Dans les autres on met tout ce qui n’est pas nous autres.  Les autres couleurs, croyances, régimes alimentaires, origine sociale, politique ou géographique, tout ce qu’on veut.

Les  autres nous font souvent rire. A leurs dépens naturellement… Les Belges sont bêtes et lents (et disent que les Français sont de grandes gueules). Les Ecossais et les Hollandais sont radins. Les Portoricains jouent du couteau en singlet et dansent bien la salsa, en singlet aussi. Les carabinieri, pour tout Italien qui a son répertoire d’humour, sont une source inépuisable de bêtise – trop amusante pour être vraie. Les politiciens se remplissent les poches, les rois aussi, ainsi que celles de leurs enfants. Les Américains sont de grands enfants (mais je n’irais pas jusqu’à dire que la vérité sort de leur bouche). Les Amérindiens sont de nobles sauvages qui philosophent comme nous parlons du temps qu’il fait, les Rroms sont sales et voleurs et jettent des sorts en prime, les Suédois sont tous nus partout. Les Suisses sont lents et méthodiques comme des métronomes… J’allais oublier les gays, qui jouent des hanches et ont la bouche en cœur en permanence.

Et les descriptions types des autres sont sans fin.

Qu’on ne nous accuse pas d’amalgamer. Nous ne le faisons pas. Nous caricaturons.

Nous avons tous des autres que nous connaissons et aimons, avec qui nous travaillons ou vivons en aussi bonne harmonie qu’avec ceux qui font partie du groupe des « nous autres ». L’ami belge, l’Italien charmant chez qui on achète l’exquise buffala, le dentiste vietnamien qui rit tout le temps…La moquerie généraliste et bêbête dont je parle n’est rien d’autre qu’un désir de se tenir à l’écart, qui nous est naturel, aussi ancien sans doute que lors des premiers campements autour d’un feu crépitant dans une nuit peuplée des menaces des autres.

On connaît les anciennes bagarres de quartiers, ou entre les villages, quand tout le monde ou presque pourtant était des « nous autres » comme nous. Et finalement, les chefs de ces petites tribus veillaient au grain : inutile de disperser les familles, les biens, les femmes, et de se compliquer la vie avec des gens qui ne sont pas comme nous – des autres. C’est naturel et instinctif.

Ce qui ne l’est pas, c’est de ne pas arriver à se comporter civilement avec les autres, ce qui permet de réaliser qu’ils ne sont pas si autres que ça. Et même… qu’il y a possibilité d’avoir un échange d’idées très intéressant. Et culturel. L’apport d’autres cultures est un bénéfice, un enrichissement.

Qui n’a pas dansé une danse du ventre avec des Marocaines amusées, ou fumé un narguilé, ou mangé une moambe dans un restaurant zaïrois, apprécié la fraicheur des babouches de cuir en comparaison avec les charentaises de notre enfance, admiré le verser du thé à la menthe par une main experte et haut-perchée, regardé le cuisinier japonais du sushi bar jouer avec ses couteaux comme une majorette avec ses bâtons, appris les pas d’une danse amérindienne ou simplement dansé un sirtaki mal fichu dans un restaurant grec, n’a aucune idée de la joie qui se cache dans ces petites choses que nous révèlent les autres. Joie qui nous pénètre et nous unit dans ces partages à l’apparence futile mais essentiels.

C’est ainsi que lentement on accepte de goûter la cuisine d’un autre, on va même chez lui si l’occasion se présente, on l’apprivoise et se laisse apprivoiser. On donne ses filles aux autres, avec l’inquiétude qui va de pair : « femmes et boeufs de ta région » comme dit un dicton italien. On accepte leurs garçons. On leur confie le bonheur d’une des siens. Le bon sens et la coutume font les barrières derrière lesquelles on peut dire qu’on n’a pris aucun risque. L’affection, l’amour, l’amitié et l’intelligence entrouvrent ces barrières. Et nous en sommes tous capables.

Aussi quand on nous dit « pas d’amalgames, pas d’amalgames », c’est assumer que nous sommes idiots, dépourvus de cœur et de goût de la vie. Aucun d’entre nous, suite aux évènements tragiques qui se succèdent actuellement, ne fait réellement d’amalgame. Nous continuons d’avoir des amis, parents, voisins, commerçants préférés, professeurs, médecins, coiffeurs, teinturiers, gardiens de musée, cuisiniers etc… faisant partie de ces autres. Et nous les aimons. Les estimons.

Nous pouvons, sans amalgamer, dire que les mauvais sont mauvais, un tueur fanatique est mauvais chez les autres et chez nous, et nous pouvons le dire. Le dire, d’ailleurs… permet de ne pas faire d’amalgame : nous pouvons accepter l’idée que chez les autres aussi, il y a des brebis galeuses, et nous unir, eux et nous, pour les éradiquer.

 

                                                                                               Suzanne DEJAER