"Chacun le constate, chacun le ressent, nous arrivons au terme d’un cycle, à la fin d’une histoire. En France, comme dans l’Yonne. La fuite en avant des quarante dernières années n’est financièrement plus tenable et le redressement des comptes publics est devenu une impérieuse nécessité.

La fin de la fuite en avant budgétaire, une réorganisation des rôles, sur fond de montée du FN.

On peut, à loisir, critiquer ce Gouvernement. On ne pourra pas lui enlever une chose : s’être attaqué, frontalement, aux déficits de la Nation. Nous avons vécu au-dessus de nos moyens pendant des décennies, nous avons vécu à crédit et l’heure est venue de rembourser, sauf à ce que la véritable souveraineté de notre pays se trouve définitivement entre les mains de quelques banquiers, qui ont, comme chacun le sait, l’intérêt général comme seule ligne d’horizon. On peut légitimement s’interroger sur les choix qui ont été faits pour s’attaquer à la dette nationale, et notamment se demander si chacun prend sa juste part au désendettement. J’en doute moi-même, mais ce n’est pas là le sujet du moment ; ce débat viendra.

Les collectivités locales ont été rudement mises à contribution dans cet effort national. Elles ont (trop vite ? trop fort ?) été priées d’apprendre à vivre plus chichement. Pour les « aider » à prioriser leurs choix, la loi NOTRe, portant Nouvelle Organisation Territoriale de la République, a redéfini le « qui fait quoi en priorité ». Finis les départements et les régions qui interviennent en finançant tous les sujets. Départements et régions ont perdu leur « clause de compétence générale » et ces collectivités vont devoir se spécialiser. Seule la commune garde ce pouvoir, ce droit d’intervenir sur tous les sujets, comme bon lui semble, si tant est qu’elle en ait les moyens.

En parallèle de ce mouvement, il serait une faute de ne pas prendre conscience de la montée du Front National, notamment dans nos zones rurales. Et il constituerait une plus grande faute encore de ne même pas tenter d’identifier les causes de cette progression, du rejet. Il y a manifestement quelque chose qui ne se passe pas bien dans notre pays, des citoyens qui ne s’y retrouvent plus, qui doutent et qui désormais ont décidé de le faire savoir, scrutin après scrutin, de plus en plus massivement, et de plus en plus ouvertement.

Baisse des moyens publics, réorganisation territoriale, montée du Front National : face à ces mutations et bouleversements, il y a deux façons de réagir : de façon offensive ou de façon défensive.

 

Face à ce nouveau contexte, on peut adopter une posture défensive, ou offensive et réfléchir à une autre méthode de travail.

Etre défensif, c’est ce que l’on fait dans l’Yonne, c’est le discours ambiant, convenu. Haro sur l’Etat ! L’Etat qui se désengage, l’Etat qui n’est plus au rendez-vous, l’Etat qui nous refuse de tout faire comme avant. C’est ça. Faisons l’autruche, faisons comme si l’Etat avait encore des caisses pleines, et hurlons tous ensemble, faisons huer l’Etat dans toutes nos cérémonies de vœux et commençons à murmurer cette petite musique qui laisserait entendre qu’au gré d’un changement de majorité nationale, les collectivités retrouveraient leurs moyens. Faisons comme si les scores du FN dans notre département n’avaient aucun rapport avec les politiques développées dans l’Yonne, ou celles qui justement ne sont pas développées, faisons comme si les scores du FN n’étaient QUE de la faute des Gouvernements qui se succèdent. C’est pratique, c’est facile, ça permet de dévier le regard des observateurs, et ça permet de surtout ne pas se remettre en cause, nous, ici, dans l’Yonne. Au passage, ceux qui s’adonnent à ce petit jeu dangereux prennent surtout les gens pour des imbéciles car je me permets, au passage, de rappeler qu’aux 50 milliards d’économies réalisés par la majorité actuelle, Les Républicains estiment, eux, que 100 milliards auraient été mieux. Cette stratégie du « c’est la faute à l’Etat » est celle du Président du Département de l’Yonne. Elle est mortifère.

 

On peut aussi passer à l’offensive. Cela veut dire quoi, concrètement ? Cela veut dire intégrer, durablement, définitivement, qu’il faut travailler autrement, que l’organisation territoriale de ces 40 dernières années ne peut plus perdurer, et qu’il faut la repenser.

L’Yonne est un exemple flagrant d’organisation « à l’ancienne ». Dans l’Yonne, ça se passe comment ?  Pour reprendre la formule que j’ai utilisée lors du débat d’orientations budgétaires, « chacun court dans son couloir ».

 

Deux exemples flagrants de mauvaise coordination

 

Prenons deux exemples très concrets pour que chacune et chacun comprenne bien comment ça se passe dans l’Yonne, sur deux sujets majeurs : l’aménagement sanitaire du territoire (la présence de médecins) et l’aménagement numérique du territoire, (le très haut débit).

Sur le sujet des médecins, le constat est connu et partagé : la difficulté d’accès aux médecins spécialistes s’est étendue aux généralistes. Comment, face à cette pénurie, qui concerne l’un des droits les plus élémentaires, celui d’être soigné, s’organise, dans l’Yonne, la réponse publique ? En ordre dispersé ! Chacun tente quelque chose dans son coin, avec des succès réels et d’autres plus difficiles. Ici une Maison de santé, là une maison des internes, là encore une contractualisation avec SOS-médecins, etc… Quel est le rôle du département ? Un simple rôle de guichet.

Quand un maire, ou un président d’intercommunalité se lance, par exemple, dans l’aventure d’une maison de santé, il constitue un dossier de demande de subvention au département, qui l’accorde. 30 minutes d’instruction du dossier, 10 minutes pour un passage en commission, 10 minutes pour prendre la décision en Assemblée, 2 minutes pour exécuter le mandat. Voilà la seule action, minimaliste, du département, qui permet au Président d’afficher devant les élus et les citoyens de l’Yonne qu’il se préoccupe de l’aménagement sanitaire du territoire en inscrivant à son bilan la création d’une maison de santé. En attendant, tout le boulot a été fait par la mairie ou l’intercommunalité, de l’achat du foncier à l’érection du bâtiment, en passant par la recherche du ou des professionnels qui s’y implanteront.

Mais on pourrait aussi travailler autrement. Le président du département pourrait prendre l’initiative d’une réunion qui associerait les présidents d’intercommunalité, le directeur de l’ARS, le vice-président « santé » de la région, les directeurs de nos hôpitaux, les représentants des médecins libéraux, les représentants de structures comme SOS-médecins. On pourrait, fort des connaissances de l’ARS, déployer une carte de l’Yonne, pointer où sont les dentistes, les gynécologues, les ophtalmologistes et les généralistes. Se pencher sur la pyramide des âges de ces praticiens. Partager le constat que, au-delà de l’immobilier, du bâti, le vrai problème réside dans l’attractivité de l’Yonne, du regard que posent les jeunes médecins sur nos zones rurales. Et ainsi, on pourrait bâtir une stratégie départementale en répondant à des questions simples : « où sont les zones défavorisées », « où sont les zones qui ne le sont pas encore mais le deviendront quand les praticiens partiront en retraite », « quelles sont les communes ou intercommunalités qui ont des projets imminents ou à venir ».

On pourrait bâtir une stratégie globale, départementale, pour rendre la pratique de la médecine dans l’Yonne attractive : avoir une action volontariste auprès des libéraux en les incitant à devenir maîtres de stages (quand un interne passe 6 mois en stage auprès d’un médecin dans l’Yonne, ca lui permet aussi de démystifier l’image personnelle qu’il peut avoir de la pratique de la médecine en zone rurale), avoir une action volontariste auprès des hôpitaux de l’Yonne pour que, eux aussi, s’engagent à accueillir plus de stagiaires en étudiant de près les conditions dans lesquelles ils seront accueillis.

On pourrait bâtir une stratégie offensive de communication auprès des facultés de médecine, ou même avant auprès des élèves de Terminale Scientifique de l’Yonne qui ont fait savoir dans leurs vœux qu’ils visaient une fac de médecine... On pourrait, d’ailleurs, proposer à ces étudiants un pacte : le département finance vos études (logement, bourses…) contre un engagement réciproque de s’installer sur le territoire pour 3 ou 5 ans. On pourrait, d’ailleurs, se saisir du plan de Marisol Touraine qui, même si à mes yeux cela n’est pas suffisant, a créé ce genre de dispositifs incitatifs.

Ce type de rencontre n’a jamais eu lieu depuis que je suis président de communauté de communes, c’est-à-dire depuis 2008. Le département est passif, quand je le rêve actif, attendant que des projets pensés, portés, par les communes et intercommunalités voient le jour. On perd en efficacité ! Chacun peut bien comprendre que se pointer à la sortie d’un amphithéâtre de médecine à Dijon ou à Paris, en disant à des étudiants « Joigny vous propose des stages à travers son hôpital ou son réseau de médecins volontaires pour vous accueillir , mais aussi des facilités de logement et  un accès à ses structures culturelles et sportives» aura, de toute façon, moins de poids que de dire « l’Yonne se mobilise ». C’est un problème d’échelle.

Le contre-exemple est ce qui s’est passé pour le déploiement du Très Haut Débit. Là (et ça n’a pas été une partie de plaisir), le département a pris la main, fait son plan de développement (dans la douleur) et, tout seul, a arbitré le rythme de déploiement dans l’Yonne. Puis, chaque président d’intercommunalité a été rencontré et on lui a dit : « Voici ce que le département a décidé pour votre territoire, que ce soit en déploiement de la fibre ou en montée en débit. Il vous en coutera x centaines de milliers d’euros. Merci de nous faire savoir au plus vite si vous suivez, ou pas ».

Je précise d’ailleurs, au passage, que ce sont des techniciens du département qui ont été dépêchés auprès des présidents d’intercommunalités, pas des élus. Or, moi, je ne discute j’ai pour principe de discuter « technique » avec des fonctionnaires, pas « stratégie », domaine qui appartient aux élus, qui ont été mandatés pour ça. Du coup, jamais les présidents d’intercommunalités, bien qu’appelés à financer très largement, n’ont été associés à la stratégie. On leur a imposé un schéma, c’était à prendre ou à laisser. Ca a provoqué quoi ? Que des intercommunalités qui n’avaient même pas la compétence « Très Haut Débit » ont été priées de la prendre dare-dare, quitte à brusquer les conseils communautaires, que ca a percuté des budgets d’intercommunalités qui, pour certains sont déjà serrés, quitte à remettre en cause d’autres priorités, etc….

Là-aussi, une autre méthode aurait été possible : on réunit tout le monde, Etat et région compris, on discute et on cale tous ensemble la stratégie de tout le département. Et on répond à des questions simples : « toi, dans ton interco, tu as la compétence ? Tu peux mobiliser des moyens financiers ? Tout de suite ou dans quelques années ? Tu préfères de la fibre ou de la montée en débit ? Si uu préfères de la fibre à de la montée en débit, es-tu sûr de pouvoir suivre financièrement ? » et on se serait aperçu que certaines intercommunalités, parce que c’était une priorité politique de leur mandat, parce que sur leur territoire la situation était pire qu’ailleurs, auraient pu aller plus vite, ou auraient pu mobiliser des moyens supplémentaires par rapport à ce qui leur a été proposé, etc…

Sans même parler du fait qu’il aurait été possible de présenter d’autres solutions, beaucoup moins coûteuses et tout aussi performantes,  de privés non-lucratifs comme les solutions que proposent l’association PC-Light que Thierry Corniot, président de la communauté de communes de Seignelay-Brienon et moi avons testées sur nos territoires, avec succès. Qui peut croire qu’il n’aurait pas été utile pour tout le monde que Thierry et moi puissions faire à nos collègues présidents d’intercommunalités un retour d’expérience, sur une action utile au territoire et beaucoup moins onéreuse que les décisions qui ont été prises unilatéralement par le département ?

Je soumets au débat public icaunais une nouvelle méthode de travail

Le problème dans l’Yonne, c’est qu’on ne se parle pas. Comme avant, chacun court dans son couloir, avec son programme à lui, sans se soucier si ses propres rencontrent les priorités des voisins.

C’est une nouvelle méthode de travail qu’il faut initier. C’est pourquoi, lors du débat d’orientations budgétaires, et après presque un an « d’observation » de la machine départementale que m’a permise mon élection de conseiller départemental en mars 2015, j’ai proposé la mise en place d’une conférence DEPARTEMENTALE de l’action publique, à l’image de ce que la loi Notre a institué au niveau régional, instance dans laquelle je représente d’ailleurs les présidents d’intercommunalités de l’Yonne. Une instance informelle, sans moyens propres évidemment, qui réunirait régulièrement (tous les mois ?), sous la présidence d’André Villiers, tous les présidents d’intercommunalités, les représentants de l’association des maires de l’Yonne, les services de l’Etat et de la région quand le sujet examiné rend leur présence pertinente.  

Et pourquoi pas les parlementaires que de telles réunions permettraient assurément de « nourrir » dans leur travail législatif. On y prendrait les dossiers les uns après les autres : la santé, la mobilité, l’habitat, l’emploi, les transports, la formation, la préservation de l’environnement… et on recueillerait les avis : «  Sur tel sujet, as-tu des besoins dans ton intercommunalité ? Si oui, as-tu des projets ? Est-ce que cela rencontre une volonté parallèle exprimée par l’Europe, par l’Etat, par la région, par le département ? Et donc qui peut être mobilisé pour le tour de table financier ? ». Cela aurait aussi le mérite de s’assurer que tous les règlements d’intervention du département entrent bien en résonance avec les besoins des territoires…

Cette nouvelle organisation permettrait que tous les niveaux de collectivités partagent leur connaissances, les technicités et expertises de leurs agents sur des sujets particuliers. Il n’est évidemment pas question d’une quelconque tutelle d’une collectivité sur une autre ; ce serait d’ailleurs contraire à la Constitution. Mais avec ce nouvel espace de dialogue, on mutualiserait, on rationaliserait. Cela permettrait d’être certain que les deniers publics, à l’heure où ils se raréfient, seraient bien utilisés, au service de priorités avérées et de projets partagés.

On finirait peut-être par se rendre compte que, en fait, on est tous dans l’Yonne, peu ou prou concernés par les mêmes problématiques et qu’on a plutôt intérêt à unir nos forces pour réussir. Et on se sentirait un peu moins isolés, chacun sur son territoire, face aux réponses à y apporter. On gagnerait du temps grâce au retour d’expériences (« face a à telle problématique, j’ai essayé ça, mais franchement, avec le recul et l’expérience, je ne m’y serais pas pris comme ça et je te conseille plutôt d’aborder ce dossier sous tel angle»). On pourrait profiter de ces réunions pour auditionner les « sachants » : le président de la chambre d’agriculture, de commerce et d’industrie, etc….  On pourrait partager nos problématiques, comprendre les problématiques des uns et autres, et par ce dialogue, on pourrait espérer sortir de ces postures ridicules qui ont cours depuis plusieurs années dans l’Yonne et qui conduisent, ce n’est qu’un exemple, à opposer le monde urbain et le monde rural.

Et il y a urgence à se parler, car il y a des sujets brûlants à traiter. Pour ne prendre que deux exemples, les situations respectives de Yonne Art Vivant et de Yonne en Scène, dont chacun doit avoir conscience qu’elles sont en grande précarité, nécessitent que l’on se parle, entre maires, présidents d’intercommunalités et président du département. Il faut que l’on réinterroge les projets mêmes de ces structures et, dès lors que les objectifs seront partagés, il faudra définir une nouvelle clef de répartition de la charge financière afférente. Si on ne le fait pas, j’ai bien peur que tout s’écroule, au plus grand damne du territoire et des habitants, sans parler même des salariés de ces structures qui sont en première ligne.

Cette nouvelle façon de s’organiser, de dialoguer, de travailler ensemble, à travers cette conférence départementale de l’action publique (CDAP) que j’appelle de mes vœux, nécessite deux choses : de la responsabilité, et de la confiance.

On en est capable.

Dans le nord de l’Yonne, avec des années de retard sur la Puisaye, on l’a montré au sein du PETR : avec Henri de Raincourt et les présidents des intercommunalités, on a su dépasser les clivages, bâtir les compromis, se parler, dialoguer, partager des constats, projeter des solutions, pour parvenir à un projet de territoire adopté à l’unanimité des 130 communes. C’est à l’échelle du département qu’il faut désormais s’organiser autrement. C’est, à mes yeux, la seule façon de réussir face aux immenses enjeux de société qui se présentent à nous, spécifiquement dans l’Yonne. Soit on se montre collectivement à la hauteur, soit on reste dans des postures et des pratiques d’un autre temps au risque de voir le territoire s’enfoncer.

 

Joigny, le 25 janvier 2016,

 

Nicolas SORET,

Conseiller départemental de l’Yonne

Président de la Communauté de Communes du Jovinien.