Allégorie des vanités du monde
« Vanité des vanités, disait l’Ecclésiaste ; vanité des vanités ; tout est vanité ! (Crédits : Pieter Boel)

 

 

« Le jeune monsieur mûr est un monsieur qui a du bien. Il place son bien. Il va, en amateur et avec des façons condescendantes, dans la Cité, participe à des conseils d’administration, et s’occupe d’opérations sur des actions. Comme le savent bien ceux qui sont sages dans leur génération (1), les opérations sur les actions sont la seule chose au monde qui mérite qu’on s’en occupe.

« Soyez sans passé, sans réputation, sans culture, sans idées, sans éducation, mais ayez des actions. Ayez assez d’actions pour être Administrateur de Sociétés avec des majuscules, allez et venez pour de mystérieuses affaires entre Londres et Paris, et vous serez un grand homme.

« D’où vient-il ? D’actions. Où va-t-il ? À des actions. Qu’est-ce qu’il aime ? Les actions. A-t-il des principes ? Il a des actions. Comment a-t-il fait pour se faufiler au Parlement ? Par des actions.

« Peut-être n’a-t-il jamais rien accompli par lui-même, n’a-t-il jamais donné naissance à rien, n’a-t-il jamais rien produit ? C’est une suffisante réponse à tout que : des actions.

« Ô les puissantes actions ! Ériger si haut ces idoles retentissantes, et nous faire crier bien fort, à nous autres canaille secondaire, comme sous l’influence du jusquiame et de l’opium, jour et nuit :

« Débarrassez-nous de notre argent, dissipez-le à notre place, achetez-nous et vendez-nous, ruinez-nous, seulement nous vous en supplions, prenez rang parmi les puissants de la terre, et engraissez-vous à nos dépens !  »
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(1) Allusion  biblique : Évangile selon Saint Luc chapitre XVI (on ne peut pas servir deux maîtres : il faut choisir Dieu ou l’argent)

 

Jaquette du quatrième numéro (août 1854)

 

L'Ami commun (titre original : Our Mutual Friend), quatorzième et dernier roman achevé de Charles Dickens, a été publié par Chapman & Hall en vingt épisodes de feuilleton comptant pour dix-neuf en 1864 et 1865 avec des illustrations de Marcus Stone, puis en deux volumes en février et novembre 1865; enfin en un seul la même année. Situé dans le présent, il offre une description panoramique de la société anglaise, la troisième après La Maison d'Âpre-Vent et La Petite Dorrit. En cela il se rapproche beaucoup plus de ces deux romans que de ses prédécesseurs immédiats, Le Conte de deux cités et Les Grandes Espérances.

Charles Dickens s'emploie à dénoncer la superficialité d'une société fissurée en divisions de classes, corrompue par l'avidité du gain, l'incompétence du pouvoir, le gaspillage de la vie urbaine vouée au matérialisme et les relations prédatrices qu'entretiennent entre eux les êtres humains. Pour symboliser la déréliction de ce monde en décomposition, il utilise les décharges londoniennes.

L'Ami commun est aujourd'hui reconnu comme l'un des chefs-d'œuvre de la dernière manière de Dickens. Quoique moins courtisé par les adaptateurs que certains ouvrages précédents, le roman a inspiré plusieurs réalisateurs de cinéma ou de télévision, et même le poèteT. S. Eliot ou le chanteurPaul McCartney.