du vieil Ezio qu’elle commencera à le voir. A partir de là, elle suivra toute son avancée, même s’il sera hors de sa vue sous la charmille sèche dont il ne reste que quelques mètres, puis quand il passera derrière la roche à la source, et encore quand il franchira le petit pont de rondins que l’on ne peut voir d’où elle est.

 

Ses cheveux blonds comme le cuivre fatigué des casseroles sont rassemblés en chignon. C’est afin que tu sois plus « donna » pour la visite de ton promis, a dit mamma en le tordant du même geste que celui qu’elle a pour pétrir et ployer la pâte, un mouvement du poignet si tendre et ample qu’il ressemble à une caresse. Oh elle le sait, que c’est pour insuffler un tout petit peu de femme en elle, effacer la petite fille qu’elle nie s’y trouver à l’aube de ses 16 ans. La brise printanière souffle sur sa nuque offerte. Le bout de ses orteils frôle les fleurettes déjà bien ouvertes, qui libèrent leur senteur sauvage.  

 

Il arrive. Elle ne l’entend pas encore siffler, mais à son attitude elle sait que c’est ce qu’il fait. Il a un long pas un peu chaloupé malgré la montée. Il a enlevé sa veste qu’il tient sur l’épaule, et porte un paquet à la main. Peut-être un châle pour elle ? Ou un morceau de marcassin, puisqu’il est allé à la chasse sur les terres paternelles il y a peu ? Ou de ce pain aux olives que l’on fait dans sa vallée ?

  

Tu es amoureuse, se moque souvent Isabella, sa petite sœur. Elle rougit et se fâche. Elle pleure même, parfois, et mamma la réprimande pour ces enfantillages.  Elle ne sait pas si elle est amoureuse, ni ce que ça veut dire. Elle sait que c’est bon que quelqu’un se réjouisse de la voir une fois par mois, complimente la saveur de la polenta qu’elle a faite, la serre contre lui avec une vibration dans le corps qu’elle sent courir comme une peur. Peut-être, oui, est-elle amoureuse.

 

Il a passé le petit pont de rondin maintenant, et s’essuie le front. Oui, il siffle. Encore dix minutes et il sera arrivé. Ottavia sourit, saute en bas de la pierre et sent sous la plante de ses pieds l’herbe si chaude qu’elle en paraît vivante. Elle vérifie avec attention toute trace de terre sèche ou de brindille sur sa mise, frotte fièrement ses paumes clac clac clac, et c’est en sautillant comme pour jouer à la marelle qu’elle se dirige vers la maison d’où la voix maternelle retentit avec impatience  : Ottavia… mais où t’es-tu encore fourrée ?

 

 

                                                                                          Suzanne DEJAER