JPS a réussi sa sortie. Il a transmis son écharpe de député à son successeur Guillaume Larrivé, 35 ans, le même âge que lui, lorsqu’il fut élu la première fois à l’Assemblée nationale, en 1968.

Il est content.

Il fallait effacer l’abandon de la mairie d’Auxerre, touché par le cumul des mandats et une lassitude de plus en plus flagrante, ainsi que l’échec à la région Bourgogne, battu et débarqué par la gauche, en 2004. Après avoir été élu président à deux reprises : en 1992 par la gauche et  le Front national et en 1998 par la droite et le Front national.

C’est vrai que les apparences donnent crédit à Jean-Pierre Soisson d’avoir su transmettre le flambeau, sauf que les apparences recouvrent une autre réalité. Prendre les citoyens pour des gogos reviendrait à faire injure au député sortant.

L’UMP Jean-Pierre Soisson, député de la circonscription Auxerre-Puisaye, a débarqué son suppléant Guillaume Larrivé,  jeune énarque comme lui, aux élections législatives de 2007, lui préférant Alain Drouhin, son fidèle chef de cabinet ministériel puis secrétaire général de la mairie d’Auxerre, avant que ce dernier ne se lance en politique essuyant d’entrée une cuisante défaite aux élections cantonales à Auxerre. Depuis, Alain Drouhin n’a eu de cesse de se mettre sur orbite politique en creusant le sillon en Puisaye du côté de Bléneau d’abord, puis en adhérant au Nouveau Centre car l’espace était bouché à l’UMP.

Le vent tourne

Jusqu’à il y a quelques mois, Drouhin était le cheval de Soisson pour les législatives 2012. Mais la déconfiture de Domanys, l’organisme départemental de logement social que le conseiller général du canton de Bléneau présidait, a contraint Alain Drouhin à réviser à la baisse et même au ras des pâquerettes son ambition. Heureusement pour lui d’ailleurs car il aurait peut-être subi le sort du chablisien Patrick Gendreau laminé dans la deuxième circonsciption Avallon-Tonnerre-St-Florentin, lors du premier tour.

Dès lors, JPS ne pouvait que se rallier derrière l’UMP et son candidat Guillaume Larrivé, ce qu’il fit clairement mais sans grande conviction.

Ce n’est qu’au soir du premier tour des législatives et à la lecture des résultats dans la circonscription que Jean-Pierre Soisson, se rendit compte que le coup était jouable pour Guillaume Larrivé  contre le maire d’Auxerre Guy Férez qui faisait, objectivement figure de favori au point que d’aucuns le voyaient déjà avec l ‘écharpe tricolore barrant le veston.  C’est ainsi que l’animal politique  le plus redoutable de l’Yonne se mit en branle, lui qui refuse d’être opéré à la hanche, handicapant sa marche.

On connaît la suite : l’annonce du désistement du frontiste Richard Jacob (conseiller municipal d’opposition d’Auxerre en faveur de Guillaume Larrivé le « sécuritaire, identitaire précautionneux des deniers publics » (conseiller municipal d’Auxerre, chef de file de l’opposition), puis le tract de Guy Roux appelant à voter  en faveur du jeune Larrivé, depuis ses terres d’Appoigny où il est conseiller municipal. 

Jean-Pierre Soisson avait appelé Guy Roux ,en début de semaine, pour voir ce qu’il pouvait faire. Il fit donc. Pourquoi ? Par conviction (sans doute,) Roux n’a jamais caché sa préférence gaulliste. Mais, profondément rancunier, il a saisi l’occasion comme il sait si bien le faire, pour régler ses comptes avec Guy Férez. D’une part, ce dernier avait pris parti en faveur de l’équipe Dujon au pouvoir à l’AJA avant que celle-ci ne soit débarquée par les anciens qualifiés par l’hebdomadaire France Football de « Tontons flingueurs », au mois de juin dernier.

Comme sur la pelouse, Guy Roux ne supporte pas d’être contré.  « Le paysan » de l’Yonne n’avait pas non plus apprécié le point de vue de Guy Férez sur Guy Roux, exprimé dans un livre d’entretien paru aux Editions Bourgogne en 2010 intitulé « Guy Férez, Auxerre, une passion ». Le premier magistrat y affirme ne pas aimer du tout l’image construite et cultivée par Guy Roux du cul-terreux un peu pingre à la gouaille pas toujours pertinente, car elle n’est pas à l’image de la cité d’Auxerre.

Rappelons que pendant de longues années, aucune décision importante ne se prenait à Auxerre sans que Soisson et Roux ne se soient concertés. Ainsi allaient la cité et l’AJA, main dans la main, sous la baguette des deux maestros.  Avant que les deux hommes ne se fâchent et sombrent dans une querelle clochemerlesque de bacs à fleurs obstruant la route de Guy Roux et de terrain à vocation de logements sociaux à proximité de la maison de Guy Roux rive droite, dont ne voulait pas le manager de l’AJA.

Il n’en est plus de même, aujourd’hui, car les relations entre Guy Férez, Guy Roux et l’AJA ne seront plus jamais du même ordre, on l’aura compris.

Auxerre peut-elle réussir sans l’AJA et l’AJA sans Auxerre ? C’est une autre histoire. Mais force est de constater qu’Il fut un temps où le malin Guy Roux savait se montrer beaucoup plus habile. Férez n'oubliera pas non plus.

Jamais dupe

Sa victoire, Guillaume Larrivé la doit surtout à lui-même. Il arpente le terroir de l’Yonne depuis dix ans, a appris aux côtés de JPS comme suppléant, a connu l’épreuve du lâchage (le centriste Pascal Henriat ne s’en est jamais remis), la traversée du désert, l’apprentissage et l’épreuve de la direction adjointe du cabinet de Brice Hortefeux au ministère de l’Intérieur (immigration, identité nationale, sécurité…). At last but not least, il a aussi bénéficié du soutien du ministre Henri de Raincourt qui lui voue une affection réelle et aura contribué à son épanouissement en politique.

Larrivé a su habilement rassembler une droite auxerroise meurtrie par les coups tordus et les divisions qui peinent à cicatriser, douze ans après. Il s’est adjoint, contre toute attente, comme suppléant une suppléante d’Auxerre  bien introduite dans le milieu socio-économique, et surtout, qui n’offre pas d’aspérités négatives. Larrivé a enfin misé sa stratégie en développant son point fort, son implantation en Puisaye dans le champ labouré à longueur d’années par son prédécesseur. 

Bref, il a limité la casse à Auxerre en rassemblant et a pris les devants en Puisaye même s’il ne réussit pas le score réalisé au deuxième tour par JPS en 2007, dans un autre contexte il est vrai, celui d’une chambre bleue. Dans ces conditions, celles de la vague rose fluo, ses résultats sont d’autant plus remarquables. La plus belle qualité de ce jeune élu est la bouffée de fraîcheur apportée dans un monde politique en pleine mutation où les hommes et les méthodes du passé n’ont guère plus cours, du moins dans l’imaginaire des jeunes.

La nouvelle génération sent et pense autrement, se comporte autrement et agit différemment.  Guillaume Larrivé, jamais dupe, aura eu l’élégance du petit fils avec le grand-père, évoquant l’amitié, l’affection et la fidélité pour sa sortie. Au-delà, la donne est entrain de changer en vue des prochaines échéances municipales.

Une stratégie téléphonée

A partir de là il peut paraître facile d’avancer que Guy Férez et son staff socialiste de campagne n’ont pas été bons. Quand on est battu, il faut savoir analyser et remettre en question car ce sont les clés de réussites futures éventuelles : ne pas reproduire les mêmes erreurs.

On peut s’interroger sur la stratégie adoptée par le maire d’Auxerre consistant à mettre en avant son expérience ainsi que la cohérence nécessaire entre l’élection de François Hollande et une Assemblée nationale capable de lui permettre de décliner la politique choisie par le peuple français. Cela n’a pas suffi et a paru un peu trop « téléphoné ».  

En outre, en voulant apparaître comme l’homme du changement dans cette circonscription détenue par Jean-Pierre Soisson depuis 1968, dans les pas duquel il a mis ses pieds, Guy Férez n’apparaissait-il pas comme le « vieux », le notable bien en place, réélu comme un roi à la tête de la cité puis de l’agglomération que lui seul a réussi à faire muter en communauté, face au jeune Guillaume Larrivé qui incarne la nouvelle génération de politiciens ?

Le pouvoir use toujours et les uns et les autres prennent des habitudes et des aises. L’arrogance n’est jamais loin, non plus que la déconnexion avec la réalité.

Avant de partir à la conquête de nouvelles voix, au-delà de son camp, encore faut-il savoir rassembler le sien dans toutes ses composantes et le mobiliser. Manifestement, au-delà de la défaite, Guy Férez n’y est pas parvenu. En revanche, l’homme qui a pris une monumentale claque, a accueilli la défaite avec une grande dignité et belle humilité.

D’ailleurs, la victoire comme la défaite ne sont que des impostures…. (Kipling)

 

                                                                                                             Pierre-Jules GAYE