L'annonce hier par SFR de la filialisation d'Altice Media Group et celle du lancement d'un service SFR Presse soulèvent des questions de trois ordres : conflits d’intérêt, risque d'atteinte à la concurrence, possible instrumentalisation fiscale.

Un groupe de médias contrôlé par un opérateur de télécommunications : des conflits d’intérêts en série
Comment les éditeurs du groupe (Libération, L'Express, L'Expansion, L'Étudiant, etc.), qui répondront légitimement à leur actionnaire, pourront-ils gérer les multiples conflits d’intérêt créés par cette situation ? Notamment quant à leur rôle de définition des lignes éditoriales ? Le projet de SFR soulève des questions déontologiques qui auront des répercussions sur l'ensemble du secteur.
Les 150 éditeurs indépendants membres du Spiil sont convaincus que l’indépendance des éditeurs de presse à l’égard de tout intérêt extérieur aux médias est la clé du développement pérenne du secteur. La presse a besoin de groupes de médias forts, entièrement concentrés sur le développement et la rentabilité de leurs activités de médias. Seuls des actionnaires dont les intérêts dépendent de ces objectifs seront à même de jouer pleinement leur rôle et d’investir en vue de cette rentabilité.

Une intégration verticale créant un sérieux risque concurrentiel
La convergence entre les « contenus » et les « contenants » — et la mise sous tutelle des premiers par les seconds — posent des questions sur le maintien d'une concurrence équitable au sein du secteur :

Les médias du groupe Altice seront-ils proposés dans les mêmes conditions à d’autres kiosques qui n’appartiennent pas à leur groupe ?

Dans quels délais et à quelle conditions de rémunération l’offre SFR Presse sera-t-elle ouverte à d’autres médias que ceux du groupe Altice ?

La liberté de distribution et l’égalité de traitement des différents titres, qui sont au fondement de la politique publique de régulation et d'appui à la diffusion de la presse écrite, sont menacées par un tel schéma.

La possible instrumentalisation du taux de TVA réduit de la presse
Les abonnés de SFR bénéficieront bientôt d'une application SFR Presse donnant accès aux titres d'Altice Media Group. Le montant total de leur facture restera inchangé car le prix de l'option sera compensé par une remise appliquée sur l'abonnement SFR et sur l'option. L'entreprise réalisera néanmoins une économie sur ses reversements de TVA à l'État, la partie de la facture portant sur SFR Presse étant assujettie au taux super-réduit (2,1%) dont bénéficie la presse au lieu du taux normal (20%).
Quelle sera la part du prix de l'offre SFR Presse qui reviendra effectivement aux médias ainsi distribués ? Dans le cas où cette part serait inférieure aux standards du marché, il s'agirait d'une instrumentalisation préoccupante de la TVA réduite de la presse.
Ce taux réduit tire sa légitimité du rôle constitutionnellement reconnu de la presse pour permettre aux citoyens d'accéder à l'information nécessaire à la formation de leurs opinions. Le Spiil s'est battu pour qu'il bénéficie à la presse en ligne autant qu'à la presse imprimée. Cet avantage ne saurait être utilisé à des fins d'optimisation fiscale sans attenter à sa légitimité.

Le Spiil appelle à une véritable prise de conscience politique des problèmes sérieux posés par cette intégration verticale, qu’ils soient d’ordre déontologiques, concurrentiels ou fiscaux.

 

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(*) Créé en octobre 2009, le Syndicat de la presse indépendante d'information en ligne (Spiil) réunit 150 éditeurs indépendants représentant 180 titres de presse.

Ses objectifs sont de :
• Promouvoir une presse indépendante et de qualité sur Internet.
• Défendre un cadre juridique et réglementaire qui permette un réel développement économique de la presse en ligne, et assure sa pérennité.
• Participer activement au renforcement d'un métier en pleine évolution.

Contact
Jean-Christophe Boulanger, président du Spiil
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