La Brasserie de Vézelay un bâtiment construit par la SEM Yonne Équipement et loué par un bail de 20 ans à l'exploitant de la brasserie. Ce dernier, en conflit avec la SEM, ne payait plus ses loyers et a été expulsé par un jugement du tribunal de grande instance d'Auxerre en mai 2015. Placé en observation par le tribunal de commerce en juillet 2015 (2 x 6 mois et 6 mois de plus si le procureur le décide en juillet 2016), il attaque la SEM Yonne Équipement en justice (DR)

 

Le conflit opposant, depuis deux ans, la Brasserie de Vézelay à la SEM (société d'économie mixte) l'Yonne Équipement, a pris une dimension spectaculaire, qui semble bien dépasser les lois classiques du genre.

L'entreprise du sud de l'Yonne qui a obtenu des aides diverses à hauteur de 390 000 euros, en demande davantage auprès de l'organisme qui lui a permis de s'installer en lui édifiant un bâtiment adossé à un bail de 10 ans avec promesse de vente au bout de 6 ans.

L'affaire étant désormais dans les mains de la justice, AUXERRE TV a enquêté sur les systèmes d'aides divers aux entreprises start-up et leurs conséquences, dont les modalités d'application sont au coeur du conflit.

"J'ai demandé que toutes les aides soient données à l'entrepreneur ..." a écrit François Patriat, à l'époque président du conseil régional de Bourgogne. Pour sûr qu'il en a donné, ça oui.

Nous avons ainsi pénétré dans un univers insoupçonné dans une économie dite libérale où les lois du marché et de la libre concurrence sont censées régner. AUXERRE TV s'est concentré sur la réalité des chiffres. Et non sur les déclarations des uns et des autres. Comment avons-nous procédé ?

Le dirigeant de l'entreprise sait auprès de qui il a contractualisé subventions et aides diverses et combien il a obtenu. On le retrouve dans le plan de financement initial. Pour ce qui est des subventions et aides attribuées par le conseil régional de Bourgogne ou le conseil départemental  de l'Yonne - compétents jusqu'en 2017 selon le postulat de la loi NoTRE - on peut aisément les trouver grâce à un travail de fourmi, dans les délibérations votées et portées à la connaissance du public.

C'est plus compliqué pour les organismes qui sont au coeur de la gestion d'entreprise comme par exemple les prêts accordés par la BPI (banque publique d'investissement), les dégrèvements sociaux et / ou fiscaux accordés par le Fisc, les crédits d'impôts etc.

Les conclusions sont édifiantes.

 

Le plafond légal des aides crevé

 

La Brasserie de Vézelay a déposé 8 dossiers de demande d'aides entre 2011 et 2014 au conseil régional de Bourgogne.

Deux prêts d'honneur.

L'un auprès du réseau "Bourgogne Entreprendre" en 2011, pour une somme de 25 000 euros sur 5 ans à 0 %.
Modalité d'attribution (critères et mode de calcul qui permettent de calculer le montant) : justification d'un prêt bancaire de 200 000 euros et 20 000 euros d'apport personnel.
Et l'autre auprès de APH 89  dispositif d'aide à la création (Yonne Active Création qui détient les fonds pour le conseil régional et le conseil départemental) en 2011 : 23 000 euros sur 5 ans.
Modalité d'attribution : prêt de 500 000 euros et apport personnel de 150 000 euros.

Quatre aides financières ont en outre été accordées pour le projet de la Brasserie de Vézelay.

- Un contrat de croissance création en 2011 auprès du conseil régional de Bourgogne sous la forme d'un prêt de 100 000 euros.
Modatliés : pour un capital à 100
000 euros ,  un compte courant associé de 50 000 euros, sur 3 ans et un prêt bancaire de 400 000 euros .

- Un contrat de croissance matériel en 2011 contracté avec le conseil régional de Bourgogne soit une subvention cash de 100 000 euros.
Modalités : sur 508 180 euros HT de matériel pour la chaîne de production ultra-moderne.

Un contrat de croissance immobilier - bâtiment industriel - en 2011.

Une subvention du conseil régional de Bourgogne de 80 000 euros attribuée via Yonne Équipement.
Une subvention du conseil départemental de l'Yonne de 60 000 euros attribuée via Yonne Équipement.

-
Une subvention de 3 840 euros sur une dépense de 4 800 euros HT acquise auprès du Conseil expert spécial en 2012 du conseil régional de Bourgogne.

- Contribution à du financement de stand sur des salons de type salon de l'agriculture (la liste est longue même si les montants sont moindres et restent à être confirmés). Un système qui fonctionne par l'entremise de la chambre de métiers, chambre d'agriculture et chambre de commerce et d'industrie qui prennent 50% des charges en mutualisant le coût des stands.

Comme qui peut le plus peut le moins, deux autres dispositifs d'aides ont été sollicités par la Brasserie de Vézelay qui n'ont pas, cette fois, abouti.

- Aide à l'implantation du 29/11/11 : déclaré non éligible
- Aide au développement économique à l'international de 2014 : demande restée sans suite.

Si l'on fait le compte, le total des aides (directes et indirectes) au sens de la définition comptable de la communauté européenne - prêts et subventions - connues à ce jour,  s'élève à 391 840 euros, soit un dépassement de près de 200 000 euros des aides possibles légalement. Et encore s'agit-il de l'hypothèse la plus basse. Ce n'est pas exhaustif, d'autres types d'aides sont, peut-être, à estimer.

Les comptes 2015 de la Brasserie de Vézelay annoncent un chiffre d'affaires de 650 000 euros, soit 150 000 euros de chiffre d'affaires supplémentaires. Il reste qu'il ne représente que  50 % du prévisionnel annoncé en 2011, avec une perte de 40 000 euros en 2015 et un total cumulé de pertes de 270 000 euros sur les quatre années d'existence de l'entreprise. La société n''est donc toujours pas bénéficiaire.
Une augmentation de capital de 200 000 euros a été nécessaire, il y a un mois, pour permettre à l'entreprise de rester en plan sauvegarde et lui éviter le redressement judiciaire.

Il s'agit de la "1ère start up" de production de bière recapitalisée à hauteur d'environ 400 000 euros sur les 3 dernières année, par des bienfaiteurs qui semblent être des défiscalisateurs, qui sont toujours  minoritaires en participation au capital. Capital de départ 114 000 euros. Ils devaient devenir majoritaires. Or il n'en est rien.

 

Concurrence faussée


Si l'on regarde l'activité créée avec ces aides, entre autres, à la Brasserie de Vézelay, on observe, aujourd'hui, un nombre d'emplois en CDI, contrat à durée indéterminée, qui s'élève à 3 salariés dont le dirigeant.

Si l'on sait que le plafond légal des aides par emploi créé, autorisé par la législation de la Communauté européenne, s'élève à 1 800 euros, force est de déduire que les aides en question ne sauraient être liées ou motivées par la création d'emploi. Car si l'on applique le ratio total des aides/emplois créés en CDI serait grosso modo de 130 000 euros par emploi créé, une somme hors de proportion. Alors quel est le critère ...?

Plusieurs règlements encadrent l'octroi des aides publiques et certains nécessitent des explications. Il est important de rappeler que c'est à l'entreprise de savoir quand elle risque de dépasser le plafond établi à ce jour à 200 000 €. (Dispositif Européen "Deminimis").
La règle de minimis prévoit qu'une même entreprise ne peut recevoir que 200 000 € d'aides dites de minimis sur une période de 3 exercices fiscaux.
Sous le vocable aides publiques, on entend subvention, avance remboursable (prêt), crédit d'Impôt, intervention BPI etc.

Mais pourquoi un plafonnement ?

L'objectif prioritaire de cette réglementation est de vérifier que les ressources publiques ne menacent pas de fausser la concurrence ce qui est un principe interdit par le traité de fonctionnement de l'Union Européenne. Le cumul des aides perçues par une entreprise doit toujours rester inférieur à 200 000 € sur une période de 3 ans. L'aide qui aboutirait au dépassement de ce plafond ne pourra pas être considérée comme autorisée et ne sera pas accordée et/ ou devrait être restituée.

Ce fut le cas  pour une entreprise de Saint-Fargeau, voilà un peu plus de quinze ans. Elle a dû restituer la somme de 150 000 francs attribuées sous forme d'aides.

En dehors du dirigeant de la Brasserie de Vézelay qui a sollicité ces aides en pleine conscience des montants octroyés, seule l'administration fiscale pourrait faire le bilan précis de la situation sur une période de trois exercices fiscaux. Mais cela n'est pas sûr car dans le maquis juridico-technocratique, il pourrait exister une prescription de 5 ans pour l'octroi des aides publiques sans compter les lissages, actualisations, bonifications et autres ajustements.

Cela dit, il est important de rappeler que c'est à l'entreprise de savoir quand elle risque de dépasser ce plafond de 200 000 €.

 

La brasserie de Vézelay,

un gros coup de coeur


 
Au-delà du dossier spécifique et du coup de loupe, on est en droit de s'interroger sur la raison pour laquelle la Brasserie de Vézelay a obtenu de tels soutiens divers (aides publiques, prêts, appuis, relais etc.) dépassant les limites réglementaires européennes. Il s'agit certes d'une création d'entreprise et non d'une reprise qui n'aurait pas donné droit aux mêmes types d'aide. La Brasserie de Sens Larche (*) qui emploie 8 personnes et marche bien, a reçu les aides classiques (54 800
€ sur une période de 8 ans) sans commune mesure avec les sommes citées plus haut.

Elles sont 32 brasseries en Bourgogne dont 3 dans l'Yonne, 5 dans la Nièvre, 11 en Saône-et-Loire et 12 en Côte d'Or.

C'est quasiment une filière. D'après notre enquête, le conseil régional de Bourgogne n'a pas mis en place une politique de filière dans ce domaine, qui pourrait présenter un début de justification à la situation préférentielle de la Brasserie de Vézelay.

La Brasserie de Vézelay semble avoir bénéficié d'un gros coup de coeur. Les qualités de persuasion de son dirigeant, ancien cadre supérieur d'un groupe multinational n'y sont sans doute pas étrangères. Non plus que le projet proprement dit. Dans une filière où la marge nette moyenne est de 70% du prix de vente pour une bière artisanale, l'eau et le houblon ne coûtant pas grand chose. Et puis il y a le site situé dans un espace territorial fiscal privilégié par la loi dans le cadre de la politique de revitalisation des territoires ruraux. Alors pourquoi la Brasserie, dans ces conditions, n'est-elle pas bénéficiaire et ne réalise que 50% du montant du chiffre d'affaires prévu ?

De vraies questions cependant se posent. Quels seraient les indicateurs qui permettraient de valider la réalité des aides
cumulées attribuées  ?

Y a-t-il "des dispositifs exceptionnels" pour les brasseries en Bourgogne dans le cadre d'une création de filière émergente car 32 acteurs sont concernés ?

Qui est en mesure de valider l'équité de traitement entre ces 32 fabricants de bière de Bourgogne au regard des emplois créés, des investissements réalisés, des chiffres d'affaires et des résultats bénéficiaires obtenus ?

Quels organes d'évaluation et indicateurs sont prescrits pour le respect des engagements contractés lors de l'octroi des aides publiques  ?

Quelles contreparties sont en droit d'attendre les financeurs publics (emploi, investissement) ?

Quelle conséquence en cas de dépassement du plafond légal qui fausse la concurrence bourguignonne et combien ont obtenu les autres brasseries ?

Le dirigeant du Vézelienne pourra pas se placer en victime sur ce sujet.

 

Pierre-Jules GAYE

(avec S.D.)

 

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(*)  La brasserie de Sens Larcher a bénéficié d’un prêt Yonne Active à le reprise de l’entreprise en 2005, ceci à hauteur de 20 000 €. Par ailleurs, le conseil général de l’Yonne lui a prêté en 2007 15 500 € dans le cadre d’un investissement sur la chaine d’embouteillage, et pour finir, la brasserie de Sens Larcher a bénéficié d’un prêt / contrat de développement à l’Artisanat du conseil régional, ceci pour 18 900 € en 2013, pour l’acquisition d’un nouveau fermenteur. Le cumul de ces prêts (54 400 € au total sur une période de 8 ans) n’a pas grand-chose à voir avec les sommes évoqués dans l’article.

 

Différentes qualités de bière bio (DR)

 

La brasserie de Vézelay est située à Saint-Père-sous-Vézelay (DR)

 

Une chaîne de production ultra-moderne que peuvent envier nombre de vignerons (DR)