Le départ du président sortant qui a rendu orphelins les conseillers départementaux qui appartiennent à sa majorité UDF et une partie des LR, ainsi que la nouvelle donne politique, viennent brouiller la lecture de l'élection programmée, jeudi 13 juillet, d'un nouvel exécutif et du président du conseil départemental. Et d'autant plus que André Villiers est une personnalité forte.

D'abord André Villiers élu historique du sud de l'Yonne a choisi de quitter le navire à peine deux ans après avoir été réélu et légitimé à la tête de l'assemblée départementale. Une décision personnelle après de longues hésitations, prise à la veille du dernier jour des inscriptions de candidature en préfecture à la députation.

Le département est objectivement décapité d'autant que le président qui s'en va, frappé par la loi sur le cumul des mandats, en toute connaissance de cause, avait pris le pouvoir en 2011, suite à un coup de bluff qui restera dans les annales, avec quatre autres compagnons UDI de route dont Maurice Pianon, Alain Drouhin et Patrick Gendraud. À cinq, les centristes de droite ont ravi le département à la droite RPR-UMP incarnée par Jean-Marie Rolland, Pierre Bordier et Philippe Auberger.

Cet épisode n'est pas neutre et a conditionné la suite, difficile pour l'exécutif, qui a dû naviguer au plus près, ce qui est le plus difficile pour un marin, sans vent, dans un contexte de contraintes budgétaires croissantes assorties de diminutions des dotations globales de fonctionnement servies par l'État, réduction de la dépense publique oblige.

En 2015, l'UMP-LR a tenté de reprendre le gouvernail; un jeune sénateur sur la lancée de son élection contre l'appareil du parti qui avait investi le fidèle Fargeaulais Pierre Bordier, se porta candidat à la présidence contre André Villiers candidat à sa propre succession. Battu au troisième tour de scrutin Jean-Baptiste Lemoyne fut contraint de constater que des élus LR soutenus par le député Guillaume Larrivé, l'autre jeune LR aux dents longues, avaient fait basculer à une poignée de voix près, l'élection.

Depuis, la majorité politique est divisée : UDI, sans étiquettes classés divers droite, LR-Larrivé à l'image de Christophe Bonnefond et Isabelle Joachina et par ailleurs LR-Lemoynistes. Jean-Baptiste Lemoyne fut élu président de la Fédération de l'Yonne du parti Les Républicains.

André Villiers laisse donc un héritage politique dont il fut l'acteur principal même s'il failli reculer deux fois au dernier moment après avoir longuement hésité. La question est de savoir si, sans lui aux manettes, cet héritage peut être transmis et perpétué. Lors de la dernière séance du conseil départemental, vendredi dernier, il glissa que son souhait était que "la continuité républicaine" s'impose. Sans insister ni en rajouter. Sans doute était-ce sa manière de dire que s'il quittait l'exécutif mais restait sur les bancs, il formait le voeu que la politique qu'il a menée et les décisions prises s'inscrivent dans le temps de manière durable ... On pense évidemment à des dossiers sensibles tels la fermeture du collège Bienvenu-Martin à Auxerre et d'autres conflictuels avec la ville d'Auxerre.

André Villiers a une majorité aussi restreinte soit-elle, une majorité qui a affiché sans que cela soit démenti, une stabilité dans le temps. Une seule fois fut-il mis en minorité sur un dossier de garantie d'emprunt à un bailleur social venu de l'Aube chasser sur les terres de l'Yonne faisant concurrence aux bailleurs sociaux du cru. Rapidement il fit inverser le vote en commission permanente à huis clos, deux conseillers ayant soudain changé d'avis.

 

Une majorité courte mais constante

 

Logiquement, cette majorité devrait élire son successeur, choisi par elle et André Villiers. Ce successeur, Patrick Gendraud, maire de Chablis, qui s'est proclamé candidat d'entrée comme une évidence, dès l'élection surprise à la députation d'André Villiers, semble être le légitime dans la lignée UDI, le groupe des cinq "putchistes" de 2011, tirant sa légitimité du poste de premier vice-président du conseil départemental.

Même s'il a pris sa carte au parti LR, cette année, après un long séjour à l'UDI, Patrick Gendraud tient la corde et apparaît comme le favori incontestable, à ce jour.

En face de lui, il aura un membre de la majorité LR-Lemoyne, donc un opposant qui s'est opposé en plusieurs circonstances : vote pour élire un nouveau président en avril 2015, vote contre le budget assorti d'une augmentation de l'impôt foncier, votre contre la fermeture du collège Bienvenu-Martin à Auxerre et on en passe. Cet opposant est Xavier Courtois, LR, élu du canton d'Avallon, qui se retira de la course à la députation en faveur de l'UDI André Villiers bien qu'il fut investi par les instances nationales du parti Les Républicains.

L'agriculteur du sud de l'Yonne, maire de Massangis, incarne la génération montante et nouvelle parmi les élus où Patrick Gendraud fait figure d'ancien, entaché par les aventures financières extravagantes du CD 89 entre 2008 et 2014, Domanys, l'établissement public de coopération culturelle de l'Yonne (EPCC pratiques musicales et danses) (*), entre autres et plus de 57 milions de déficit au total. Un échec collectif de gouvernance, même si le maire de Chablis a bien été président et pas éphémère des deux structures.

Alors va-t-on assister jeudi, à une forme de remake de l'élection de 2015 qui vit Villiers battre Lemoyne ? Villiers l'expérimenté, déjà vieux politicien et Lemoyne jeune star montante qui a surpris tous les appareils politiques en terminant premier et de loin à l'élection sénatoriale, sans étiquette sinon celle d'indépendant, le 28 septembre 2014 ?

Bien malin qui peut prévoir.

 

La donne politique a changé

 

Le contexte n'est pas le même, les hommes ne sont pas les mêmes et la donne politique a changé.

On ne connaît pas encore les contours précis de la nouvelle cartographie politique du conseil départemental après le tsunami politique provoqué par Emmanuel Macron et le peuple français, en un an de temps.

Des élus ont rallié la République en Marche à commencer par Maurice Pianon, Malika Ounès, Yves Vecten, Monique Hadrbolec, Jean-Baptiste Lemoyne et Michèle Crouzet, sans mentionner celles et ceux qui n'ont pas encore pris de carte mais sont dans la mouvance. Le parti Les Républicains a lui littéralement implosé dans l'Yonne.

Décapité, son président élu ayant rallié en Marche lorsque François Fillon se parjura, déjà divisé entre l'escouade de partisans radicaux de Guillaume Larrivé, les Lemoynistes humanistes et les élus du nord morcelés autour de la poigne de fer de Marie-Louise Fort (LR) qui sait faire le ménage, le parti vogue tant bien que mal de manière un peu artificielle. Aucune réunion de bureau depuis le départ de Jean-Baptiste Lemoyne, Guillaume Larrivé statutairement dirigeant le parti moribond en tant que secrétaire national nommé par Nicoles Sarkozy, Valérie Leuger la trésorière veillant aux affaires courantes.

L'opposition composée de six élus, a elle aussi changé et risque de se réduire désormais à deux élus, les deux socialistes Francoise Roure et Nicolas Soret, les Joviniens. En effet, Pascal Henriat président du MoDem 89 est consubstantiellement lié à LREM de Macron et entend jouer la carte de l'apaisement des relations inexistantes car conflictuelles entre le département et la ville d'Auxerre dont il est l'adjoint aux finances. Chritiane Lemoine et Yves Vecten  se sont rapprochés de la République en Marche.

 

Des postes  convoités

 

Il est un autre aspect qui mérite d'être pris en considération pour comprendre le mécanisme du making of d'un nouveau président. C'est celui de la répartition des portefeuilles de vice-présidents, au nombre de 12 pour 42 conseillers départementaux. 12 c'est le maximum autorisé par la loi, le taquet. Impossible donc pour les candidats de séduire l'un ou l'autre et s'attacher sa voix en lui promettant un poste. Ce qui complique encore davantage la situation. Pourquoi ?

Parce que les vice-présidents en place tiennent à la charge dans laquelle ils sont investis et qui leur confère un statut financier amélioré.

Le plus simple en apparence serait de reconduire tout le monde. Rien ne change et tout change, sans aucun renouvellement. Ou alors, d'introduire des changements pour promouvoir et responsabiliser de jeunes talents, mais dans cette hypothèse, ce sera aux dépens de certains installés qui ne donneront pas leur voix au candidat qui les exclut.

Mais direz-vous, les élus vont d'abord élire le président et ensuite seulement les vice-présidents. Exact et c'est toute la difficulté. Comment croire aux promesses ? Quelles garanties ? Le citoyen de base pourra s'étonner de cette cuisine mais c'est le jeu démocratique et c'est la réalité.

Par dessus tout il y a un poste qui est convoité. Celui de premier vice-président qui sera vacant, si Patrick Gendraud l'emportait. Et peut-être même s'il était battu.

Maurice Pianon LREM, Robert Bideau UDI, Christophe Bonnefond LR Larrivé et d'autres sont dans la short-list. En réserve de la république Villérienne.

C'est compliqué et ça se discute jusqu'au dernier moment, au dernier tour de bonneteau si de besoin.

 

L'unité du département

 

À moins que Villiers tel un vieux sage désormais adossé à un mur tout en haut des bancs de l'Assemblée nationale, ne réussisse à concilier l'inconciliable : dépasser les antagonismes et rassembler sur un nom, dans l'intérêt et l'unité du département. Il connait son Gendraud par coeur ainsi que son Courtois qui a fait campagne pour lui à la course à la députation après s'être sacrifié.

Il reste à savoir quel est ce nom dont le président a avoué qu'il en avait un en tête. Bien malin celui ou celle qui sait. Surtout qu'André Villiers qui pèse toujours longtemps les choses, peut très bien se décider sur un autre nom selon l'évolution du contexte. En 2007 en Puisaye, Jean-Pierre Soisson n'avait-il pas choisi Alain Drouhin comme suppléant aux dépens de Guillaume Larrivé, à la dernière seconde, lors de la réunion publique avec les maires de Puisaye ? Le député sortant a changé d'avis en séance car il a compris que les maires voulaient Drouhin. Larrivé avait quitté la salle vert de rage.

Mais peut-on imaginer Xavier Courtois premier vice-président de Patrcik Gendraud ? Peut-on imaginer Patrick Gendraud premier vice-président de Xavier Courtois ?

Cela paraît difficile voire impossible tant les deux hommes diffèrent sur le plan politique. Courtois est opposé aux augmentations d'impôt, prône une vraie concertation et s'est toujours opposé aux fermetures de classes et du collège Bienvenu-Martin. Parce que selon lui l'éducation, les collèges sont la compétence par excellence du conseil départemental et que l'éducation est un enjeu fondamental dans notre société. Patrick Gendraud ne dira sans doute pas le contraire, mais il ne vote pas dans le même sens. Cela paraît donc difficile. En outre faisons de la fiction et imaginons Xavier Courtois premier vice-président ... Qu'en penserait Robert Bideau vice-président UDI aux affaires sociales qui gère 65% du budget départemental ? Il va ruer dans les brancards le Monestésien bon pêcheur.

Et qu'en pensent les femmes majoritaires au conseil départemental de l'Yonne puisqu'elles sont 22 contre 20 mâles (elles n'étaient que 5 lors de la précédente mandature) depuis l'élection partielle d'Élisabeth Frassetto à Villeneuve-sur-Yonne, le 12 juillet 2015, suite à la démission de l'élu FN Claude Thion ?

L'Yonne premier département de France à avoir rompu avec la règle de la parité.

Au-delà des aspects partisans et des petits arrangements entre amis, les 42  élus de l'assemblée départementale de l'Yonne voteront d'abord pour un homme. Le charisme, l'intégrité, l'idée que chacun se fera de sa gouvernance pour incarner l'Yonne, le feeling, pèseront dans la balance et les inconscients.

Il reste deux jours avant l'élection prévue, jeudi matin.

Beaucoup de choses peuvent encore se produire d'ici là.

Les jeux ne seront faits que jeudi sur le coup de midi plein.

 

Pierre-Jules GAYE

 

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Résultats de l'élection du 2 avril 2015

 
Au 1er tour du scrutin
 
L'UDI André Villiers (20 voix) devance l'UMP Jean-Baptiste Lemoyne (16 voix). Claude Thion FN obtient 2 voix et il y a 4 votes blancs.
Un 2ème tour est donc nécessaire car il faut obtenir 22 voix pour avoir la majorité absolue.

Au 2ème tour
 
André Villiers (UDI) récolte 21 suffrages contre 16 votes pour Jean-Baptiste Lemoyne (UMP). 2 votes pour Claude Thion (FN) et 3 votes blancs.
Un 3ème tour est à nouveau demandé.

Au 3ème tour

André Villiers (UDI) est finalement réélu à la présidence du conseil départemental avec 22 voix, contre 15 voix pour Jean-Baptiste Lemoyne (UMP), 2 votes pour Claude Thion (FN), et 3 votes blancs.   

 

Élection des Vice-présidents 

Gendraud UDI, Pianon UDI, Capitain UDI, Ounès UDI, Bideau UDI, Marchand UDI, Froment-Meurice UMP, Jérusalem UDI, Bonnefond UMP, Bourgeois UMP, Crouzet UDI, Joaquina UMP

 


À gauche Xavier Courtois, à droite Patrick Gendraud, deux candidats en lice pour la présidence du CD 89, jeudi matin (DR)

 

 

 

 

Patrick Gendraud connaît la musique

 

Un déficit de 640.000 euros, le centre de gestion de la musique dans l'Yonne a été placé en redressement judiciaire le 25 août 2011 les salaires de 174 enseignants professeurs des écoles de musique de l'Yonne ne sont plus versés.

Patrick Gendraud premier vice-président du Conseil général de l'Yonne explique les difficultés, une interview de Jean-Louis Hussonnois en septembre 2011.

Depuis, en 2015, le Cour régionale des comptes a été saisie du dossier et fait apparaîre un déficit de 25 millions d'euros (le rapport complet ICI) ainsi que de nombreuses irrégularités et anomalies de gestion.

En moins de cinq ans, ce sont 21 millions d'euros qui ont été injectés directement dans l'établissement qui navigait à vue, au jour le jour, sans pilote, le directeur dont "la rémunération était disproportionnée" Sans compter les aides directes à l'autres organismes en dépendant, prestataires ou sous-traitants, tel l'ADDIM.