Une tête de Breton contre une tête de Morvandiau, que peut-il en sortir ...? Pas un combat de cerfs ni de bouquetins (DR)

 

 

L'ancien troisième ligne de la banlieue Rennaise n'a plus vraiment le gabarit non plus que la ligne. Mais Jean-Christophe Moraud n'a rien perdu des vertus du rugby, à la mêlée ou au large. Il devait exceller dans les rucks et le grattage.

André Villiers, l'arrière droit footeux avallonnais à la longue carrière qui se poursuit sporadiquement une ou deux fois l'an sur les terrains lors de matches de gala, est plus spécialisé à un poste et à un périmètre de terrain, disons un petit pré carré d'où il s'échappait parfois pour aller voir ce qui se passait devant en y portant le danger.

En fait les deux hommes ne jouent pas le même jeu et n'évoluent pas dans la même catégorie. S'ils ont le goût du sport donc de la bagarre en commun, tout les oppose comme tout peut opposer le rugby et le football.

On ne se demande pas qui a le bon rôle, les vertus et valeurs rugbiystiques ayant une côte nettement supérieure à celle du football si l'on se fie aux investisseurs du CAC 40 qui misent gros dans l'ovalie et rien dans le football qui doit compter avec les investisseurs étrangers.

Que dit le poète ? Que dit l'écrivain ?

« Ce que je sais de la morale, c’est au football que je le dois… »

Le 23 octobre 1957, au Parc des Princes, le Racing Club de Paris reçoit Monaco sous les caméras des “Actualités françaises”. Suite à une frappe d’un joueur monégasque et d’une erreur du gardien parisien, la balle finit au fond des filets. Le reporter se tourne alors vers un spectateur debout en imper-cravate qui n’est autre qu’Albert Camus, 44 ans, tout juste auréolé de son prix Nobel. Les malheurs du goal du Racing reçoivent l’indulgence de l’écrivain :Il ne faut pas l’accabler. C’est quand on est au milieu des bois que l’on s’aperçoit que c’est difficile”.

 

Deux philosophies

 

Ce qui différencie en réalité, Moraud de Villiers, c'est non seulement l'exercice de leurs missions respectives, qui sont très différentes, mais une philosophie de la vie.

Après de premiers accrocs à qui joue à intimider l'autre par des attitudes, des regards et quelques gesticulations, l'opposition entre les deux hommes a éclaté au grand jour lorsque le préfet de l'Yonne après les attentats de Paris, décida avec Marie-Lousie Fort député maire de Sens, dans la foulée de la déclaration de l'état d'urgence, de décréter le couvre-feu pour trois nuits, du 20 au 23 novembre 2015, dans le quartier des Champs-Plaisants à Sens dans le paisible département rural de l'Yonne.

Les Champs-Plaisants furent le seul quartier de France à avoir été placé sous le régime du couvre-feu qui restreint les libertés d'aller et de venir notamment. Il faut remonter à la guerre d'Algérie pour trouver pareille situation. L'argument était que des informations lors de perquisitions, laissaient penser qu'un trafic d'armes lourdes existait dans ce quartier vivant mais paisible.

André Villiers n'a jamais admis ni digéré cette décision préfectorale non pas simplement extravagante mais tout simplement inadmissible, révélatrice d'une erreur de jugement et d'une précipitation inquiétante dans le contexte. Ainsi discriminer une population de Sens en lui administrant une potion sévère et amère, pouvait en outre s'avérer pire que le remède. L'enquête parlementaire menée par l'actuel ministre de la Justice soi-même, alors président de la commission des lois à l'Assemblée nationale, avait d'ailleurs mis en doute dans son enquête sur le terrain sur place et sur pièces, les décisions prises. Heureusement, les choses se sont finalement bien passées.

"Tout régime de police administrative repose sur une part inhérente de prévention qui peut parfaitement s’entendre dans un cas de couvre feu."Toute la question est alors de savoir si cette mesure a justement ce caractère de prévention." avait précisé le président de la Commission des lois à l'Assemblée qui devait en apprécier l'efficacité.

Le président du conseil départemental de l'Yonne, André Villiers, avait dénoncé cette mesure stigmatisante, discriminatoire et disproportionnée, abîmant l'image du département et de Sens, dans un quartier paisible, qui n'a rien à voir avec les quartiers sensibles de certaines banlieues, même si des méfaits s'y sont produits dans le passé. "Les préfets ont vocation à partir... " relativise André Villiers qui aime à répéter souvent "qu'il y aura du monde et des bras pour mettre les valises du préfet dans le camion". Le préfet de l'Yonne a pris ses fonctions le 1er décembre 2014.

 

Deux fortes têtes

 

Le décor ainsi planté sur le terrain, le match pouvait continuer de part et d'autre de la ligne médiane qui sépare les deux camps, les deux équipes, en l'occurence, ici, les deux hommes. De fortes têtes et des caractères trempés.

À gauche, un Breton Finistérien par surcroît qui ne craint pas la finitude non plus que le bout du monde, à droite, un Avallonnais du sud souché à Vézelay et à Pierre-Perthuis, un Morvandiau, maquignon, cerise du pays d'irancy sur le far breton aux pruneaux.

Les deux hommes n'ont pas le projet de partir en vacances ensemble. Non plus que de passer un week end paisible en attendant la foire de Corbigny. Moins ils se voient et mieux ils se portent. Quand ils se voient lors de réunions de travail incontournables, ni l'un ni l'autre ne peut s'empêcher d'en mettre une à l'autre, le préfet excellant dans ce domaine où il a l'initiative. Et il faut admettre qu'il marque des points poussant son avantage par une rhétorique parfois brillante, de quoi laisser coi André Villiers qui a fait ses humanités et sait respecter l'adversaire lorsque ce dernier trace une belle arabesque.

Mais le diable des cheptels de Précy-le-Moult n'est jamais désarçonné car il sait toujours se rattraper et souvent inverser les choses. Comme lors de l'entre-deux tour des élections cantonales en mars 2015 où son initiative de l'Appel de Germigny, renversa la donne pour faire barrage au Front national qui allait réaliser une razzia dans l'Yonne. Un seul binôme fut élu qui explosa littéralement en vol dès le décollage.

Au-delà du jeu, des parades rispostes de fleurettistes plutôt sabreurs, les positions et oppositions sur des dossiers sont vives, profondes entre les deux hommes, l'un légitimé par le peuple l'autre par l'État au service de la République, dans les missions régaliennes qui confinent à l'ordre public. Ah l'ordre public ! Comment le définir ?
Ordre public et libertés publiques sont deux notions qui se comprennent mieux ensemble que séparément. Si l’on regarde chacune d’elles, il n’est, en effet, pas aisé d’en cerner les contours.

 

L'échec de la satellisation

 

Outre le débat polémique sur la fermeture du colège Bienvenu-Martin actée par le CD89 pour la rentrée 2018 mais pas par le préfet, les dossiers sans doute les plus chauds, pour ne citer que deux exemples, sont ceux du SDIS (service départemental d'incendie et de secours) objet d'un rapport de la direction générale de l'administration pas piqué des vers, et celui de Yonne Équipement qui sera en liquidation au 1er janvier si un accord n'intervient pas rapidement entre les intercommunalités unies de l'Yonne (19) et le conseil départemental sur le prix de cession d'une partie des actions que détient le CD89 dans la SEM Yonne Équipement, contraint de les vendre, loi NOTRe oblige.

Il est vrai que le passé sous forme de passif du conseil départemental a abîmé fortement l'image de l'institution : en témoignent les affaires Domanys premier bailleur social de l'Yonne et ses 32 millions de déficit, et de 2008 à 2013 la gestion de l'établissement public de coopération culturelle dans l'Yonne (EPCC) avec ses 25 millions d'euros de trou dont 400 000 euros d'instruments de musique évaporés). En pointillé et fond de toile, l'échec de la satellisation de missions du conseil départemental, externalisées à des associations incontrôlables.

La prise de conscience des mécanismes en revanche, a gagné les esprits. Il n'est jamais trop tard. La saillie de l'avocat sénonais et doyen d'élection Philippe Serré fut à cet égard éloquente : " Des administratifs se sont avérés plus fins politiques que les politiques ...". C'est très dur et ce n'est pas un effet de manche.

Élu président en 2011 grâce à un coup de poker de derrière les fagots et réélu légitimé en 2015, André Villiers n'est pas responsable de tout et certainement pas des errements passés non plus que du niveau extrêmement élevé de la dette du département de l'Yonne (plus de 250 millions d'euros).

Il reste que le terrain ne lui est pas favorable. C'est justement là qu'il excelle car il peut donner sa pleine mesure.

 

Pierre-Jules GAYE

 

 

André Villiers au conseil départemental lors de l'installation (DR)

 

Le préfet Jean-Christophe Moraud aux Assises de l'École souhaitée par l'AMF, association des maires de France 89, à Joigny. Il a dit banco (DR)