AUXERRETV a rencontré Daniel LORROT, présidente de Yonne Alzheimer ainsi que le Dr Joël LAPORTE, partie prenante du projet, qui a signé une préface que nous publions ci-dessous.

Interviews

 



 

 

Ce livre est un document remarquable, clair et précis, une aide à la réflexion, à la décision et surtout à la compréhension des diverses facettes d'une maladie qui fragilise l'autonomie de penser et d'agir. Il n'y a pas de recettes non plus que de certitudes. C'est ce qui fait sa richesse et la qualité de l'écoute, de l'accompagnement pour maintenir le lien humain jusqu'au bout.
La maladie d'Alzheimer déconcerte, déroute et déboussole les proches comme les professionnels qui ne savent plus, parfois, comment penser ni quoi faire.

 

 

 

Dr Joël Laporte, psychiatre, psychothérapeute, gérontopsychiatre (DR)

 

 

La préface du DR Joël LAPORTE, psychiatre, psychothérapeute, gérontopsychiatre

 

PENSEES POUR UNE MEMOIRE DE L’ETHIQUE EN ALZHEIMER

 

De qui parle-t-on ?

De personnes présentant une maladie d’Alzheimer mais aussi de nombreuses pathologies apparentées − démence vasculaire, démence mixte, démence fronto temporale, démence à corps de Levy, etc. – qui renvoient, par-delà leurs spécificités symptomatologiques et évolutives au même questionnement éthique.

De personnes qui ne se résument pas à des lésions anatomiques cérébrales et à des dérégulations neurobiochimiques et qui s’inscrivent dans différentes dimensions, certes organiques, mais aussi psychiques, systémiques, societales, entraînant des liens de causalité complexes dans les troubles présentés et les évolutions.

Des personnes singulières dans leur histoire de vie, leur statut évolutif précoce ou tardif, avec en permanence des strates d’humanité.

 

Pourquoi l’éthique ?

Le pourquoi était suffisant pour que, pendant plus de neuf ans, des rencontres régulières de personnes engagées dans le prendre soin de « l’être Alzheimer » se pérennisent. Plusieurs dimensions donnent force et densité à ce pourquoi. La volonté d’affirmation de la persistance du sujet en tant qu’être humain alors que l’être doué de raison vacille, le rappel de la permanence de l’être humain en toutes circonstances, même les plus altérées, dans la quête et le partage de sens, le désir de chercher les voies d’une cohérence, d’une continuité, d’une anticipation tout au long de la vie, émaillée de crises difficiles, parfois douloureuses et pour le patient et pour l’entourage. Le souhait de trouver à travers l’éthique une boussole dans les situations difficiles et un cadre de soutien dans les situations de conflit. Transcender les conflits de valeurs qui existent toujours et au nom desquelles les positions rigides sont les plus tenaces, résoudre ces mêmes conflits à travers l’engagement d’une responsabilité d’autant plus consciente qu’elle a été élaborée, parlée et écrite en commun. Les systèmes défensifs de chacun en situation de rencontre et d’accompagnement échappent souvent à la conscience des interlocuteurs de la personne démente, portés par leur personnalité et leur identité de fonction : enfant, conjoint, ami, soignant, administratif, militant, politique …  

Quels grands principes d’éthique ?

Nous allons rappeler les grands principes éthiques qui apparaissent prévaloir et  préciser également les nuances que le regard sur la personne qui vit « en Alzheimer » impose.

Le principe d’humanité et de dignité

Le principe d’humanité est inséparable du principe de dignité. Toute personne quels que soient son état, son histoire, sa situation, a une qualité « d’être humain » qui la fait appartenir à la communauté. Cette dignité essentielle de la personne est qualitative, et ne peut faire l’objet d’aucune quantification, ni comparaison, ni commerce.  Quel prisme de valeurs aux motivations pour le moins complexes, autorise les bien penseurs du mourir dans la dignité à désigner ceux à même d’y accéder ?

Ce principe universel doit  également être pensé dans l’histoire et l’identité singulière de chacun. Il est primordial de prendre en considération les éléments constitutifs de la personnalité des sujets telles qu’elle a été et telle qu’elle se laisse encore entrevoir. Il s’agit d’affirmer la permanence identitaire à rechercher dans une histoire de vie et à recueillir auprès des proches, mais aussi dans l’écoute attentive du passé conjugué au présent qui infiltre les discours difficilement audibles au fil des évolutions. Ils méritent notre attention et notre respect pour ce qu’ils sont aujourd’hui, dans la continuité de ce qu’ils ont été.

Le principe de solidarité

Le principe de solidarité rappelle les responsabilités collectives pour une aide mutuelle à celui qui est atteint par les aléas de la vie. Il permet de créer le lien social là où les actions volontaires et réfléchies ont pour but de corriger les inégalités de nature. Dans notre société moderne des plus ambivalentes, les personnes sans utilité sociale et non rentables économiquement sont à haut risque d’être sacrifiées sur l’autel de la performance, de la compétitivité, de la rationalité, du libéralisme économique. Hannah Arendt, dans Les Origines du totalitarisme, nous met en garde : « Si nous nous obstinons à concevoir notre monde en termes utilitaires, des masses de gens seront constamment réduites à devenir superflues. »

Le principe d’équité et de justice

Le principe d’équité et de justice recouvre la reconnaissance et  le respect des  droits de chacun. Cela renvoie à l’accès aux soins et au traitement requis quels que soient les statuts physiques, psychiques ou économiques, sans discrimination. Une extrême vigilance par rapport à « l’âgisme  1 »  s’impose. Dans le mauvais vent sociétal actuel, prendre garde aux situations d’abandon et d’exclusion des soins, sous le prétexte de l’acharnement thérapeutique prohibé devient de plus en plus essentiel, tout comme veiller à prévenir le syndrome de l’abandon, avec son corollaire, le glissement, entraînant une euthanasie psychique avant la mort physiologique. La présence et la sollicitude de l’autre, des autres, sont d’autant plus vitales lorsque la maladie évolue, que les objets rassurants et structurants qui ont construit la personne et lui donnaient force se sont absentés de sa mémoire, de ses représentations, de son langage. Faute d’appui interne, sa vie dépend des personnes externes qui l’investissent.

Le principe d’autonomie

Le principe d’autonomie nous questionne sur le fait de demeurer attentif à la vie psychique ; quand bien même son expression est de plus en plus difficile à entendre et à comprendre, dans l’avancée de la maladie. Savoir  rester au plus près de la perception et de la valorisation des moyens restants, toujours disponible pour l’accompagnement. Ne pas disqualifier les paroles, même si les désirs et les pensées se mettent mal en mots.  Être à l’écoute sans tomber dans le piège de l’interprétation collective qui parle de nos propres désirs et de nos projections. Voici ce à quoi il faut rester attentif.

Reprenons ce que dit Paul Ricœur : l’éthique a « le souhait de soins des autres » et va chercher «  le meilleur bien » pour chacun des protagonistes de la vie « en Alzheimer » . C’est parfois, comme le souligne Emmanuel Hirsch « une démarche de résistance ». C’est une démarche d’humilité, de reconnaissance et d’acceptation d’une certaine impuissance. Accepter le vieillissement, la maladie et la mort, accepter cet autre qui sera peut-être probablement moi, ne pas tomber dans l’autruicide 3. Rester humain jusqu’au bout de nous même sans fuir les rencontres qui peuvent montrer de la voie de notre possible devenir, ou une main tendue ou un regard chargé d’affection sera fraternellement salutaire.

L’accompagnement nécessite un savoir partager les défenses de chacun, sans oublier la souffrance mais également un savoir se souvenir que la vie en Alzheimer continue aussi d’être régie par le principe de plaisir, bien qu'entravée par des moyens de réalisation et d’expression de plus en plus défaillants, sources de frustrations partagées et d’expressions complexes à décrypter.

 

DR Joël LAPORTE

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1. Âgisme : terme créé par le gérontologue Roland Butler en 1969, faisant référence aux discriminations touchant les personnes âgées, la culture occidentale valorisant les aspects de productivité, de force et de beauté, propres à la jeunesse. Cette notion fut développée en 2009 par Boudjemani et Cana qui la définirent comme le mécanisme psychosocial engendré par la perception, consciente ou non, de qualités intrinsèques d’un individu ou d’un groupe en lien avec son âge. Le processus qui le sous-tend s’opère de manière implicite et/ou explicite et s’exprime de manière individuelle ou collective, par l’entremise de comportements discriminatoires, de stéréotypes et de préjugés pouvant être positifs mais plus généralement négatifs.

2. Objet : renvoi dans une perspective psychanalytique aux personnes et choses investies.

3. Autruicide : concept développé par Jean Maisondieu : pour se débarrasser de l’autre dont la présence indispose, il n’est pas nécessaire de le tuer. Il suffit de nier son humanité en ne le reconnaissant pas comme semblable. Cette dérive fait plus que guetter les personnes atteintes d’Alzheimer ou apparentées.

 

Dr Joël Laporte, psychiatre, psychothérapeute, gérontopsychiatre (DR)

 

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Démarche éthique et maladie d'Alzheimer : une boussole dans les situations difficiles, édité par France Alzheimer 89, 38 rue des Mésanges 89470 MONÉTEAU. 10 euros.

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