Entre la séance publique et la séance à huis clos trois mois plus tard, le dossier repoussé a été adopté de justesse (DR)

 

L'affaire est forcément passée inaperçue puisque la décision a été prise à huis clos en commission permamente, vendredi 11 septembre. À une courte majorité, 12 ont voté contre dont le LR Jean-Baptiste Lemoyne ex-président déchu de Domanys tandis que nombre de conseillers se sont abstenus dont le président de Domanys, Patrick Gendraud, 1er vice-président du conseil départemental et maire de Chablis...  (sera-t-il sanctionné Ndlr ?).

Rappelons que l'opposition départementale est composée de 6 élus sur 42.

Le dossier avait été présenté en séance publique au mois de juin. Il avait fait l'objet d'un débat et avait été repoussé par un vote qui a mis le président André Villiers en minorité, pour la première fois.

Pas pour longtemps. Fallait-il que ce soit important. L'affaire s'est donc réglée en coulisses en toute discrétion et le dossier est passé à huis clos en commission permanente, de justesse. Pas une ligne dans le communiqué de presse émis par le cabinet du président, d'une sobriété stalinienne.

 De quoi s'agit-il ?

Le conseil départemental a été saisi d'une demande en provenance de la mairie de Villeblevin et de son maire Marc Leruse, qui a prévu dans le budget 2015 la revente du bâtiment de l'ancienne épicerie récemment acquise ainsi qu'un autre immeuble situé rue du Four, la maison Loiseau, à la société Mon logis - 64 Millions d’€ de chiffre d’affaires en 2014 (groupe Plurial) -, implantée dans l'Aube. Cette dernière doit démolir les bâtiments afin de construire 13 appartements.

 

Le loup dans la bergerie ?

 

Or, pour que l'opération puisse se concrétiser, la caution du conseil départemental de l'Yonne était demandée à hauteur de 20% du montant estimé de l'investissement, soit près de 1,4 millions d'euros. Pourquoi ? Alors que Mon Logis affiche une santé financière qui la met à l'abri ?

Lors du premier débat en séance publique au mois de juin, des observations avaient été formulées par un certain nombre de conseillers départementaux, tant de l'opposition que de la majorité.

Pour faire court, l'argument principal était de savoir si on n'introduisait pas le loup dans la bergerie de Domanys, premier bailleur social de l'Yonne, en favorisant objectivement les intérêts d'une autre société, privée par surcroît, qui caresse de nombreux projets dans l'Yonne où elle étend son marché avec des ambitions notamment à Saint-Georges-sur-Baulche et Monéteau ?

Une concurrence aux bailleurs sociaux de l'Yonne en difficulté (Domanys office public, Brennus habitat SA, la CIMAD Joigny Hlm SA, l'Office Auxerrois de l'Habitat office public, Val d'Yonne SA, Yonne Habitation une filiale absorbée par Domanys au mois de juin) ;  avec un taux de vacance en augmentation, un taux de recouvrement de loyers en baisse, et des logements moins adaptés aux besoins modernes. D'un mot plus on construit, plus on vide.

Or Domanys est le bras armé du conseil départemental qui le contrôle de A à Z. Le président est statutairement un élu départemental ainsi qu'une bonne partie du conseil d'administration et comme si cela n'était pas suffisant, nombre d'administrateurs sont désignés par le conseil départemental qui dépendent de satellites du conseil départemental, par exemple l'ADILY (information logement).

On connaît les difficultés de Domanys qui a accusé un déficit de 32 millions d'euros, en voie de résorption, dans le cadre d'un plan strict de sauvegarde encadré par les instances nationales compétentes dans ce domaine. Le conseil départemental avait sauvé une première fois le soldat Alain Drouhin, vice-président UDI du conseil départemental et surtout président de Domanys aux grandes ambitions politiques (députation et sénatoriales, aujourd'hui, régionales), en apportant 5 millions d'euros d'argent frais pour éviter le dépôt de bilan.

 

Plus on construit et plus on vide

 

Les 32 millions de déficit avaient été notamment creusés par l'achat intempestif aux maires de l'Yonne de terrains au-dessus du prix du marché et parfois dans des conditions très contestables, comme en atteste un rapport, qui pointe de nombreuses "irrégularités".

En 130 pages, les inspecteurs de la Mission interministérielle du logement social (Miilos) décortiquent la dérive financière de Domanys, qui aurait pu se solder par la cessation de paiement du principal bailleur social de l’Yonne, en 2011.

La politique d’acquisitions foncières entre 2007 et 2011, jugée « trop ambitieuse, mal conduite et très onéreuse, a contribué à l’aggravation de la situation financière de l’organisme, Domanys n’hésitant pas à s’affranchir de l’avis de France Domaine », déplore la Miilos.

Première balle dans le pied, la démission contrainte d'Alain Drouhin de la présidence du premier bailleur social de l'Yonne en mai 2014, qui n'en a sans doute pas fini d'être rattrapé par Domanys, qui aura marqué comme une tache la carrière de l'ancien secrétaire général de la mairie d'Auxerre et chef de cabinet du ministre Jean-Pierre Soisson.

Deuxième balle dans le pied, la mise à l'écart de son successeur, le jeune sénateur LR Jean-Baptiste Lemoyne, au printemps dernier, après que ce dernier élu au coeur de la crise de Domanys, a accepté une présidence dont personne ne voulait, considérée comme un bâton merdeux, et contribué à redresser la situation, surtout à ramener une certaine sérennité au sein du personnel de l'établissement qui a vécu l'enfer sur le plan humain, pendant des mois.

Pourquoi cette mise à l'écart ? Parce que Jean-Baptiste Lemoyne s'est présenté à la présidence de l'assemblée départementale. Il a été battu par André Villiers qui a bénéficié des voix centristes (UDI) et d'une partie des voix Les républicains et divers droite poussées par l'autre LR Guillaume Larrivé député et ex-président démissionnaire de l'UMP 89 à peine élu, soit 24 donc trois voix de majorité sur 42. Et surtout parce que Lemoyne avec 10 autres conseillers départementaux de la majorité départementale, s'est abstenu sur le budget 2015, opposé à la hausse des impôts. Il a payé comptant le manque de solidarité qui lui est reproché par l'exécutif départemental, qui exige que les troupes filent droit, la main sur la couture du pantalon ou de la jupe, le cabinet se chargeant des rappels à l'ordre.

 

Un système politique à bout de souffle

 

En accompagnant une société privée concurrente de Domanys, qui a coûté cher aux contribuables Icaunais, le conseil départemental ne se tire-t-il pas une troisième balle dans le pied ?  Alors qu'il faut accompagner Domanys dans son opération sauvetage et son retour aux équilibres utiles d'ici quelques années ?

Enfin deux autres questions de fond : pourquoi le dossier qui avait été repoussé en séance publique a-t-il été adopté en commission permanente à huis clos ? Quels sont les arguments nouveaux présentés pour faire évoluer les choses ? S'ils étaient opposables aux tiers, pourquoi ne pas les avoir fournis en séance publique ? Quel est le sens de cette caution privée ? Que signifie-t-elle ?

Il est dommage que cette question n'a pas été traitée en séance publique par souci de cohérence, de respect du débat public et de la transparence due aux citoyens.

Cet exemple illustre parfaitement tout ce dont les Icaunais ne veulent plus.

Le contexte est bien connu : le système politique classique est à bien des égards à bout de souffle, et ses acteurs largement disqualifiés, tandis que le Front national semble devoir prospèrer et que l’abstention est l’horizon de bien des électeurs pour qui aucune offre politique ne semble plus satisfaisante.

Le conseil départemental de l'Yonne ne donne pas l'exemple, force est de le constater. Qu'est devenu l'André Villiers sans étiquette du début des années 90, le jeune élu marquant sa différence au sein d'une assemblée verrouillée ? Qu'est devenu le Villiers de l'appel de Germigny ? N'était-ce qu'un effet de scène circonstanciel ? Ou un coup de bluff ? On a peine à y croire pour qui croit connaître l'homme.

Ce n'est en tout cas pas en s'arrangeant pour écarter la presse et par conséquence les citoyens du débat public, que le conseil départemental de l'Yonne fera avancer le schmilblick et accessoirement l'intérêt public qui justifie son existence et ses missions.

Le Sénonais Philippe Serré LR (ex-PR aujourd'hui Les républicains) avait exhorté André Villiers, au jour de sa réélection, à devenir le président réformateur, plutôt que le président de la conservation. Décryptage : la poursuite des petits arrangements entre amis et le saupoudrage clientéliste.

Le message de l'avocat n'était-il qu'un effet de manche ...? Ou s'est-il perdu dans les ténèbres ? Lui-même n'aurait-il pas retourné sa veste en prônant le cautionnement ? Oui mais par solidarité, exceptionnellement, avec ses collègues élus du canton Dominique Sineau et Grégory Dorte. Humain.

 

Pierre-Jules GAYE