Villeblevin, dans l’Yonne, 4 janvier 1960. Assis à la droite de Michel Gallimard, directeur des éditions « La Pléïade », Albert Camus,  47 ans. Il y a trois ans que l’écrivain et philosophe français a reçu le prix Nobel de littérature. Il transporte avec lui les 144 feuillets de son autobiographie en cours, Le premier homme. Dans la voiture – une Facel Vega - se trouvent également l’épouse et la fille de Gallimard. Janine et Anne. Et leur chien Floc.


Et sur cette route tranquille, sans autre trafic, sans danger, l’heure tourne en secret, en silence. Sans hâte. S’arrête brutalement pour Michel Gallimard et Albert Camus à 13h55. Michel Gallimard perd inexplicablement le contrôle de sa voiture qui se dirige vers un platane qu’elle enfonce de plein fouet pour rebondir, 13 mètres plus loin, sur un autre platane qu’elle enlacera de sa carrosserie broyée. Les 355 chevaux du moteur ont fini leur course. Camus n’est déjà plus, Michel Gallimard est à la mort.

 


Malédiction des Gitans du château de Lourmarin (dont Camus serait la treizième victime), complot des services secrets russes, ou simplement l’heure du destin… qui sait, et qui doit savoir ? Le destin s’organise toujours si soigneusement, déjouant les intentions et les plans.

Le château de Lourmarin (D.R.)

 

Camus comptait quitter Lourmarin en train avec son ami René Char. Il avait acheté son billet. Mais lorsque les Gallimard, des amis intimes, sont arrivés chez lui avec leur chien Floc, il change ses plans : c’est en voiture et avec eux qu’il fera le voyage ! En quittant le village il dédicace son livre L’étranger au garagiste : "A monsieur Baumas, qui contribue à me faire revenir souvent dans le beau Lourmarin". Ils déjeunent à Orange et puis remontent vers la Bourgogne. On fait halte au Chapon Fin à Thoissey, où on célèbre joyeusement l’anniversaire de la jeune Anne Gallimard. Le lendemain, on reprend la route. On est heureux, entre amis. On papote, on rit, on est bien. L’année commence, et elle est jalonnée de projets. On ne sait pas que le destin est le passager clandestin. C’est à Sens qu’on déjeune simplement, à l’Hôtel de Paris et de la Poste.

 


Au lendemain de sa mort, Sartre écrira un texte pour « France Observateur » :


« (…) L'accident qui a tué Camus, je l'appelle scandale parce qu'il fait paraître au coeur du monde humain l'absurdité de nos exigences les plus profondes. Camus, à 20 ans, brusquement frappé d'un mal qui bouleversait sa vie, a découvert l'absurde, imbécile négation de l'homme. Il s'y est fait, il a pensé son insupportable condition, il s'est tiré d'affaire. Et l'on croirait pourtant que ses premières oeuvres seules disent la vérité de sa vie, puisque ce malade guéri est écrasé par une mort imprévisible et venue d'ailleurs. L'absurde, ce serait cette question que nul ne lui pose plus, qu'il ne pose plus à personne, ce silence qui n'est même plus un silence, qui n'est absolument plus rien. (…) ».

 


Monument à Villeblevin (D.R.)

 

 

Le silence n’a pas suivi la mort de Camus, bien au contraire. Le Premier Homme ne s'est pas tu.

 

                                                                                                                    Suzanne Dejaer

 

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